ÉRASME / Éloge de la Folie / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Si les hommes qui se sont donnés à l'étude de la sagesse sont généralement malheureux, surtout dans leur progéniture, je pense que c'est parce que la nature, dans sa prévoyance, veille à ce que la contagion de la sagesse ne se répande pas trop parmi les mortels. C'est ainsi que Cicéron, comme on sait, eut un fils dégénéré et les enfants du sage Socrate, comme le fait remarquer justement un écrivain, ressemblaient plus à leur mère qu'à leur père, c'est-à-dire qu'ils étaient fous. » <p.30-31>
« Conviez un sage à un bon repas, il le troublera par son morne silence ou ses questions déplacées. Invitez-le au bal, vous croirez voir un chameau danser. Entraînez-le au spectacle, son seul visage empêchera le peuple de s'amuser et le sage Caton sera forcé de quitter le théâtre, faute d'avoir pu se dérider le sourcil. S'il survient dans une conversation, c'est l'arrivée du loup de la fable. S'agit-il d'un achat, d'un contrat, bref d'un de ces actes nécessaires au cours ordinaire de la vie ? Votre sage a plutôt l'air d'une bûche que d'un homme. Ainsi ne peut-il être utile ni à lui-même, ni à sa patrie, ni aux siens dans la moindre circonstance, car il ignore tout des réalités les plus élémentaires et il est à mille lieues de l'opinion commune et des usages courants. Il est donc fatal qu'il soit détesté pour être aussi différent des autres par sa manière de vivre et de penser. En effet, tout ce qui se fait chez les mortels est plein de folie, fait par des fous, devant des fous. S'il en est un qui veuille s'opposer à tous les autres, je lui conseillerai de faire comme Timon, de partir dans un désert pour y jouir seul de sa sagesse. » <p.31>
Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962
« L'ame qui loge la philosophie doit, par sa santé, rendre sain encores le corps. Elle doit faire luire jusques au dehors son repos et son ayse ; doit former à son moule le port exterieur, et l'armer par consequent d'une gratieuse fierté, d'un maintien actif et allegre, et d'une contenance contente et debonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c'est une esjouïssance constante ; son estat est comme des choses au dessus de la Lune : toujours serein. » <t.1 p.173 livre I chap.XXVI>
LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967
« La sagesse est à l'âme ce que la santé est pour le corps. » <M 42 p.170>
« Les plus sages le sont dans les choses indifférentes, mais ils ne le sont presque jamais dans leurs plus sérieuses affaires. » <MS 22 p.140>
Blaise PASCAL / Pensées / OEuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Peu de tout. Puisqu'on ne peut être universel en sachant tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir peu de tout. Car il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d'une chose ; cette universalité est la plus belle. Si on pouvait avoir les deux encore mieux, mais s'il faut choisir, il faut choisir celle-là, et le monde le sait et le fait, car le monde est un bon juge souvent. » <42 p.1098>
Charles de SAINT-ÉVREMOND / OEuvres mêlées (12) / Paris, C.Barbin 1693
« Il n'y a point de manie plus inutile que la sagesse de ces gens qui s'érigent en réformateurs du siècle. » <Maximes, XXIX, p.231>
Baltasar GRACIÁN / Maximes / Paris, Rollin fils 1730
« Un sage de l'antiquité réduisait la sagesse à la modération en tout. Une justice trop rigoureuse devient injuste ; Une orange trop pressée, devient amère ; Un plaisir outré n'est plus un plaisir ; Un esprit même qui subtilise trop, s'évapore ; Quand on veut tirer trop de lait le sang vient. » <Maxime LXXXII Ne rafiner jamais, ni sur le bien, ni sur le mal, p.93>
Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / OEuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique. Celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce qu'il vient d'apprendre lui-même ; celui qui sait beaucoup pense à peine que ce qu'il dit puisse être ignoré, et parle plus indifféremment. » <p.173 V (76)>
