« Toute douleur est facile à mépriser : celle dont la peine est intense est d'une brève durée, celle qui dure dans la chair s'accompagne d'une faible peine. » <4 p.209>
Charles BAUDELAIRE / Les Paradis artificiels / OEuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1975
« Malgré les admirables services qu'ont rendus l'éther et le chloroforme, il me semble qu'au point de vue de la philosophie spiritualiste, la même flétrissure morale s'applique à toutes les inventions modernes qui tendent à diminuer la liberté humaine et l'indispensable douleur. Ce n'est pas sans une certaine admiration que j'entendis une fois le paradoxe d'un officier qui me racontait l'opération cruelle pratiquée sur un général français à El-Aghouat, et dont celui-ci mourut malgré le chloroforme. Ce général était un homme très brave, et même quelque chose de plus, une de ces âmes à qui s'applique naturellement le terme : chevaleresque. "Ce n'était pas, me disait-il, du chloroforme qu'il lui fallait, mais les regards de toute l'armée et la musique des régiments. Ainsi peut-être il eût été sauvé !" Le chirurgien n'était pas de l'avis de cet officier ; mais l'aumônier aurait sans doute admiré ces sentiments. » <p.439>
« Souffrir est une faiblesse, lorsqu'on peut s'en empêcher et faire quelque chose de mieux. » <I p.335>
Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / OEuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Sagesse dans la douleur. - Dans la douleur il y a autant de sagesse que dans le plaisir : tous deux sont au premier chef des forces conservatrices de l'espèce. S'il n'en était pas ainsi de la douleur, il y a longtemps qu'elle aurait disparu ; qu'elle fasse mal, ce n'est pas là un argument contre elle, c'est au contraire son essence. J'entends dans la douleur le commandement du capitaine de vaisseau : "Amenez les voiles !" L'intrépide navigateur "homme" doit s'être exercé à disposer les voiles de mille manières, autrement il en serait trop vite fait de lui, et l'océan bientôt l'engloutirait. Il faut aussi que nous sachions vivre avec une énergie réduite : aussitôt que la douleur donne son signal de sûreté, il est temps de réduire cette énergie, - quelque grand danger, une tempête se prépare et nous agissons prudemment en nous "gonflant" aussi peu que possible. » <318 p.187>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Nous nous avouons ceci, quand un être qui nous est cher est malade, et que la mort est toute prête, nous souffrons d'avance des gestes qu'il faudra faire pour montrer notre douleur, mais nous ne pensons pas à l'être qui nous est cher. » <20 mars 1891 p.71>
« Il faut gémir, mais en cadence. » <25 décembre 1896 p.290>
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« Les grandes douleurs sont muettes. Essayez de vous représenter un fabricant de tubes en caoutchouc, un constructeur de ressorts à boudin pour les sommiers élastiques, un gommeur de papier à lettres, un agent voyer de première classe ou bien un architecte vérificateur poussant des cris effroyables et dégainant le lyrisme d'un Sophocle pour déplorer le trépas d'une personne de sa famille ! » <p.90>
Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / OEuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« On dirait que la douleur donne à certaines âmes une espèce de conscience. C'est comme aux huîtres le citron. » <75 p.170>
« Si tu pleures de joie, ne sèche pas tes larmes : tu les voles à la douleur. » <229 p.192>
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« La plus grande partie du corps ne parle que pour souffrir. Tout organe qui se fait connaître est déjà suspect de désordre. Silence bienheureux des machines qui marchent bien. » <Soma et CEM p.1119>
« La douleur est toujours question et le plaisir, réponse. » <Sensibilité p.1175>
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Ce vers, de Vigny, je crois, me revenait tantôt : J'aime la majesté des souffrances humaines. Où a-t-il vu des souffrances humaines avoir de la majesté ? A ajouter à ce que j'ai dit des choses qu'on écrit parce que cela fait bien. » <25 février 1947 III p.1547>
Jean COCTEAU / Opium / Romans, Poésies, OEuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« Progrès. Est-il bon d'accoucher à l'américaine (sommeil et forceps) et ce progrès qui consiste à souffrir moins n'est-il pas, comme la machine, le symptôme d'un univers où l'homme épuisé substitue d'autres forces à la sienne, évite les secousses d'un système nerveux affaibli ? » <p.575>
Jean COCTEAU / La difficulté d'être / Romans, Poésies, OEuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« Je tire de la douleur un bénéfice : elle me rappelle sans cesse à l'ordre. Les longs temps où je ne pensais à aucune chose, ne laissant naviguer en moi que les mots : chaise, lampe, porte, ou autres objets sur quoi se promenaient mes yeux, ces longs temps de néant n'existent plus. La douleur me harcèle et je dois penser pour m'en distraire. C'est à l'inverse de Descartes. Je suis, donc je pense. Sans la douleur je n'étais pas. » <p.912>
Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7
« En ce qui concerne la douleur, je ne puis me convaincre qu'elle élève, et les hommes que j'ai vus souffrir m'ont toujours paru enfermés dans leur douleur et non point ouverts sur des vues cosmiques. Si la douleur élève, je voudrais savoir vers quoi. » <p.88>
André COMTE-SPONVILLE / Une éducation philosophique / PUF 3e ed 1992
« D'abord, ne pas interpréter, ni justifier. La douleur est un fait, et ne veut rien dire. Elle n'a pas de sens, pas de valeur, pas d'excuses. Même atroce, elle est insignifiante (et cela est le plus atroce peut-être, qu'elle ne signifie rien) ; même légère, elle est insensée. Quoi de plus bête qu'une rage de dents ? Le réel se reconnaît là, qui se contente d'exister. "Pourquoi ?", demande-t-on devant celui qui souffre. Mais il n'y a pas de réponse (on souffre toujours pour rien), ni même, en vérité, de question. Le corps hurle, mais n'interroge pas. On parle pourtant des leçons de la douleur, et chacun, qui l'a vécue, y reconnaît quelque chose de son expérience. Mais ces leçons sont toutes négatives, ou critiques : la douleur n'apprend rien, qu'en annulant ce qu'on croyait savoir. Sa leçon est une anti-leçon : tout discours doit cesser, devant elle, qui parait ridicule, insupportable ou lâche. Non pas tout discours, pourtant. Et cela fait un sacré tri. Combien de livres supportent la proximité immédiate de l'horreur ? » <p.323>
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Ne désespère pas : si tout le monde t'abandonne, tu pourras toujours compter sur tes douleurs. » <mars 1965 p.273>