« Voix de la chair : ne pas avoir faim, ne pas avoir soif, ne pas avoir froid ; celui qui dispose de cela, et a l'espoir d'en disposer à l'avenir, peut lutter pour le bonheur. » <33 p.213>
ÉPICTÈTE / Manuel / Les Stoïciens / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1962
« N'essaie pas que ce qui arrive arrive comme tu veux, mais veux ce qui arrive comme il arrive, et tu couleras des jours heureux. » <VIII p.1114>
ÉRASME / Éloge de la Folie / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Mais, dit-on, c'est un malheur d'être trompé. Non, ce n'est pas l'être qui est un très grand malheur. Car ceux qui croient que le bonheur de l'homme réside dans les réalités ont vraiment perdu l'esprit. Il dépend de l'opinion qu'on a d'elles. L'obscurité et la diversité des choses humaines sont telles qu'on ne peut rien savoir clairement, comme l'ont bien dit mes Académiciens, les moins orgueilleux des philosophes. Ou si on peut savoir quelque chose, c'est bien souvent aux dépens du plaisir de la vie. Enfin, l'âme humaine est ainsi modelée qu'on la prend beaucoup plus par le mensonge que par la vérité. Veut-on une expérience évidente et claire ? Qu'on aille écouter le sermon à l'église : s'il est question de choses sérieuses, tout le monde dort, bâille, s'ennuie. Si le braillard, pardon, je voulais dire l'orateur [jeu de mot en latin : clamator, celui qui pousse des cris, et declamator, celui qui déclame = l'orateur] commence, comme il est fréquent, par quelque histoire de bonne femme, tout le monde se réveille, se redresse, est bouche bée. [...] J'ai connu quelqu'un de mon nom qui fit présent à sa jeune femme de quelques pierres fausses et la persuada, car c'était un beau parleur, non seulement qu'elles étaient vraies et naturelles mais qu'elles avaient une valeur rare, inestimable. Eh bien, qu'est-ce que cela faisait à la jeune femme, puisqu'elle n'éprouvait pas moins de plaisir à repaître ses yeux et son esprit de la verroterie et qu'elle gardait cachés chez elle ces riens comme s'il s'agissait d'un précieux trésor ? En attendant le mari évitait une dépense, et profitait de l'illusion de son épouse qui lui était tout aussi reconnaissante que s'il lui avait offert un cadeau coûteux. » <p.52-54>
« Par les dieux immortels, y a-t-il plus heureux que cette espèce d'hommes qu'on appelle vulgairement bouffons, fous, sots, innocents, les plus beaux noms à mon avis ? Au premier abord, j'ai peut-être l'air de dire une chose folle et absurde ; c'est pourtant rigoureusement vrai. D'abord ils ignorent la crainte de la mort, qui, par Jupiter, n'est pas une petite misère. Ils ignorent les remords de conscience. Ils ne sont pas terrifiés par les histoires de revenants. Ils ne sont pas épouvantés par les spectres et les lémures, ni torturés par la crainte des maux qui les menacent, ni écartelés par l'espérance des biens à venir. Bref, ils ne sont pas déchirés par les mille tourments auxquels cette vie est en butte. Ils ignorent la honte, la crainte, l'ambition, l'envie, l'amour. Enfin, s'ils parviennent à l'inconscience des bêtes brutes, ils ne commettent même plus de péché, selon les théologiens. Maintenant, sage plein de folie, je voudrais que tu comptes avec moi tous les soucis qui jour et nuit tourmentent ton esprit, que tu réunisses en un seul tas tous les ennuis de ta vie, et tu comprendras enfin de combien de misères j'ai affranchi mes fous. Ajoutez-y que non seulement ils ne font que jubiler, s'amuser, chantonner, rire, mais de plus ils apportent à tous, partout où ils vont, le plaisir, le jeu, l'amusement et le rire, comme si la bienveillance des dieux les avait destinés à égayer la tristesse de la vie humaine. Aussi, tandis que les gens ont les uns envers les autres des sentiments divers, tout le monde les reconnaît également pour des amis, les recherche, les régale, les choie, les entoure, les secourt s'il arrive quelque chose, leur permet de dire ou de faire n'importe quoi impunément. On désire si peu leur nuire que même les bêtes sauvages s'abstiennent de leur faire du mal, les sentant d'instinct inoffensifs. Car ils sont véritablement consacrés aux dieux, en particulier à moi ; ce n'est donc pas à tort qu'on les respecte universellement. » <p.42>
Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962
« Les biens de la fortune, tous tels qu'ils sont, encores faut il avoir du sentiment pour les savourer. C'est le jouïr, non le posseder, qui nous rend heureux. » <t.1 p.293 livre I chap.XLII>
Blaise PASCAL / Pensées / OEuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« La nature nous rendant toujours malheureux en tous états, nos désirs nous figurent un état heureux, parce qu'ils joignent à l'état où nous sommes les plaisirs de l'état où nous ne sommes pas ; et, quand nous arriverions à ces plaisirs, nous ne serions pas heureux pour cela, parce que nous aurions d'autres désirs conformes à ce nouvel état. » <167 p.1131>