« L'esprit de modération et une certaine sagesse dans la conduite laissent les hommes dans l'obscurité ; il leur faut de grandes vertus pour être connus et admirés, ou peut-être de grands vices. » <p.378 XIII (112)>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« On peut bien dire à un homme sage "Vous êtes fou". On peut bien dire à un homme d'esprit "Vous êtes un sot". Mais le moyen de dire à un sot qu'il est un sot et à un fou qu'il est un fou ? » <t.1 p.75>
« Une docte ignorance est une ignorance qui se connoît. » <t.1 p.175>
« Le mot sage dit à un enfant, c'est un mot qu'il comprend toujours et qu'on ne lui explique jamais. » <10 août 1813 t.2 p.393>
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« M... disait qu'un esprit sage, pénétrant et qui verrait la société telle qu'elle est, ne trouverait partout que de l'amertume. Il faut absolument diriger sa vue vers le côté plaisant, et s'accoutumer à ne regarder l'homme que comme un pantin et la société comme la planche sur laquelle il saute. Dès lors, tout change : l'esprit des différents états, la vanité particulière à chacun d'eux, ses différentes nuances dans les individus, les friponneries, etc., tout devient divertissant, et on conserve la santé. » <670 p.203>
Arthur SCHOPENHAUER / Pensées et fragments / Alcan 1900 [BnF]
« "Ni aimer, ni haïr," c'est la moitié de la sagesse humaine : "ne rien dire et ne rien croire" l'autre moitié. Mais avec quel plaisir on tourne le dos à un monde qui exige une pareille sagesse. » <p.216>
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Ombre dans la flamme. - La flamme n'est pas aussi lumineuse pour elle-même que pour les autres qu'elle éclaire : de même aussi le sage. » <570 p.670>
« Novices en philosophie. - Vient-on de recevoir la sagesse d'un philosophe, on s'en va par les rues avec le sentiment d'être réformé et devenu un grand homme ; car on ne trouve que des gens qui ne connaissent pas cette sagesse, par conséquent on a sur tout une nouvelle décision inconnue à proposer : parce qu'on reconnaît un code, on pense dès lors pouvoir se poser aussi en juge. » <594 p.675>
« Le sage qui se fait passer pour fou. - La charité du sage le pousse parfois à paraître ému, fâché, réjoui, pour ne pas blesser son entourage par la froideur et la lucidité de sa vraie nature. » <246 p.789>
« A quoi l'on peut mesurer la sagesse. - L'augmentation de la sagesse se laisse mesurer exactement d'après la diminution de bile. » <348 p.953>
« Le vieillard n'a pas plus d'expérience pour la vieillesse que n'en a pour la jeunesse l'homme qui entre dans la vie ; le vieillard n'a d'expérience que celle qui ne peut plus lui servir ; - la plus grande sagesse à laquelle l'homme puisse arriver ne peut s'appliquer qu'à un temps qui ne lui appartient plus. » <Novembre 1841, p.147>
Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]
« La sagesse du vieillard ne consiste que dans l'impuissance d'être fou. » <p.283>
Paul MASSON / Pensées d'un Yoghi / Paris, L.Vanier 1896 [BnF]
« "Cache ta vie" dit le Sage. Qui donnera alors le bon exemple ? » <262 - p.60>
« L'expérience se paye si cher, qu'il faut bien pardonner à ceux qui l'ont acquise de la prendre pour la sagesse. » <p.3>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La sagesse des Nations, cette imbécile. » <20 juillet 1898 p.390>
Théodore MONOD / Et si l'aventure humaine devait échouer / Grasset & Fasquelle 2000
« Les lieux communs et les dictons de la prétendue "sagesse des nations" sont bien la forme la plus insidieuse et la plus malfaisante du mensonge. "L'argent n'a pas d'odeur" ? Alors qu'il pue terriblement. Si vis pacem para bellum ? Alors qu'il n'est pas d'exemple dans l'histoire de course pacifique aux armements qui ne s'achève dans le sang. "La fin justifie les moyens" ? Et c'est la torture réinstallée dans la plupart des polices et toutes les armées du monde... Et, bien entendu, le fameux : "On n'arrête pas le progrès", argument péremptoire, définitif, dès qu'il s'agit de justifier une nouvelle sottise. » <p.105>
