MARIVAUX / Pensées sur différents sujets (1719) / Journaux et OEuvres diverses / Classiques Garnier 1988
« En fait d'exposition d'idées, il est un certain point de clarté au-delà duquel toute idée perd nécessairement de sa force ou de sa délicatesse. Ce point de clarté est, aux idées, ce qu'est, à certains objets, le point de distance auquel ils doivent être regardés, pour qu'ils offrent leurs beautés attachées à cette distance. Si vous approchez trop de ces objets, vous croyez l'objet rendu plus net ; il n'est rendu que plus grossier. Un auteur va-t-il au-delà du point de clarté qui convient à ses idées, il croit les rendre plus claires ; il se trompe, il prend un sens diminué pour un sens plus net. » <p.54>
« Il est des gens qui sont de bonne foi, et qui diront aussi d'une pensée qu'elle est obscure, mais voici pourquoi. Cette pensée peint un sujet par des côtés extrêmement fins ; l'image de ces côtés s'aperçoit aisément ; mais elle est de difficile consistance aux yeux de l'esprit ; sa délicatesse la fait perdre de vue à cet esprit ; et ces personnes appellent obscurité ce qui ne vient que de la difficulté qu'ils ont de continuer d'apercevoir l'objet d'abord bien aperçu. » <p.55>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Il faut du moins être clair lorsque l'on n'est pas lumineux et c'est ce qu'étoient tous les Grecs. » <23 octobre 1797 t.1 p.230>
« Je n'ai jamais ouï dire que le feu fût ennemi de la lumière. » <6 décembre 1808 t.2 p.284>
« Quand on peint une chose intérieure, on peint une chose enfoncée. Or l'enfoncement, quelque éclairé qu'il puisse être, ne peut jamais offrir l'uniforme et vive clarté d'une surface. » <10 mars 1812 t.2 p.346>
Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]
« Le véritable obscurantisme ne consiste pas à s'opposer à la propagation des idées vraies, claires et utiles, mais à en répandre de fausses. » <p.48>
Albert CIM / Récréations littéraires / Hachette 1920 [BnF]
« Le dessinateur Bertall, qu'un éditeur avait chargé des illustrations de La Comédie humaine, se trouvant embarrassé, dans cette tâche, par des phrases plus ou moins ténébreuses, eut recours à l'auteur et l'interrogea. Bertall lui-même rapporte ainsi cette conversation (Cf. le journal Le Soleil, 12 avril 1882). "Mon cher maître, voici un passage que je ne comprends pas très bien." Balzac prit le livre, lut l'endroit désigné et se mit à rire. "En effet, dit-il, c'est du galimatias... Mais c'est voulu ! - Comment, voulu ? - Parfaitement. Vous entendez bien, mon cher Bertall, que si le public n'était pas arrêté de temps à autre par quelque phrase bien enchevêtrée ou quelque mot très hérissé, il se croirait aussi malin que l'auteur qu'il lit. Tout ce qui est clair lui paraît trop facile. Il se figure, le naïf, qu'il en ferait autant ! Il ignore, ce satané public, que ce qu'il y a de plus difficile, c'est d'être simple. C'est pourquoi je saupoudre quelquefois mes romans d'une bonne petite obscurité afin que le bon lecteur se prenne la tête à deux mains et se dise : Je ne comprends pas du tout !" "Ça me dépasse ! Sapristi ! tout de même, comme ce Balzac est fort !" » <p.181>
Jean COTTRAUX / La Répétition des scénarios de vie / Ed Odile Jacob 2001
« Ernest Hemingway conseillait à l'apprenti écrivain d'omettre dans son récit un point important, que l'auteur connaît mais que le lecteur ignore, de sorte que l'histoire tourne autour de ce point invisible. Ce procédé stimule la curiosité du lecteur et, donc, son attention, et le met à la recherche de la solution du problème dont une donnée importante est absente. Pour le dire autrement, il cherche à résoudre la dissonance cognitive qui provient de la différence entre ce qu'il voit et ce qu'il ne voit pas, mais peut imaginer. » <p.46>
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La profondeur et l'eau trouble. - Le public confond facilement celui qui pêche en eau trouble avec celui qui puise en eau profonde. » <262 p.792>
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« La pêche est meilleure quand l'eau est trouble. » <5 novembre 1972, p.820>
Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / OEuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Être profond et sembler profond. - Celui qui se sait profond s'efforce d'être clair ; celui qui voudrait sembler profond à la foule s'efforce d'être obscur. Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut pas voir le fond : elle est si craintive, elle a si peur de se noyer ! » <173 p.147>
Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / OEuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Quiconque a sondé le fond des choses devine sans peine quelle sagesse il y a à rester superficiel. C'est l'instinct de conservation qui apprend à être hâtif, léger et faux. » <59 p.608>
Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]
« Dans le royaume des aveugles, les borgnes sont pendus. » <p.253>
« Le pathos, c'est la puissance des puissances, et il n'y a rien de tel pour entraîner le genre humain. La belle affaire qu'un langage clair et qui dit précisément ce qu'il veut dire ! Soyez clair vous êtes perdu. D'abord vous mécontenterez tous ceux qui ne sont pas de votre avis, puis vous exciterez d'autant plus à la riposte que personne ne vous admirera et que chacun pensera : j'en dirais bien autant. Tandis qu'un bon amphigouri, ah ! mon ami, un bon galimatias, cela est d'une beauté inimitable. Et allez donc découvrir ce qu'il y a dessous puisqu'il n'y a rien. Semez cela de quelques mots sonores, de quelques bonnes banalités, qui aient beaucoup servi, et que tout le monde reconnaîtra au passage, et vous m'en direz des nouvelles. L'une des grandes forces de certains hommes consiste précisément dans les sottises qu'ils débitent. L'une des plus grandes faiblesses de certains autres consiste à avoir peur d'être bêtes. Rien ne réussit mieux qu'une immense niaiserie. Malheureusement c'est un don qui ne se commande pas. » <p.277>
Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989
« Ésotérique adj. Parfaitement occulte et particulièrement abscons. Les anciennes philosophies étaient de deux sortes, - exotériques, que les philosophes eux-mêmes ne comprenaient qu'à moitié, et ésotériques, que personne n'a jamais comprises. Ce sont ces dernières qui ont le plus profondément marqué la pensée moderne, qui jouissent encore de nos jours d'un grand crédit. » <p.94>
ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Chose digne de remarque, l'homme n'a pu voir loin et réellement au-delà de sa planète que la nuit ; car le jour est comme une claire coupole sans mystère aucun ; aussi l'homme n'a regardé loin qu'au moment où les objets proches étant dérobés à sa vue, l'ouïe le devant occuper tout, et le silence même l'émouvoir, juste alors se montraient les objets les plus éloignés et les mieux réglés qu'il puisse connaître. » <p.5>
« La parabole est comme une fable sans la morale. L'énigme est du même genre ; et il faut la tenir aussi comme une des formes les plus anciennes de la pensée. "Le matin sur quatre pattes, à midi sur deux, le soir, sur trois." Il est clair que ce n'est qu'un jeu ; mais aussi ce plaisir de trouver un sens à l'absurde ne s'use point. Il faut que l'esprit se mette d'abord dans le cas de renoncer ; c'est là qu'il renaît ; c'est sur le point de ce réveil qu'il se connaît pensant. » <p.100-101>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Etre clair ? Nous sommes si peu capables d'effort pour comprendre les autres ! » <11 juillet 1892 p.105>
Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d'occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« On peut être hermétique et ne rien renfermer. Il y a des portes sans issue - et il y a même de fausses portes. Aimez la chose à double sens - mais assurez-vous bien d'abord qu'elle ait un sens. Certes, ce n'est pas une raison parce que vous ne comprenez pas pour que cela ne signifie rien - mais ce n'est pas une raison non plus pour que cela signifie quelque chose. Quand on vous assure : - C'est profond. Répliquez donc : - C'est creux, peut-être. Et quand une oeuvre d'art vous donne le vertige, souvenez-vous que ce qui donne le mieux encore le vertige, c'est le vide. » <p.92>
Raymond RADIGUET / OEuvres / La Pochothèque LdP 2001
« Les auteurs qui se font obscurs pour forcer l'estime obtiennent ce qu'ils veulent et pas autre chose. » <Art poétique (1922) p.188>
« Le culte du vertige... mais n'oublions pas que le vertige se prend sur les hauteurs. » <Art poétique (1922) p.192>
Daniel C. DENNETT / La conscience expliquée / Editions Odile Jacob 1993
« Après tout, les mystères sont excitants, et ils contribuent à rendre la vie amusante. Personne n'apprécie le gâcheur qui donne la clef de l'énigme à ceux qui font la queue pour aller voir un film. À partir du moment où on a révélé le pot aux roses, on ne peut plus retrouver l'état délicieux de mystification qui nous avait d'abord envoûtés. Par conséquent, le lecteur doit être sur ses gardes. » <p.36>