René-Louis de Voyer marquis d'ARGENSON / Mémoires et journal inédit (t.5) / Paris, Plon 1858 [BnF]
« - Laisser faire*, telle devrait être la devise de toute puissance publique, depuis que le monde est civilisé. Les hommes sont sortis de la barbarie ; ils cultivent très bien les arts ; ils ont des lois, des modèles, des essais en tous genres pour connaître où sont les bonnes pratiques. Laissez-les faire, et vous observerez que là où l'on suit le mieux cette maxime tout s'en ressent. Dans les républiques, les patrimoines particuliers engraissent et fleurissent ; chacun y jouit de son bien ; on y voit prospérer les arts utiles. Il en est de même en nos pays d'État : tout ce qui échappe à l'autorité et laisse l'action de l'homme plus libre prend son essor et fructifie. » <p.364>
* Cette formule célèbre, reprise par tous les partisans du libéralisme économique, est attribuée à l'économiste Vincent de Gournay (1712-1759) ; mais c'est dans les mémoires du marquis d'Argenson (ministre des Affaires étrangères sous Louis XV, 1694-1757) qu'on en trouve la première trace écrite.
Théophile GAUTIER / Mademoiselle de Maupin (1835) / OEuvres / Robert Laffont - Bouquins 1995
« À quoi sert la beauté des femmes ? Pourvu qu'une femme soit médicalement bien conformée, en état de recevoir l'homme et de faire des enfants, elle sera toujours assez bonne pour des économistes. » <Préface, p.193>
VOLTAIRE / Idées républicaines (1762) / Mélanges / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961
« On ne doit pas plus régler les habits, du riche que les haillons du pauvre. Tous deux, également citoyens, doivent être également libres. Chacun s'habille, se nourrit, se loge, comme il peut. Si vous défendez au riche de manger des gelinottes, vous volez le pauvre, qui entretiendrait sa famille du gibier qu'il vendrait au riche. Si vous ne voulez pas que le riche orne sa maison, vous ruinez cent artistes. Le citoyen qui par son faste humilie le pauvre enrichit le pauvre par ce même faste beaucoup plus qu'il ne l'humilie. L'indigence doit travailler pour l'opulence, afin de s'égaler un jour à elle. » <XXI p.508>
Victor HUGO / Choses vues / Histoire / OEuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987
« Le luxe est un besoin des grands états et des grandes civilisations. Cependant il y a des heures où il ne faut pas que le peuple le voie. Mais qu'est-ce qu'un luxe qu'on ne voit pas ? Problème. Une magnificence dans l'ombre, une profusion dans l'obscurité, un faste qui ne se montre pas, une splendeur qui ne fait mal aux yeux à personne. Cela est-il possible ? Il faut y songer pourtant. Quand on montre le luxe au peuple dans des jours de disette et de détresse, son esprit, qui est un esprit d'enfant, franchit tout de suite une foule de degrés ; il ne se dit pas que ce luxe le fait vivre, que ce luxe lui est utile, que ce luxe lui est nécessaire. Il se dit qu'il souffre, et que voilà des gens qui jouissent. Il se demande pourquoi tout cela n'est pas à lui. Il examine toutes ces choses non avec sa pauvreté qui a besoin de travail et par conséquent besoin des riches, mais avec son envie. Ne croyez pas qu'il conclura de là : Eh bien ! cela va me donner des semaines de salaire, et de bonnes journées. Non, il veut, lui aussi, non le travail, non le salaire, mais du loisir, du plaisir, des voitures, des chevaux, des laquais, des duchesses. Ce n'est pas du pain qu'il veut, c'est du luxe. Il étend la main en frémissant vers toutes ces réalités resplendissantes qui ne seraient plus que des ombres s'il y touchait. Le jour où la misère de tous saisit la richesse de quelques-uns, la nuit se fait, il n'y a plus rien. » <p.718-719>
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« L'impôt du luxe. - On achète dans les magasins les choses nécessaires et les plus indispensables et on les paye fort cher, car on vous fait payer en même temps pour ce qu'il y a d'autre à vendre et qui ne trouve que rarement acquéreur : les objets de luxe et les fantaisies. C'est ainsi que le luxe met un impôt continuel sur les choses simples qui peuvent se passer de lui. » <238 p.920>
