Rémy de GOURMONT / Épilogues (2) / Mercure de France 1923
« Même dangereuses, si l'on veut, les idées de Nietzsche sont libératrices. Sa logique est un allègement pour les esprits ; elle donne au cerveau une facilité nouvelle à penser et à comprendre ; elle est, dans la série des nourritures intellectuelles, un aliment respiratoire. Non pas sans doute pour les poumons usés ou desséchés. On ne conseille pas la philosophie nietzschéenne aux personnes sensibles et qui ont besoin de croyances consolantes. Elle s'offre aux forts et non aux débiles, à ceux qui n'ont pas besoin pour vivre du lait sucré de l'espérance. Mais n'ont-ils pas, ceux-là, et les religions et toutes les douceâtres philosophies que d'habiles gens en ont extraites, à peu près comme on tire de la houille de la vanille et de l'indigo ? Ils ont le spiritisme d'Allan Kardec et le spiritualisme de M. Boutroux ; sont-ils à plaindre ? » <octobre 1900, p.189>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Nietzsche. Ce que j'en pense ? C'est qu'il y a bien des lettres inutiles dans son nom. » <7 juillet 1906 p.835>
Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Nietzsche est mâtiné de Slave et d'Allemand - il descendait des Nietski - et il a subi fortement l'influence des lettres françaises. J'ai étudié son cas ailleurs. Jules de Goncourt affirmait que "ce qui entend le plus de bêtise, c'est un tableau". Néanmoins, les oeuvres de cet énervé de Germanie et en particulier Zarathoustra ont déchaîné un flot d'insanités. Il fut un temps ou chaque revue française, chaque périodique contenait une apologie ou un abattage du "retour éternel", de la "morale des maîtres", du "oui encore une fois" de la "reclassification des valeurs". L'âne joue un grand rôle dans Zarathoustra, un plus grand rôle encore dans la bibliographie du nietzschéisme. Les uns lui ont reproché d'être un thuriféraire de la force, ce qui n'a positivement aucun sens ; car une application de la force est nécessaire à toutes les opérations salutaires ici-bas, et le dédain de la force mène tout bonnement les dédaigneux à l'esclavage. Il faut que la force de ceux qui ont raison l'emporte sur la force de ceux qui ont tort, voilà tout. L'imbécile, le libéral, qui croit que personne n'a tout à fait raison ni tout à fait tort, peuvent seuls se permettre de mépriser la force outil du droit. D'autres ont exalté Nietzsche à cause de ses blasphèmes et de son anticatholicisme, qui sont ce qu'il y a de plus niais, de plus inopérant dans son oeuvre. Sur ce point, il est Homais II. Sa conception de la Rome papale est dérivée de celle de Fischart et des pamphlétaires allemands de la Réforme. Sa Généalogie de la morale est bête à pleurer. Sans compter le mortel ennui qui se dégage de ses plaisanteries épaisses, à la lisière de la paralysie générale. » <p.342>
Jean COCTEAU / Le Rappel à l'ordre / Romans, Poésies, OEuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« Nietzsche écrit dans Ecce Homo : "La France qui possède des psychologues comme madame Gyp, Guy de Maupassant, Jules Lemaître." Jules Lemaître était très bon pour moi. Un jour que je lui citais la phrase et que je m'étonnais de cette nomenclature hétéroclite : "Mais, mon enfant, me dit-il, Nietzsche parle de ce qu'on trouve à la gare de Sils-Maria." Ce joli mot éclaire les dangers de la solitude. » <p.482>
Friedrich NIETZSCHE / Ecce Homo. (1888) / OEuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
La citation exacte :
« Je ne vois pas dans quel siècle de l'histoire on pourrait réunir, par un plus beau coup de filet, des psychologues si curieux et en même temps si délicats que dans le Paris actuel : je nomme au hasard - car leur nombre est considérable - MM. Paul Bourget, Pierre Loti, Gyp, Meilhac, Anatole France, Jules Lemaître ou, pour en distinguer un autre, de ceux de la forte race, un vrai latin que j'aime particulièrement, Guy de Maupassant. » <p.1135>
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Pour la septième ou huitième fois (au moins), essayé Also sprach Zarathustra. IMPOSSIBLE. Le ton de ce livre m'est insupportable. Et toute mon admiration pour Nietzsche ne parvient pas à me le faire endurer. Enfin il me paraît, dans son oeuvre, quelque peu surérogatoire ; ne prendrait de l'importance que si les autres livres n'existaient pas. Sans cesse je l'y sens jaloux du Christ ; soucieux de donner au monde un livre qu'on puisse lire comme on lit l'Évangile. Si ce livre est devenu plus célèbre que tous les autres de Nietzsche, c'est que, au fond, c'est un roman. Mais, pour cela précisément, il s'adresse à la plus basse classe de ses lecteurs : ceux qui ont encore besoin d'un mythe. Et ce que j'aime surtout en Nietzsche, c'est sa haine de la fiction. » <22 juin 1930 p.990>
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Nietzsche n'est pas une nourriture - c'est un excitant. » <Philosophie p.486>
Emil CIORAN / De l'inconvénient d'être né (1973) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« La grande chance de Nietzsche d'avoir fini comme il a fini. Dans l'euphorie ! » <p.1284>
« À un étudiant qui voulait savoir où j'en étais par rapport à l'auteur de Zarathoustra, je répondis que j'avais cessé de le pratiquer depuis longtemps. Pourquoi ? me demanda-t-il. - Parce que je le trouve trop naïf... Je lui reproche ses emballements et jusqu'à ses ferveurs. Il n'a démoli des idoles que pour les remplacer par d'autres. Un faux iconoclaste, avec des côtés d'adolescent, et je ne sais quelle virginité, quelle innocence, inhérentes à sa carrière de solitaire. Il n'a observé les hommes que de loin. Les aurait-il regardés de près, jamais il n'eût pu concevoir ni prôner le surhomme, vision farfelue, risible, sinon grotesque, chimère ou lubie qui ne pouvait surgir que dans l'esprit de quelqu'un qui n'avait pas eu le temps de vieillir, de connaître le détachement, le long dégoût serein. » <p.1323>
Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« Nietzsche, fier de son "instinct", de son "flair", s'il a senti l'importance d'un Dostoïevski, combien d'erreurs en revanche, et quel engouement pour quantité d'écrivains de seconde et de troisième zone ! Ce qui est confondant, c'est qu'il ait cru lui aussi que derrière Shakespeare se cachait Bacon, le moins poète des philosophes. » <p.1491>
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Bergson avouait qu'il ne pouvait pas lire du Nietzsche ; que dirait-il aujourd'hui s'il voyait que nous ne pouvons pas lire du Bergson ? » <juin 1966 p.373>