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Sur la folie - Lettre à Dominique. Les cas les plus intéressants sont ceux qui ne s'éloignent pas infiniment de la normale. On trouve alors que l'équilibre mental est une apparence, que le fou est un grossissement de l'homme sain, - que tout esprit sain vu à la loupe est un grouillement d'éléments de démence. Peut-être dans le sage sont-ils assez divers pour se compenser à peu près et chez le fou, sont-ils moins variés, et les impulsions s'ajoutent-elles jusqu'à rompre tous les obstacles que la présence du réel oppose aux puissances nerveuses ? » <Psychologie p.982>
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« ... il y a une part de bêtise chez le redresseur de torts, le redresseur d'erreurs. Le vrai sage c'est celui qui se dit : quels niais, tous ces gens qui se laisse duper. Après tout, si cela leur plaît ? L'essentiel, c'est que moi, je ne sois pas dupe. Le misanthrope est comique qui dit son fait à tout le monde. Le redresseur d'erreurs peut l'être tout autant. » <21 septembre 1927 I p.2030>
Jean COCTEAU / Opium / Romans, Poésies, OEuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« La sagesse est d'être fou lorsque les circonstances en valent la peine. » <p.600>
Antoine BLONDIN / Certificats d'études / OEuvres / Robert Laffont - Bouquins 1991
« Ce qui est troublant, chez Jean Cocteau, c'est qu'il faille le prendre au sérieux. On a tôt fait de déceler le déséquilibré quand il est précisément un équilibriste. » <p.797>
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« C'est une grande sagesse que d'oser paraître imbécile mais il y faut un certain courage que je n'ai pas toujours eu. » <14 janvier 1912 p.357>
« Celui qui proteste fera plus tard, du savoir renoncer, la sagesse de sa vie. » <p.394>
« Toutes les pensées qu'alimentait naguère le désir, toutes les inquiétudes qu'il soulevait, ah ! qu'il devient difficile de les comprendre, alors que la source de la convoitise tarit. Et comment s'étonner dès lors de l'intransigeance de ceux qui n'ont jamais été menés par le désir ?...Il semble, l'âge venant, qu'on se soit surfait quelque peu ses exigences et l'on s'étonne de voir de plus jeunes que soi s'en laisser tourmenter encore. Les vagues retombent lorsque le vent ne souffle plus ; tout l'océan s'endort pour pouvoir refléter le ciel. Savoir souhaiter l'inévitable, toute la sagesse est là. Toute la sagesse du vieillard. » <23 octobre 1927 p.855>
« La sagesse commence où finit la crainte de Dieu. Il n'est pas un progrès de la pensée qui n'ait paru d'abord attentatoire, impie. » <15 janvier 1929 p.906>
« Sans doute, est-il bien peu de préceptes de sagesse (et je doute si même il y en a quelques-uns) qui, pris sous un certain biais, ne semble folie. » <4 juillet 1933 p.1176>
André GIDE / Journal 1939-1949 Souvenirs / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Il y a quelque... romantisme à se désoler que les choses ne soient pas autrement qu'elles ne sont ; c'est-à-dire qu'elles ne peuvent être. C'est sur le réel qu'il nous faut édifier notre sagesse, et non point sur l'imaginaire. Même la mort doit être admise par nous et nous devons nous élever jusqu'à la comprendre ; jusqu'à comprendre que l'émerveillante beauté de ce monde vient de ceci précisément que rien n'y dure et que sans cesse ceci doit céder place et matière pour permettre à cela, qui n'a pas encore été, de se produire ; le même, mais renouvelé, rajeuni ; le même, et pourtant imperceptiblement plus voisin de cette perfection à laquelle il tend sans le savoir et dont se forme lentement le visage même de Dieu. » <10 mai 1940 p.20>
Sacha GUITRY / Les Femmes et l'Amour / Cinquante ans d'occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« - Sois sage ! Ce conseil salutaire est ordinairement le premier qu'on nous donne. Combien il est prématuré ! On nous le donne sur tous les tons, du ton de la prière au ton de la menace, ce qui tend à le déconsidérer aux yeux mêmes de ceux qui nous proposent la sagesse. Ils y renoncent assez vite et, sitôt que nous avons l'âge dit "de raison", il n'en est plus question - et il n'en est plus question d'ailleurs. Jusqu'à l'âge de dix ans, nos parents nous recommandent d'être sages. De dix à vingt ans, nos professeurs nous invitent à être sérieux, puis viennent nos premières maîtresses qui nous supplient d'être gentils. Enfin, voici nos épouses qui nous demandent d'être bons - et qui vont nous prier bientôt d'être indulgents. Et c'est alors qu'ayant bien travaillé, beaucoup souffert et bien aimé, nous nous apercevons qu'il faut avoir vécu pendant cinquante années pour suivre le conseil qu'on nous donnait jadis. Ayant atteint la soixantaine, nous nous efforçons en effet d'être sages. » <p.230-231>
