« Le grand dialecticien Bayle a réfuté Spinosa. Ce système n'est donc pas démontré comme une proposition d'Euclide. S'il l'était, on ne saurait le combattre. Il est donc au moins obscur. J'ai toujours eu quelque soupçon que Spinosa, avec sa substance universelle, ses modes et ses accidents, avait entendu autre chose que ce que Bayle entend, et que par conséquent Bayle peut avoir eu raison sans avoir confondu Spinosa. J'ai toujours cru surtout que Spinosa ne s'entendait pas souvent lui-même, et que c'est la principale raison pour laquelle on ne l'a pas entendu. » <p.511>
« Virgile dit (Æ. VI, 727) : Mens agitat molem, et magno se corpore miscet. L'esprit régit le monde ; il s'y mêle, il l'anime. Virgile a bien dit ; et Benoît Spinosa, qui n'a pas la clarté de Virgile, et qui ne le vaut pas, est forcé de reconnaître une intelligence qui préside à tout. S'il me l'avait niée, je lui aurais dit : "Benoît, tu es fou ; tu as une intelligence et tu la nies, et à qui la nies-tu ?" » <p.538-539>
« Vous êtes très confus, Baruch* Spinosa ; mais êtes-vous aussi dangereux qu'on le dit ? Je soutiens que non : et ma raison, c'est que vous êtes confus, que vous avez écrit en mauvais latin, et qu'il n'y a pas dix personnes en Europe qui vous lisent d'un bout à l'autre, quoiqu'on vous ait traduit en français. Quel est l'auteur dangereux ? c'est celui qui est lu par les oisifs de la cour et par les dames. »
* Il s'appelle Baruch et non Benoît, car il ne fut jamais baptisé. (Note de Voltaire) <p.513>
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« La pauvreté et inutilité de Spinoza me confond, comparée à son immense influence et réputation. Le mot existence a causé de grands ravages. Du reste, le langage permettant de croire penser à des choses, quand on se borne à se dire et répéter des noms, et à croire séparer, et pouvoir être séparés, des facteurs qui sont inséparables - , on prend pour une analyse des choses ce qui n'est qu'une analyse d'un certain langage ou procédé conventionnel de notation. Ainsi, les pseudo-idées d'Être, essence, substance, existence et toute la logique du vide. » <Philosophie p.749>
Paul VALÉRY / Degas Danse Dessin (1936) / OEuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Léon Brunschvicg m'a raconté qu'étant jeune étudiant en philosophie, il rencontra Degas, rue de Douai, chez Ludovic Halévy, et il lui fut présenté. Degas, apprenant qu'il avait affaire à un métaphysicien, l'attira dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui dit vivement : "Voyons jeune homme, SPINOZA, pouvez-vous m'expliquer cela en cinq minutes ?" Je trouve que cette question ahurissante donne à penser. Peut-être ne serait-il pas tout à fait anti-philosophique, ni sans conséquences intéressantes de diviser toutes les connaissances en deux classes, celles qui peuvent s'expliquer en cinq minutes et les autres... » <p.1216>