« Le sentiment de la fausseté des plaisirs présents et l'ignorance de la vanité des plaisirs absents causent l'inconstance. » <170 p.1132>
« Divertissement : Quand je m'y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines où ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. ~ Mais quand j'ai pensé de plus près, et qu'après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu en découvrir la raison, j'ai trouvé qu'il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près. » <205 p.1138>
« Le roi est environné de gens qui ne pensent qu'à divertir le roi, et à l'empêcher de penser à lui. Car il est malheureux, tout roi qu'il est, s'il y pense. » <205 p.1140>
« Il n'y a que trois sortes de personnes : les unes qui servent Dieu, l'ayant trouvé ; les autres qui s'emploient à le chercher, ne l'ayant pas trouvé ; les autres qui vivent sans le chercher ni l'avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux ; les derniers sont fous et malheureux ; ceux du milieu sont malheureux et raisonnables. » <364 p.1183>
VOLTAIRE / Lettres Philosophiques / Mélanges / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961
« Pourquoi nous faire horreur de notre être ? Notre existence n'est point si malheureuse qu'on veut nous le faire accroire. Regarder l'univers comme un cachot, et tous les hommes comme des criminels qu'on va exécuter, est l'idée d'un fanatique ; croire que le monde est un lieu de délices où l'on ne doit avoir que du plaisir, c'est la rêverie d'un sybarite. Penser que la terre, les hommes et les animaux sont ce qu'ils doivent être dans l'ordre de la Providence est, je crois, d'un homme sage. » <p.110>
VOLTAIRE / Discours en vers sur l'Homme / Mélanges / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961
« Un jeune colonel a souvent l'impudence De passer en plaisirs un maréchal de France. "Être heureux comme un roi", dit le peuple hébété : Hélas ! pour le bonheur que fait la majesté ? En vain sur ses grandeurs un monarque s'appuie ; Il gémit quelquefois, et bien souvent s'ennuie. » <p.212>
MONTESQUIEU / Mes pensées / OEuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949
« Remarquez bien que la plupart des choses qui nous font plaisir sont déraisonnables. » <990 p.1266>
« Le bonheur consiste plus dans une disposition générale de l'esprit et du coeur, qui s'ouvre au bonheur que la nature de l'Homme peut prêter, que dans la multiplicité de certains moments heureux dans la vie. Il consiste plus dans une certaine capacité de recevoir ces moments heureux. Il ne consiste point dans le plaisir, mais dans une capacité aisée de recevoir le plaisir, dans une espérance bien fondée de le trouver quand on voudra, dans une expérience que l'on n'a point un certain dégoût général pour les choses qui font la félicité des autres. » <1002 p.1269>
« Si on ne vouloit être qu'heureux, cela seroit bientôt fait. Mais on veut être plus heureux que les autres, et cela est presque toujours difficile, parce que nous croyons les autres plus heureux qu'ils ne sont. » <1003 p.1269>
Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS / Le Barbier de Séville (1775) / OEuvres complètes / Firmin-Didot 1865
« En toute espèce de biens, posséder est peu de chose ; c'est jouir qui rend heureux ; » <Acte IV scène i p.102>
VAUVENARGUES / Réflexions et maximes / Les moralistes français / Paris, Garnier frères 1875
« Il est faux qu'on ait fait fortune, lorsqu'on ne sait pas en jouir. » <57 - p.657>
Jonathan SWIFT / Pensées sur divers sujets loraux et divertissants / OEuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1965
« La règle stoïque de subvenir à nos besoins en supprimant nos désirs équivaut à se couper les pieds pour n'avoir plus besoin de chaussures. » <p.574>
Paul Henri Dietrich baron d'HOLBACH / La Morale universelle (I) / Amsterdam M.-M. Rey 1776 [BnF cote 1070]
« Le bonheur consiste à ne désirer que ce qu'on peut obtenir. » <I v p.57>
« Qu'il y aurait peu d'envieux si l'on réfléchissait combien il y a peu d'hommes vraiment heureux ou dignes d'être enviés ! » <III vi p.298>
Alexandre VIALATTE / Chroniques de La Montagne (2) / Robert Laffont - Bouquins 2000
« La punition de tous nos désirs est qu'un jour ils se réalisent. Et c'est pour notre déchirement. » <554 - 15 octobre 1963 p.205>
« Le bonheur ne cause que des ennuis. Le mieux est de ne pas s'en occuper. S'il vient tant mieux pour nous, s'il part tant pis pour lui. La pire erreur est de le chercher ou de vouloir le rattraper. Il va, il vient à son idée : le bonheur est un papillon, l'ombre de notre main l'effarouche. S'il existait on l'aurait su. Depuis qu'on le cherche on l'aurait trouvé. Ce n'est pas autre chose qu'une idée fixe. » <632 - 18 mai 1965 p.369>
« Melville raconte qu'il habitait une maison d'où il voyait sur la montagne une autre maison, lointaine, lointaine, où semblait habiter le bonheur. Il y alla et, de ce point élevé, il vit la sienne à l'horizon. Et ce fut la sienne, à ce moment là, qui lui donna cette impression. Le bonheur n'est jamais qu'en face. » <795 - 12 janvier 1969 p.726>