Francis PICABIA / Dits / Eric Losfeld 1960
« La sagesse n'est qu'un gros nuage à l'horizon. » <p.9>
ALAIN / Mars ou la guerre jugée / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Le défaut de l'homme inculte est qu'il croit trop. Un esprit cultivé allège ; comme si beaucoup d'idées y vivaient ensemble par une politique provisoire, sans s'accorder toutes ; et c'est le propre d'un esprit juste, dans tous les sens de ce mot, que le oui et le non y vivent en paix, comme on voit en Montaigne ; aussi les lourds et précipités jugeurs ne le peuvent suivre. Il est pourtant clair qu'il y a une manière d'être assuré en ses opinions qui n'est pas bonne, comme les fous et les maniaques le font voir. Il est vrai qu'aussi le sage ne doute point de tout, et Montaigne non plus. Ces débats ne se terminent point en deux ou trois arguments. J'ai observé chez des hommes de sens une masse difficile à déplacer, reposant sur elle-même et bien assise, nullement prête à s'écrouler par ici ou par là. Je dirais d'eux non pas qu'ils doutent de beaucoup de choses, mais plutôt qu'ils sont assurés de beaucoup de choses. Et voilà un équilibre que ni les métiers ni les sciences ne peuvent donner, parce que le fait et l'argument y ont une force brutale ; la guerre habite en ces dogmatiques. » <p.658>
Emil CIORAN / De l'inconvénient d'être né (1973) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« X m'insulte. Je m'apprête à le gifler. Réflexion faite, je m'abstiens. Qui suis-je ? quel est mon vrai moi : celui de la réplique ou celui de la reculade ? Ma première réaction est toujours énergique ; la seconde, flasque. Ce qu'on appelle "sagesse" n'est au fond qu'une perpétuelle "réflexion faite", c'est-à-dire la non-action comme premier mouvement. » <p.1282>
« Le sage est celui qui consent à tout, parce qu'il ne s'identifie avec rien. Un opportuniste sans désirs. » <p.1300>
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Qu'est-ce qu'un sage ? Un Lucifer gâteux. » <14 novembre 1972 p.998>
André COMTE-SPONVILLE / L'amour la solitude / Ed. Paroles d'Aube 1996
« Il y a bien des années, quand je me piquais encore un peu de littérature, je me souviens avoir écrit une nouvelle très courte, la plus courte que j'aie jamais écrite, et dont je crois qu'elle fut aussi la dernière. Elle tenait en une phrase, et devait s'appeler Le sage. La voici : "Tout à la fin de sa vie, le sage comprit que la sagesse non plus n'avait pas d'importance." C'était encore de la littérature. Que la sagesse n'ait pas d'importance, la plupart le comprennent bien avant, qui ne sont sages qu'à cette condition. La sagesse n'est qu'un rêve de philosophe, dont la philosophie doit aussi nous libérer. La sagesse n'existe pas : il n'y a que des sages, et ils sont tous différents, et aucun bien sûr ne croit à la sagesse... » <p.39>
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« Sagesse comparative : ce sont les trahisons qui donnent tout son prix à la fidélité, les maladies qui permettent d'apprécier, lorsqu'elle réapparaît, la bonne santé, la mort des autres qui incite à se féliciter égoïstement au sortir des cimetières d'être encore en vie. » <p.105>
Georges PICARD / Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison / José Corti 1999
« L'excès n'est pas toujours là où on l'attend : attention aux sages qui, au nom de la mesure, finissent par aplanir toute idée saillante et par recouvrir de sable les pistes les mieux tracées. Avec eux, il y a risque de tout perdre, à commencer par la compréhension de notre propre point de vue. » <p.167>