« Partout où il y a beaucoup de machines pour remplacer les hommes, il y aura beaucoup d'hommes qui ne seront que des machines. L'effet des machines, en épargnant les hommes, doit être à la longue de diminuer la population. » <Pensées, p.1284>
« Le luxe n'est souvent qu'une recherche inquiète de perfection ; le faste, au contraire, est un étalage insolent et sans goût de la richesse : voilà pourquoi le faste se trouve presque toujours avec la sottise, et le luxe avec les délicatesses de l'esprit et l'élévation des sentiments. » <Pensées, p.1375>
Benjamin FRANKLIN / Mélanges de Morale, d'Économie et de Politique (t.2) / Paris, J.Renouard 1826 [BnF]
« L'espérance d'arriver un jour à pouvoir se procurer les objets de luxe, n'est-elle pas un puissant aiguillon pour le travail et pour l'industrie ? Le luxe ne peut-il pas alors produire plus qu'il ne consomme, s'il est vrai que, faute de cet aiguillon, les hommes seraient paresseux et indolents, comme ils sont assez généralement portés à l'être ? » <Réflexions sur le luxe, p.114>
Benjamin CONSTANT / De l'esprit de conquête et de l'usurpation (1814) / GF 456 Flammarion 1986
« La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d'arriver au même but, celui de posséder ce que l'on désire. Le commerce n'est autre chose qu'un hommage rendu à la force du possesseur par l'aspirant à la possession. C'est une tentative pour obtenir de gré à gré ce qu'on n'espère plus conquérir par la violence. Un homme qui serait toujours le plus fort n'aurait jamais l'idée du commerce. C'est l'expérience qui, en lui prouvant que la guerre, c'est-à-dire, l'emploi de sa force contre la force d'autrui, est exposée à diverses résistances et à divers échecs, le porte à recourir au commerce, c'est-à-dire, à un moyen plus doux et plus sûr d'engager l'intérêt des autres à consentir à ce qui convient à son intérêt. » <p.87>
« Le commerce donne à la propriété une qualité nouvelle, la circulation. Sans circulation, la propriété n'est qu'un usufruit. L'autorité peut toujours influer sur l'usufruit ; car elle peut enlever la jouissance. Mais la circulation met un obstacle invisible et invincible à cette action du pouvoir social. » <p.223>
NAPOLÉON Ier/ Maximes de guerre et pensées / J. Dumaine Ed., Paris 1863
« Le commerce unit les hommes, tout ce qui les unit les coalise ; donc le commerce est nuisible au pouvoir despotique. » <116 p.241>
Georges COURTELINE / Philosophie / OEuvres / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Il y a des gens chez lesquels la simple certitude de les pouvoir satisfaire fait naître des besoins spontanés. » <p.806>
Antoine de SAINT-EXUPÉRY / Carnets / folio Gallimard 1999
« À la pédagogie normale s'ajoute une pédagogie incessante et d'une efficacité extraordinaire, et qui est la publicité. Une industrie basée sur le profit tend à créer - par l'éducation - des hommes pour les chewing-gums et non du chewing-gum pour les hommes. Ainsi de la nécessité pour l'automobile de créer la valeur "automobile" est né le stupide petit gigolo de 1926 exclusivement animé dans les bars par des images et comparaisons de carrosseries. Ainsi, du film, est née, dans la pâte humaine la plus admirable du monde, la star vide et stupide entre les stupides. Cet animal creux, et dont je ne crois même point qu'elle s'ennuie, car elle n'est pas née encore. » <p.90>
Paul VALÉRY / Regards sur le monde actuel / OEuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Il faut rappeler aux nations croissantes qu'il n'y a point d'arbre dans la nature qui, placé dans les meilleures conditions de lumière, de sol et de terrain, puisse grandir et s'élargir indéfiniment. » <p.934>
Alfred SAUVY / Mythologie de notre temps / Petite Bibliothèque Payot (191) 1971
« Les décisions politiques peuvent longtemps galoper, sans encourir la dure sanction des faits ; mais il n'en est pas de même pour l'économie. » <p.53-54>
Le chômage :
« L'opinion croit volontiers que le chômage est un phénomène moderne, propre aux pays industriels, et conséquence de la mécanisation. Ce qui est nouveau, ce n'est pas le chômage, c'est son enregistrement, sa rémunération, sa mise en statistiques et la publicité dont elle fait l'objet. C'est précisément parce qu'il est, dans notre économie moderne, considéré comme un mal, comme un fléau, qu'on en parle. » <p.82>