« Pour vivre heureux vivons caché. » <Le Grillon, p.94>
Lorédan LARCHEY / L'Esprit de tout le monde - Joueurs de mots (1891) / Berger-Levrault 1892
« Mlle DE LESPINASSE . Comme on parlait devant elle du vrai bonheur, elle finit par s'écrier : "Qui est-ce qui est heureux ?.. . des misérables !..." On attribue cette réflexion à d'Alembert, son ami. Béranger devait la paraphraser plus tard dans sa chanson : Les gueux sont des gens heureux. » <p.57>
Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]
« Le souverain bonheur consiste à posséder ce que l'on aime, et à aimer ce qu'on possède. » <30, p.6>
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l'âme / Domaine romantique José Corti 1997
« Comme l'homme vivrait heureux s'il s'occupait aussi peu des affaires d'autrui que des siennes ! » <G 75 p.347>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Une impression agréable, lorsqu'elle est courte, c'est plaisir ; lorsqu'elle est longue, c'est volupté ; lorsqu'elle est permanente, c'est le bonheur. Un bonheur causé par des impressions douces, flatteuses, que rien n'interrompt ni ne trouble, c'est félicité. » <juin 1783 t.1 p.70>
« N'est pas heureux qui ne veut l'être. » <28 avril 1802 t.1 p.480>
« Oui, il entre inévitablement dans la composition de tout bonheur parfait l'idée de l'avoir mérité. » <24 février 1803 t.1 p.517>
« Les mouvements de l'esprit, quand ils sont seuls, ne mesurent rien. Les battements du pouls mesurent le temps, les battements du coeur mesurent la vie ; mais la paix seule et les mouvements de notre âme mesurent le bonheur. » <18 mai 1806 t.2 p.119>
« Pour être tragiques, il faut que les malheurs soient rares. » <28 janvier 1808 t.2 p.243>
« Le plaisir n'est que le bonheur d'un point du corps. Le vrai bonheur, le seul bonheur, tout le bonheur est dans le bien-être de toute l'âme. » <12 mars 1818 t.2 p.556>
« Ne vous exagérez pas les maux de la vie et n'en méconnaissez pas les biens, si vous cherchez à vivre heureux. » <t.2 p.623>
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Quand on soutient que les gens les moins sensibles sont, à tout prendre, les plus heureux, je me rappelle le proverbe indien : "Il vaut mieux être assis que debout, être couché qu'assis ; mais il vaut mieux être mort que tout cela." » <155 p.81>
« Celui qui veut trop faire dépendre son bonheur de la raison, qui le soumet à l'examen, qui chicane, pour ainsi dire, ses jouissances, et n'admet que des plaisirs délicats, finit par n'en plus avoir. C'est un homme qui, à force de faire carder son matelas, le voit diminuer, et finit par coucher sur la dure. » <170 p.84>
« Je conseillerais à quelqu'un qui veut obtenir une grâce d'un ministre de l'aborder d'un air triste, plutôt que d'un air riant. On n'aime pas à voir plus heureux que soi. » <203 p.94>
STENDHAL / Journal / OEuvres intimes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1981
« Il est difficile de ne pas s'exagérer le bonheur dont on ne jouit pas. » <11 mars 1806 p.396>
Jérémie BENTHAM / Déontologie, ou Science de la morale t.1 / Paris : Charpentier, 1834 [BnF]
Définition utilitariste du bonheur :
« Qu'est-ce que le bonheur ? C'est la possession du plaisir avec exemption de peine. Il est proportionné à la somme des plaisirs goûtés et des peines évitées. Et qu'est-ce que la vertu ? C'est ce qui contribue le plus au bonheur, ce qui maximise les plaisirs et minimise les peines. Le vice, au contraire, c'est ce qui diminue le bonheur et contribue au malheur. » <p.25>
« Mais encore, qu'est-ce que le plaisir ? qu'est-ce que la peine ? Tous les hommes s'en forment-ils la même idée ? Loin de là : le plaisir, c'est ce que le jugement d'un homme, aidé de sa mémoire, lui fait considérer comme tel. Nul homme ne peut reconnaître dans un autre le droit de décider pour lui ce qui est plaisir, et de lui en assigner la quantité requise. De là une conclusion nécessaire, c'est qu'il faut laisser tout homme d'un âge mûr et d'un esprit sain juger en cette matière par lui-même, et qu'il y a folie et impertinence à vouloir diriger sa conduite dans un sens opposé à ce qu'il considère comme son intérêt. Et plus on examinera la chose, plus on se convaincra qu'il en est ainsi. » <p.37>
Anthelme BRILLAT-SAVARIN / Physiologie du goût / Charpentier, Paris 1839 [BnF]
« La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d'une étoile. » <Aphorisme IX, p.12>
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« La pensée est une maladie. L'être heureux, c'est l'idiot, le gâteux. - Non, l'être heureux par excellence serait celui qui aurait juste assez d'intelligence pour apprécier ses jouissances matérielles, être heureux de digérer. » <juin 1859 p.465>
Marcel PROUST / Du côté de chez Swann / À la recherche du temps perdu / Quarto Gallimard 1999
