ÉRASME / Éloge de la Folie / Robert Laffont - Bouquins 1992
Le mythe de l'âge d'or :
« La race simple de l'âge d'or, dépourvue de toute science, vivait sans autre guide que l'instinct de Nature. Car quel besoin avait-on de la grammaire quand il n'y avait qu'une langue et qu'on ne demandait rien d'autre à la parole que de se faire comprendre ? Quelle aurait été l'utilité de la dialectique quand il n'y avait pas de lutte entre opinions rivales ? Quelle aurait été la place de la rhétorique quand nul ne cherchait chicane à autrui ? À quoi bon la jurisprudence en l'absence de mauvaises moeurs, d'où sont nées, sans nul doute, les bonnes lois ? Puis on était trop religieux pour scruter avec une curiosité impie les arcanes de la Nature, la dimension des astres, leurs mouvements, leurs influences, et les ressorts cachés du monde ; on estimait sacrilège qu'un mortel cherche à savoir au-dessus de sa condition. Quant à s'enquérir de ce qui est au-delà du ciel, cette démence ne venait même pas à l'esprit. Cependant, à mesure que disparaissait la pureté de l'âge d'or, les arts, comme je l'ai dit, furent d'abord inventés par de mauvais génies, mais en petit nombre et eurent peu d'adeptes. Ensuite, la superstition des Chaldéens et l'oisive frivolité des Grecs en ajoutèrent une multitude qui devinrent des tortures pour l'esprit, à telle enseigne que la grammaire à elle seule suffit bien à faire le supplice de toute une vie. » <p.39>
« Tenez, ne voyez-vous pas que dans la totalité du règne animal les espèces les plus heureuses sont celles qui ignorent absolument toute science et ne reconnaissent d'autre maître que la nature ? Quoi de plus heureux ou de plus merveilleux que les abeilles ? Pourtant elles n'ont même pas tous les sens. L'architecture peut-elle les égaler dans la construction d'édifices ? Quel philosophe a jamais fondé semblable république ? » <p.40>
Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / OEuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989
« J'aime tout de la nature, même ce qui passe pour laid et triste, même l'hiver et la tempête. Je ne me blase pas, je n'éprouve pas le besoin de critiquer, je jouis bêtement, j'admire éperdument, je n'ai pas une objection aux montagnes, je suis incapable de faire de la peine à la mer par une restriction. » <1860 p.54>
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« La vraie horreur de la nature consiste à préférer sincèrement les tableaux aux paysages et les confitures aux fruits. » <10 juillet 1865 p. 1174>
Henry D. THOREAU / Marcher (1862) / Désobéir / Bibliothèques 10/18 (2832) Éd. de L'Herne 1994
« Ce qui est sauvage s'accorde avec la vie et le plus vivant est aussi le plus sauvage. Libre encore du joug de l'homme, sa présence est pour lui rafraîchissante. Celui qui voudrait toujours aller de l'avant, travailler sans relâche, croître rapidement et beaucoup solliciter l'existence devrait toujours se trouver dans un pays neuf ou une nature sauvage, entouré de toutes les matières premières de la vie. Il devrait grimper sur les troncs abattus d'une forêt primitive. » <p.101>
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« De mon temps, la nature signifiait encore un tas de choses. - Laissez faire la nature, disait-on à tout propos, laissez agir la nature. Maintenant on ne parle plus que de microbes et la nature est remplacée par une seringue. Idole pour idole, j'aime mieux l'ancienne. Elle était agréable à voir, beaucoup moins sotte et beaucoup moins dangereuse. Elle fut adorée, surtout au dix-huitième siècle, époque où subsistait encore en France un vif sentiment du ridicule. Il est certain que notre Bourgeois a perdu ce sentiment-là. Sans doute il ne dit plus, comme au temps de Jean-Jacques Rousseau, que le retour à l'état de nature serait idéal. Un je ne sais quoi l'avertit qu'il y aurait de l'imprudence à paraître in naturalibus à son café, à se manifester brusquement à poil, dans le voisinage des sergots* ; mais il supporte et même il sollicite, entre beaucoup d'autres choses, les aventures malpropres et fabuleuses de la médecine contemporaine. » <p.134>
* sergot : sergent de ville, ancien nom de l'agent de police.
Maurice DONNAY / L'esprit de Maurice Donnay / nrf Gallimard 1926
« Lorsqu'on souffre trop, il faut s'en aller dans la solitude, dans la nature où toutes les douleurs se fondent et se dissolvent, parce que nos plus grandes douleurs sont petites, et que le plus petit coin de campagne est très grand. » <p.125>
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La "loi de la nature", une superstition. - Si vous parlez avec tant d'enthousiasme de la conformité aux lois qui existe dans la nature, il faut que vous admettiez soit que, par une obéissance librement consentie et soumise à elle-même, les choses naturelles suivent leur loi - en quel cas vous admirez donc la moralité de la nature - ; soit que vous évoquiez l'idée d'un mécanicien créateur qui a fabriqué la pendule la plus ingénieuse en y plaçant, en guise d'ornements, les êtres vivants. - La nécessité dans la nature devient plus humaine par l'expression "conformité aux lois", c'est le dernier refuge de la rêverie mythologique. » <9 p.709>
François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
« La conception darwinienne a une conséquence inéluctable : le monde vivant aujourd'hui, tel que nous le voyons autour de nous, n'est qu'un parmi de nombreux possibles. Sa structure actuelle résulte de l'histoire de la terre. Il aurait très bien pu être différent. Il aurait même pu ne pas exister du tout ! » <p.35-36>
Raymond DEVOS / Sens dessus dessous. (sketches) / Stock 1976 LdP5102
« Récemment, je bavardais avec un ancien officier. Pendant la guerre, il avait été le bras droit d'un général. Il ne lui restait plus que le bras gauche. Au cours d'une attaque, alors qu'il avait la main dans sa poche, son bras a été emporté par un obus. Et la main est restée dans la poche. Il me disait : - Ce que la nature est bien faite ! Vous ne pouvez pas savoir ce qu'il est difficile de retirer sa main de sa poche sans son bras ! » <p.181>