L'automatisation :
« La population active a partout fortement augmenté dans les pays qui ont eu recours à l'automatisation. En outre, c'est plutôt dans les pays où la production par tête s'est le plus élevée que le nombre d'emplois a le plus augmenté. Enfin, nouveau mythe, l'opinion croit que l'électronique supprime les manoeuvres, alors qu'il s'agit surtout des ouvriers qualifiés. Bien entendu, les emplois ne se multiplient pas nécessairement dans la branche qui bénéficie du progrès. Un grand nombre d'emplois nouveaux naissent dans les branches nouvelles, par accroissement de la richesse. » <p.87>
« Les hommes libérés dans certaines branches par la machine retrouveront du travail tant qu'il y aura de nouveaux besoins à satisfaire. Si le chômage existe, c'est parce que les pays industriels ont du mal à assurer l'emboîtage des activités et des besoins, essentiels évidemment pour assurer le plein emploi. » <p.89>
Le besoin :
« Depuis la guerre, la stimulation permanente de la demande fait apparaître peu à peu des besoins qui n'étaient que potentiels, privés et publics. Le besoin privé, objecte-t-on, ne peut-il pas être limité par le manque de temps pour consommer ? Non : vers 1800-1810, le voyageur en malle poste acquittait, en une heure de route, l'équivalent de 10 heures de travail (de manoeuvre). Aujourd'hui, le voyageur en avion acquitte, en une heure de vol, environ 40 heures de travail et s'il avait des revenus plus élevés, il voyagerait en 1er classe et consommerait 60 heures. » <p.90>
La gratuité :
« Ce mot exerce une force attractive d'une rare intensité. La gratuité, c'est non seulement un avantage matériel, mais une détente, une rupture des contraintes. Mais la gratuité n'est jamais gratuite. En régime capitaliste, si une catégorie sociale obtient la gratuité ou la semi-gratuité de tel produit ou service, elle y trouve le plus souvent son compte, au détriment des autres. La revendication est donc, sinon légitime, du moins logique. Si, par contre, il s'agit d'une gratuité générale, par exemple les produits pharmaceutiques, le métro, il faut voir où est la contrepartie. L'opération revient, en général, à faire payer le contribuable au lieu de l'usager. » <p.78>
La durée du travail :
« Le mythe prend deux formes : a) La croyance selon laquelle la mesure sera gratuite, sans pertes, ni manque à gagner. Il serait certes possible aujourd'hui le ne travailler que 15 heures ou même moins, si nous nous contentions des consommations de 1900. Mais le même progrès technique ne se mange pas deux fois. b) La croyance, plus répandue encore, selon laquelle la réduction de la durée du travail augmente à proportion le nombre des emplois. Cette idée résulte d'une opération arithmétique simple, qui suppose implicitement que rien n'est changé dans l'économie, en dehors de cette durée, comme si le travail total était une masse déterminée que l'on peut partager de diverses façons. Ces sophismes sont si séduisants qu'il est difficile d'y résister. Ceux qui les dénoncent passent pour des attardés, ou pour les défenseurs du camp des propriétaires. » <p.91>
« L'opinion ignore le plus souvent ou sous-estime l'importance du commerce extérieur. Exporter, croit-elle volontiers, c 'est écouler au-dehors des excédents ; il faut exporter, car il est avantageux de vendre. Que la nation exporte pour pouvoir acquérir des produits indispensables, laine, coton, jute, cuivre, zinc, pétrole, caoutchouc, huile, pour ne parler que des matières premières, n'est pas bien présent à l'esprit. » <p.104>
Georges ELGOZY / Le Fictionnaire ou précis d'indéfinitions / Denoël 1973
« Des deux maux, capitalisme et socialisme, comment ne point opter pour le capitalisme ? Une richesse injustement distribuée est préférable à une misère justement répartie. » <Option, p.247>
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« Les dévaluations sont aux démocraties ce que les banqueroutes étaient aux rois. » <20 juillet 1968, p.34>