« On ne connaît pas son bonheur. On n'est jamais aussi malheureux qu'on croit. » <p.284>
« Le malheur veille et cherche ; - cachez votre bonheur, soyez heureux tout bas. » <Juillet 1842, p.53>
Alphonse KARR / Sous les orangers / M. Lévy frères 1859
« On appelle volontiers meilleur ce qu'on n'a pas. L'homme a adroitement placé son bonheur dans des choses impossibles et son malheur dans des choses inévitables. » <p.22>
Alphonse KARR / Une poignée de vérités / M. Lévy frères 1866
« On recommande souvent de respecter le malheur ; - et le bonheur donc ! c'est lui qui est rare, c'est lui qui est fragile, c'est lui qui a besoin d'être respecté. » <p.284>
Friedrich NIETZSCHE / Aurore. (1881) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« À l'individu, dans la mesure où il recherche son bonheur, il ne faut donner aucun précepte sur le chemin qui mène au bonheur : car le bonheur individuel jaillit selon ses lois propres, inconnues de tous, il ne peut être qu'entravé et arrêté par des préceptes qui viennent du dehors. » <108 p.1030>
Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Le bonheur est un mensonge dont la recherche cause toutes les calamités de la vie, mais il y a des paix sereines qui l'imitent, et qui sont supérieures peut-être. » <À Louise Colet, octobre 1847 p.476>
Gustave FLAUBERT / Dictionnaire des idées reçues / Bouvard et Pécuchet / Garnier-Flammarion 1966
« HEUREUX. - En parlant d'un homme heureux : "Il est né coiffé." On ne sait pas ce que ça signifie, et l'interlocuteur non plus. » <p.358>
Pierre-Marie QUITARD / Dictionnaire des proverbes et des locutions proverbiales / Paris, P. Bertrand 1842
Pour ne pas mourir idiot :
« - Il est né coiffé. Cette expression s'applique à une personne constamment heureuse, par allusion à la membrane appelée coiffe qui enveloppe la tête de quelques enfants, au moment de leur naissance, et qui a été regardée, dans tous les temps et chez presque tous les peuples, comme un présage de bonheur. Les Grecs tiraient de cette coiffe, nommée amnion dans leur langue, l'augure favorable de l'amniomancie. Les sages-femmes de Rome, dit Lampride, la vendaient très cher aux avocats, persuadés qu'en la portant sur eux comme une amulette ils seraient doués d'une éloquence irrésistible qui leur ferait gagner les causes les plus difficiles. Nos pères pensaient qu'elle était une marque visible de la protection céleste. » <p.246>
« Juste retour des choses : être né coiffé n'empêche jamais de mourir chauve. » <p.96>
Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Pour vivre, je ne dis pas heureux (ce but est une illusion funeste), mais tranquille, il faut se créer en dehors de l'existence visible, commune et générale à tous, une autre exigence interne et inaccessible à ce qui rentre dans le domaine du contingent, comme disent les philosophes. Heureux les gens qui ont passé leurs jours à piquer des insectes sur des feuilles de liège ou à contempler avec une loupe les médailles rouillées des empereurs romains ! Quand il se mêle à cela un peu de poésie ou d'entrain, on doit remercier le ciel de vous avoir fait ainsi naître. » <À Emmanuel Vasse de Saint-Ouen, 4 juin 1846 p.270>
Oscar WILDE / Formules et maximes / OEuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996
« On ne devrait vivre que pour le plaisir. Rien ne vieillit comme le bonheur. » <p.969>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Chacun trouve son plaisir où il le prend. » <15 juin 1887 p.4>
« Le vrai bonheur serait de se souvenir du présent. » <9 octobre 1891 p.78>
« Il ne suffit pas d'être heureux : il faut encore que les autres ne le soient pas. » <16 mai 1894 p.176>
« La gloire d'hier ne compte plus ; celle d'aujourd'hui est trop fade, et je ne désire que celle de demain. » <20 mars 1894 p.166>
« Le bonheur que les autres vous croient ajoute à notre détresse de savoir que nous ne sommes pas heureux. » <16 novembre 1900 p.479>
« Le bonheur ne rend pas bon. C'est une remarque qu'on fait sur le bonheur des autres. » <1 mars 1901 p.506>
« J'ai toujours vu les gens heureux, mais qui le sont à trop grands frais, envier le petit bonheur limité, dans un coin. » <17 novembre 1901 p.554>
« Être heureux, c'est être envié. Or, il y a toujours quelqu'un qui nous envie. Il s'agit de le connaître. » <1 juillet 1906 p.835>
« Le bonheur, c'est d'être heureux ; ce n'est pas de faire croire aux autres qu'on l'est. » <19 octobre 1906 p.852>
« Il faut être discret quand on parle de son bonheur, et l'avouer comme si l'on se confessait d'un vol. » <10 décembre 1906 p.862>
Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000
« Quand le malheur ne serait bon Qu'à mettre un sot à la raison Toujours serait-ce à juste cause Qu'on le dit bon à quelque chose. » <Livre sixième VII Le mulet se vantant de sa généalogie p.333>
