« En la police oeconomique, mon pere avoit cet ordre, que je sçay loüer, mais nullement ensuivre : c'est qu'outre le registre des negoces du mesnage où se logent les menus comptes, paiements, marchés, qui ne requierent la main du notaire, lequel registre un receveur a en charge, il ordonnoit à celuy de ses gens qui lui servoit a escrire, un papier journal à inserer toutes les survenances de quelque remarque, et jour par jour les memoires de l'histoire de sa maison, très-plaisante à veoir quand le temps commence à en effacer la souvenance, et très à propos pour nous oster souvent de la peine : quand fut entamée telle besoigne ? quand achevée ? quels trains y ont passé ? combien arresté ? noz voyages, noz absences, mariages, morts, la reception des heureuses ou malencontreuses nouvelles ; changement des serviteurs principaux ; telles matieres. Usage ancien, que je trouve bon à refreschir, chacun en sa chacuniere. Et me trouve un sot d'y avoir failly. » <t.1 p.254 livre I chap.XXXV>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Ces sortes d'éphémérides écrites n'entreraient pas utilement dans la place d'une bonne vie, où l'oubli est aussi nécessaire que le souvenir. » <11 septembre 1805 t.2 p.62>
Georges BERNANOS / Les Enfants humiliés (1940) / Essais et écrits de combats I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971
« Il n'y a rien de plus sot qu'un journal, du moins aussi longtemps que son auteur vit. Je n'ai jamais été découragé par la niaiserie, tout ce qu'on écrit de sincère est niais, toute vraie souffrance a ce fond de niaiserie, sinon la douleur des hommes n'aurait plus de poids, elle s'envolerait dans les astres. » <p.787>
Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« Le besoin de consigner toutes les réflexions amères, par l'étrange peur qu'on arriverait un jour à ne plus être triste... » <p.483>
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« Je plains ceux qui, ne tenant pas un journal intime, n'ont aucune raison de noter ce qu'ils auraient intérêt à oublier. » <p.235>
François NOURISSIER / À défaut de génie / nrf Gallimard 2000
« Les deux tentations du mémorialiste sont la frime et la langueur. Frime : envol de duchesses, "le président me dit alors", chalet à Saint-Moritz, simplicité patriarcale de Claudel. Langueur : la mort prochaine, brièveté (ou désespérante lenteur) des jours, modestie de la tâche accomplie, vanitas vanitatum... La frime est une manière de politesse. Barthes disait qu'entre la pose et la posture on trouve vite l'imposture. Oui, mais un peu de pose flatte le lecteur. On ne l'invite pas dans une gargote. On ne sollicite pas sa curiosité (ou sa compassion) pour un personnage minable. Mon ambassade à Londres. Gide au piano. Entrez dans une confidence de grand risque, écoutez les chuchotements d'État, les allusions d'amour. Le mémorialiste, en se flattant, flatte son lecteur. » <p.168>