Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Le doute sage et vraiment philosophique (s'il existait) consisterait donc à éteindre (ou plutôt à voiler) les lumières qui nous éblouissent, pour juger par un autre organe de l'esprit que celui de sa vue. » <24 avril 1808 t.2 p.265>
« Douter, c'est sortir d'une erreur, et souvent d'une vérité. » <14 mai 1812 t.2 p.349>
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l'âme / Domaine romantique José Corti 1997
« Douter ne signifie rien d'autre que d'être vigilant, sinon cela peut être dangereux. » <F 447 p.300>
« Le doute est un hommage rendu à l'espoir. Ce n'est pas un hommage volontaire. L'espoir ne consentirait pas à n'être qu'un hommage. » <II p.350>
ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Quand un homme doute au sujet de ses propres entreprises, il craint toujours trois choses ensemble, les autres hommes, la nécessité extérieure, et lui-même. Or c'est de lui même qu'il doit s'assurer d'abord ; car, qui doute s'il sautera le fossé, par ce seul doute il y tombe. Vouloir sans croire que l'on saura vouloir, sans se faire à soi-même un grand serment, sans prendre, comme dit Descartes, la résolution de ne jamais manquer de libre arbitre, ce n'est point vouloir. Qui se prévoit lui-même faible et inconstant, il l'est déjà. C'est se battre en vaincu. Quand on voit qu'un homme qui entreprend quelque chose doute déjà de réussir avant d'avoir essayé, on dit qu'il n'a pas la foi. Ainsi l'usage commun nous rappelle que la foi habite aussi cette terre, et que le plus humble travail l'enferme toute. Encore plus sublime sans promesse ; au fond, toujours sans promesse. Car le parti de croire en soi n'enferme pas que tous les chemins s'ouvriront par la foi ; mais il est sûr seulement que tous les chemins seront fermés et tous les bonheurs retranchés si vous n'avez pas d'abord la foi. » <p.186>
« La foi ne peut aller sans l'espérance. Quand les grimpeurs observent de loin la montagne, tout est obstacle ; c'est en avançant qu'ils trouvent des passages. Mais ils n'avanceraient point s'ils n'espéraient pas de leur propre foi. En revanche, qui romprait sa propre espérance, toute de foi, romprait sa foi aussi. Essayer avec l'idée que la route est barrée, ce n'est pas essayer. Décider d'avance que les choses feront obstacle au vouloir, ce n'est pas vouloir. Aussi voit-on que les inventeurs, explorateurs, réformateurs sont des hommes qui ne croient pas à ce barrage imaginaire que fait la montagne de loin ; mais plutôt ils ont le sentiment juste, et finalement vérifié, mais seulement pour ceux qui osent, que la variété des choses, qui est indifférente, n'est ni pour nous ni contre nous, d'où vient que l'on trouve toujours occasion et place pour le pied. Et cette vertu, d'essayer aussitôt et devant soi, est bien l'espérance. » <p.187>
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« La liberté intellectuelle, ou Sagesse, c'est le doute. Cela n'est pas bien compris, communément. Mais pourquoi ? Parce que nous prenons comme douteurs des gens qui pensent par jeu, sans ténacité, sans suite ; des paresseux enfin. Il faut bien se garder de cette confusion. Douter, c'est examiner, c'est démonter et remonter les idées comme des rouages, sans prévention et sans précipitation, contre la puissance de croire qui est formidable en chacun de nous. » <8 juin 1912 p.134>
« Le principe du vrai courage, c'est le doute. L'idée de secouer une pensée à laquelle on se fiait est une idée brave. Tout inventeur a mis en doute ce dont personne ne doutait. C'était l'impiété essentielle. » <12 octobre 1935 p.1286>
Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998
« Le professeur de philosophie qui doute professionnellement de l'existence de cette table ne tient pas particulièrement compte dans sa vie des conséquences d'une telle négation. Le coeur n'y est pas, et cette méfiance n'est pas véritablement convaincue : c'est en classe seulement que les tables sont douteuses, et pour les besoins d'une leçon sur l'idéalisme, mais non pas le soir quand le philosophe se met à table pour souper. » <L'austérité et la vie morale, p.428>