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« A quelque chose malheur est bon. Le malheur des autres, cela va sans dire. Il n'y a même que cela de bon. Il est assez difficile de se figurer une chose heureuse arrivant à un voisin de campagne par exemple, et dont on puisse tirer parti. La preuve, c'est que le bonheur des uns ne fait pas le bonheur des autres, comme le dit fort exactement un autre Lieu Commun presque identique. » <p.144>
Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989
« Bonheur n. Agréable sensation qui naît de la contemplation de la misère d'autrui. » <p.33>
Paul-Jean TOULET / Le carnet de monsieur du Paur / OEuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Il vient un âge où le bonheur semble se retirer de la vie, comme ces lacs qu'un été trop long rétrécit entre leurs rives. » <p.285>
Anatole FRANCE / La Révolte des anges (1914) / Au tournant du siècle / Omnibus 2000
« On meurt en plein bonheur de son malheur passé. » <p.839>
Henry de MONTHERLANT / Carnets 1930-1944 / Essais / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1963
« Le malheur est presque toujours le signe d'une fausse interprétation de la vie. » <Carnet XX p.1007>
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Le bonheur se serait peut-être d'avoir de l'argent, une valise avec cinq ou six livres et ses vêtements, et de vivre tantôt ici, tantôt ailleurs, en changeant sans cesse de gens, de paysages, d'idées, sans aucun attachement, et en prenant des notes partout et surtout. On mourrait un jour ou l'autre, où l'on pourrait. Le moindre sentiment, la moindre affection, la moindre chose qu'on possède est une chaîne. » <17 janvier 1904 I p.106>
« Quand on pense à des choses de ce genre : le mariage, la guerre, la prison, les estropiés nés, les tordus, les contrefaits, les idiots, les fous, les syphilitiques, on sent le prix du bonheur d'y avoir échappé - jusqu'ici, du moins. » <16 octobre 1932 II p.1103>
« Toute révolution prétend travailler pour le bien universel et veut propager sa doctrine dans le monde entier. En 1792, toute l'Europe était contre la Révolution française. Aujourd'hui, toute l'Europe est contre la Révolution russe. Il n'y a pas à s'échauffer. Il faut seulement se méfier des gens qui veulent le bonheur de l'humanité, d'où qu'ils soient. Les juges de l'Inquisition eux aussi, voulaient faire le bonheur de leurs victimes. » <4 novembre 1932 II p.1118>
Paul LÉAUTAUD / Passe-temps / OEuvres / Mercure de France 1988
« C'est une constatation que sont obligés de faire quelquefois certains hommes : que de sots ont facilement ce qu'ils n'ont pas. » <p.194>
Sigmund FREUD / Le malaise dans la culture (1930) / Quadrige PUF 1995
« Ce qu'on appelle bonheur au sens le plus strict découle de la satisfaction plutôt subite de besoins fortement mis en stase et, d'après sa nature, n'est possible que comme phénomène épisodique. Toute persistance d'une situation désirée par le principe de plaisir ne donne qu'un sentiment d'aise assez tiède ; nos dispositifs sont tels que nous ne pouvons jouir intensément que de ce qui est contraste, et ne pouvons jouir que très peu de ce qui est état. Ainsi donc nos possibilités de bonheur sont limitées déjà par notre constitution. Il y a beaucoup moins de difficultés à faire l'expérience du malheur. » <p.18>
Jean COCTEAU / Journal (1942-1945) / Gallimard 1989
« Le bonheur exige du talent. Le malheur pas. On se laisse aller. On s'enfonce. C'est pourquoi le malheur plaît et le bonheur effraye la foule. » <9 décembre 1944, p.586>
Sacha GUITRY / Jusqu'à nouvel ordre / Cinquante ans d'occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Il arrive chaque jour entre la place de l'Étoile et la place de la Concorde un nombre d'accidents qui ne varie guère. Donc chaque accident arrivé à autrui est un accident évité par vous. Le nombre des maladies et des larmes est équilibré de la même façon - et chaque fois qu'un homme meurt, ce n'est pas vous. » <p.22>
Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d'occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Dès longtemps j'avais décelé chez mes amis les plus intimes comme un secret espoir de me voir malheureux dans mon propre intérêt. » <p.69>
« Vos amis qui vous prédisent des malheurs en arrivent bien vite à vous les souhaiter - et ils les provoqueraient au besoin pour conserver votre confiance. » <p.76>
Sacha GUITRY / Les Femmes et l'Amour / Cinquante ans d'occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Il y a assez de gens qui s'occupent des malheureux, des disgraciés, des déshérités, pour que je défende un peu le bonheur, la grâce et la beauté. Il n'y a pas que des malheureux. Il n'y a pas que des gens laids. Or, sous le prétexte magnifique de favoriser les gens malheureux, vous risquez de faire du mal à ceux qui ne le sont pas. C'est très grave. » <p.125>
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Vous avez trouvé le bonheur, dites-vous. Prenez garde ! Car c'est l'oasis, et Pégase ne va pas plus loin vous porter. » <p.345>
« Non s'efforcer vers le plaisir mais trouver son plaisir dans l'effort même, c'est le secret de mon bonheur. » <p.902>
« Le besoin qu'a Pascal de désespérer l'homme et de saper ses joies, à seule fin de précipiter sa conversion, cette systématique dépréciation du jeu, de l'art ("quelle vanité que la peinture..."), de tout ce qui distrait l'homme de la nécessité de la mort - me paraît beaucoup plus vain que le plaisir même ; et combien me paraît plus sage la boutade de Hebel : "Que peut faire de mieux le rat pris au piège ? - C'est de manger le lard." » <9 août 1937 p.1268>
ALAIN / 81 chapitres sur l'esprit et les passions / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« On dit communément que tous les hommes poursuivent le bonheur. Je dirais plutôt qu'ils le désirent, et encore en paroles, d'après l'opinion d'autrui. Car le bonheur n'est pas quelque chose que l'on poursuit, mais quelque chose que l'on a. Hors de cette possession il n'est qu'un mot. Mais il est ordinaire que l'on attache beaucoup de prix aux objets et trop peu de prix à soi. Aussi l'un voudrait se réjouir de la richesse, l'autre de la musique, l'autre des sciences. Mais c'est le commerçant qui aime la richesse, et le musicien la musique, et le savant la science. En acte, comme Aristote disait si bien. En sorte qu'il n'est point de chose qui plaise, si on la reçoit, et qu'il n'en est presque point qui ne plaise, si on la fait, même de donner et recevoir des coups. Ainsi toutes les peines peuvent faire partie du bonheur, si seulement on les cherche en vue d'une action réglée et difficile, comme de dompter un cheval. Un jardin ne plaît pas si on ne l'a pas fait. Une femme ne plaît pas, si on ne l'a conquise. Même le pouvoir ennuie celui qui l'a reçu sans peine. Le gymnaste a du bonheur à sauter, et le coureur à courir ; le spectateur n'a que du plaisir. » <p.1192>
ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Il est proverbial que c'est dans le malheur qu'on apprend à connaître ses amis. Ce n'est point qu'un malheureux éloigne par les services qu'il attend ; les hommes aiment à rendre service ; seulement ils n'aiment point les visages malheureux. C'est en ces passages que l'amuseur connaît les amertumes de son métier. » <p.184>
« Il n'y a pas de bonheur au monde si l'on attend au lieu de faire, et ce qui plaît sans peine ne plaît pas longtemps. Faire ce qu'on veut, ce n'est qu'une ombre. Etre ce qu'on veut, ombre encore. Mais il faut vouloir ce qu'on fait. Il n'est pas un métier qui ne fasse regretter de l'avoir choisi, car lorsqu'on le choisissait on le voyait autre ; aussi le monde humain est rempli de plaintes. N'employez point la volonté à bien choisir, mais à faire que tout choix soit bon. » <p.279>
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« Les sages d'autrefois cherchaient le bonheur ; non pas le bonheur du voisin, mais leur bonheur propre. Les sages d'aujourd'hui s'accordent à enseigner que le bonheur propre n'est pas une noble chose à chercher, les uns s'exerçant à dire que la vertu méprise le bonheur, et cela n'est pas difficile à dire ; les autres enseignant que le commun bonheur est la vraie source du bonheur propre, ce qui est sans doute l'opinion la plus creuse de toutes, car il n'y a point d'occupation plus vaine que de verser du bonheur dans les gens autour comme dans des outres percées ; j'ai observé que ceux qui s'ennuient d'eux-mêmes, on ne peut point les amuser ; et au contraire, à ceux qui ne mendient point, c'est à ceux-là que l'on peut donner quelque chose, par exemple la musique à celui qui s'est fait musicien. Bref il ne sert point de semer dans le sable ; et je crois avoir compris, en y pensant assez, la célèbre parabole du semeur, qui juge incapables de recevoir ceux qui manquent de tout. Qui est puissant et heureux par soi sera donc heureux et puissant par les autres encore en plus. » <6 novembre 1922 p.442>
Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998
« Au lieu de prétendre avec le pessimisme qu'il n'y a pas de plaisir sans mélange, il faudrait plutôt s'exprimer ainsi : tous les plaisirs enveloppent leur douleur, c'est-à-dire une possibilité de conscience qui les empoisonnera, les rendra fragiles, défiants, soupçonneux ; à peine avons-nous commencé de les vivres qu'ils projettent déjà une ombre d'eux-mêmes, infiniment légère et fugitive, et cette ombre est comme leur conscience élémentaire. Pour être parfaitement heureux il faudrait ne rien savoir de son bonheur ; mais y a-t-il jamais eu un seul sentiment humain, si pur soit-il, que n'effleurât quelque réflexion imperceptible ? Voilà la vraie malédiction, la Némésis dont parle Schelling et qui, en nous proposant le savoir, trouble le clair miroir de l'innocence. Le drame antique a exprimé par de profonds symboles cette pudeur d'un bonheur qui craint d'éveiller la jalousie des dieux... Prendre conscience de son plaisir, c'est s'apercevoir qu'il n'est qu'un pauvre plaisir sans lendemain, qu'il nous laisse éternellement inquiets, désirants, faméliques. La conscience ne se borne donc pas à faire du plaisir un objet : elle en manifeste l'insuffisance, elle apporte avec soi le premier doute qui, lentement, sournoisement, va miner notre bonheur. » <La Mauvaise Conscience, p.55>
Jacques PRÉVERT / Spectacle (1951) / OEuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1992
« Il faudrait essayer d'être heureux, ne serait-ce que pour donner l'exemple. » <Intermède, p.378>
« Même si le bonheur t'oublie un peu, ne l'oublie jamais tout à fait. » <Intermède, p.378>
« Aujourd'hui le seul scandale c'est le bonheur. Mais, silencieusement et sûrement, l'indifférence heureuse répond au mépris facile et grimaçant. » <Intermède, p.379>
Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7
« Dans toutes les espèces animales et chez l'homme, la récompense ne s'obtient que par l'action. Le bonheur ne vous tombe qu'exceptionnellement tout préparé dans les bras. Il faut aller à sa rencontre, il faut être motivé à le découvrir, à tel point qu'il perd de son acuité s'il vous est donné sans être désiré. La pulsion primitive est indispensable, celle de la recherche du plaisir, de l'équilibre biologique. » <p.97>
Georges ELGOZY / Le Fictionnaire ou précis d'indéfinitions / Denoël 1973
« Bonheur est contraire d'ennui, et non de malheur. L'homme poursuit indistinctement le bonheur ou le malheur, pourvu qu'il échappe à l'ennui, c'est-à-dire à soi. Se perdre plutôt que se retrouver. » <Bonheur, p.49>
Paul WATZLAWICK / Faites vous-même votre malheur / Seuil 1984
« Il est plus que temps de mettre au rancart les contes de bonne femme qui voudraient nous faire croire que la chance, le bonheur et la satisfaction sont tout ce qu'il convient de désirer dans l'existence. Il y a trop longtemps que l'on nous dit -et que nous croyons naïvement - que la poursuite du bonheur débouche sur le bonheur. [...] La littérature mondiale aurait dû suffire à éveiller nos soupçons. Désastre, tragédie, catastrophe, crime, péché, démence, danger - voilà la matière première de toutes les grandes créations littéraires. L'Enfer de Dante est beaucoup plus ingénieux que son Paradis. Il en va de même du Paradis perdu de Milton, à côté duquel son Paradis retrouvé est assez insipide. Le premier Faust nous tire des larmes, le second des bâillements. Inutile de nous raconter des histoires : que serions-nous, et où en serions-nous, sans notre malheur ? J'espère que l'on me passera la vulgarité de l'expression car elle est littéralement vraie : nous en avons salement besoin. » <p.10-11>
« Comme le lecteur le sait probablement déjà, la devise officieuse du puritanisme est : "Fais ce que tu voudras, à condition de n'en tirer aucun plaisir." Et il existe effectivement des gens qui jugent indécent de prendre plaisir à quoi que ce soit dans un monde tel que celui où nous vivons aujourd'hui. Et, certes, il devient difficile de jouir ne serait-ce que d'un verre d'eau à l'instant où l'on sait qu'un demi-million de civils innocents sont en train de mourir de soif dans la moitié occidentale de Beyrouth. Mais, à supposer même que le bonheur mondial soit pour demain, les pessimistes calvinistes auraient encore des raisons d'espérer. Ils pourraient toujours avoir recours à la recette de Laing en reprochant à leurs interlocuteurs innocemment heureux : "Comment oses-tu t'amuser alors que le Christ est mort sur la croix pour ton salut ? Tu crois qu'il s'amusait, lui ? " Le reste n'est plus que silence gêné. » <p.80-81>
Georges PERROS / En vue d'un éloge de la paresse - Lettre préface / Le Passeur 1995
« Les hommes recherchent furieusement le plaisir, mais ne se croiraient pas complets, dignes de vivre, s'ils ne payaient leur tribut à la souffrance. Donc il faut souffrir. La plupart s'en tirent fort bien avec les ennuis quotidiens. Pour celle-ci, c'est le ménage, la queue, la vaisselle, le retour d'âge, pour celui-ci, le bureau, le manque de tabac, la brièveté des vacances, le mal de dents. D'autres supplient quelques bonnes âmes de leur taper dessus, se nourrissent d'ennuis présumés, et ne sont pleinement satisfait que lorsque le monde entier semble acharner à les perdre. Comme s'il était nécessaire de lever le petit doigt pour avancer un tel résultat. Mais il en est qui ont lu quelque peu, qui ont une vague idée de la souffrance "poétique", et pour ceux-là quelques subtilités s'imposent. Ils trouveront à qui parler, et souffrance à leur mesure, en se jetant à corps perdu dans les femmes. Là, c'est gagner d'avance. Ils sautent sur cette possibilité de tragique avec frénésie. On s'assure quelques jours de profond chagrin. Il ne peut se faire qu'un scénario bien conditionné ne déroule pas irrévocablement sa bobine jusqu'au terme de l'histoire. Quel plaisir de se donner des airs de Christ parce qu'elle n'est pas venue au rendez-vous ! De rentrer pleurer entre nos quatre murs familiers qui en perdent leurs fades couleurs. Est-ce beau ! Est-ce assez "humain". » <p.47-48>
Emil CIORAN / De l'inconvénient d'être né (1973) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« Le paradis n'était pas supportable, sinon le premier homme s'en serait accommodé ; ce monde ne l'est pas davantage, puisqu'on y regrette le paradis ou l'on en escompte un autre. Que faire ? où aller ? Ne faisons rien et n'allons nulle part, tout simplement. » <p.1278>
François CAVANNA / La belle fille sur le tas d'ordures / L'Archipel (LdP9667) 1991
« L'"homme" - je veux dire je, tu, il, nous tous - croit vouloir le bonheur. Il croit cela parce qu'il ne l'a pas. Il en rêve comme l'assoiffé rêve d'oasis. Il se connaît fort mal lui-même. En fait, ce qu'il veut, peut-être pas consciemment, mais en tous cas ce qu'il recherche, ce vers quoi toute sa conduite tend éperdument, c'est exactement le contraire. Il veut risquer et vaincre, il veut avoir peur et dominer sa peur, il veut être mieux que son voisin ou avoir plus que lui, il veut être le premier, il veut dominer, il veut séduire, il veut, en un mot, non pas une vie harmonieuse, mais une vie excitante, passionnante. Il croit vouloir le bonheur mais il veut l'aventure qui, se raconte-t-il, débouchera sur le bonheur. Il se raconte des histoires. Et tous ceux qui se sont terriblement battus, quel qu'ait été leur combat, croyaient se battre pour l'après, pour la victoire et ses fruits. Ils ne savaient pas, ils ne voulaient pas savoir, qu'ils se battaient pour se battre. Pour le combat. Les Guynemer et les Robespierre, les Napoléon et les Jeanne d'Arc, les Vincent de Paul et les Hitler, les conquérants et les martyrs... Leur moteur est leur tempérament même, leur bilan caractériel, leur dévorant besoin d'activité ou de dévouement. La "cause" n'est qu'affaire de circonstances. Ils se seraient tout aussi bien battus ou sacrifiés pour n'importe quoi d'autre, et avec la même conviction. » <p.106>
COLUCHE / Pensées et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1995
« Tout ce qui m'intéresse, soit ça fait grossir, soit c'est immoral ! » <p.178>
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« La majeure partie de nos ennuis provient de la complexité de notre nature et de la longévité de l'espèce. Mon chien qui ignore superbement l'angoisse métaphysique, la TVA, André Comte-Spongieux et la formation permanente, coule des jours paisibles et profite sans se poser de vaines questions de tout ce que la vie peut lui apporter : un rayon de soleil, un bout de côtelette, un morceau de sucre, la chienne du tripier. Un homme disposant de possibilités identiques se préoccupe de la matité de son bronzage, du degré de cuisson de la viande, de la valeur calorique du sucre et de la moralité de sa partenaire. C'est l'intelligence qui, sécrétant plus d'arrière-pensées que de pensées, dénature les joies simples qui n'ont nul besoin d'analyse. » <p.123>
« Le bonheur c'est aussi souvent de ne plus faire certaines choses qu'on croyait indispensables. » <p.251>
Philippe BOUVARD / Journal 1997-2000 / Le cherche midi éditeur 2000
« Il n'existe pas de bonheur complet sans amnésie partielle. » <p.13>
Philippe BOUVARD / Auto-psy d'un bon vivant Journal 2000-2003 / Le cherche midi éditeur 2003
« Je crois qu'il existe une belle égalité des citoyens dans l'accès aux petits bonheurs de la vie quotidienne et une énorme inégalité dans la faculté d'en profiter. » <p.199>
Michel POLAC / Journal (1980-1998) / PUF 2000
« Le secret du bonheur, c'est de vivre juste au-dessous de ses moyens. Le secret de la réussite sociale, c'est de vivre juste au-dessus de ses moyens. » <22 décembre 1992, p.318>
Jean L'ANSELME / Pensées et Proverbes de Maxime Dicton / Rougerie 1991
« De bonne heure c'est quand on se lève tôt. Du bonheur c'est quand on se lève tard. » <p.27>
Dominique NOGUEZ / Comment rater complètement sa vie en onze leçons / Payot & Rivages 2002
« De parfaits anonymes, et par catégories entières, peuvent être pour le penseur une égale source d'embarras et de migraine. Le mongolien, par exemple. Pas de vie en apparence moins réussie que celle du mongolien. Personne n'en veut. Si on en repère un à l'échographie dans un ventre maternel, on le fait passer ; c'est même remboursé par la Sécurité sociale. Et cependant, on peut vivre mongolien et parfaitement heureux. On dira que ce bonheur-là est subjectif, qu'il n'est pas difficile de porter à l'euphorie le psychisme rudimentaire d'un handicapé mental. Peut-être, mais il est objectif aussi : dans mainte famille, le mongolien est l'objet de presque autant de gâteries que le chien de la maison. Et le masochiste ? Plus il échoue, plus il souffre ; et plus il souffre, plus il est heureux : dès lors, peut-on dire qu'il a raté sa vie, celui qui en a passé le plus clair à nager dans le bonheur ? Et l'assassin ? Vaut-il mieux être un assassin raté ou un parfait meurtrier condamné à la perpétuité ? Et l'Académie ? Rate-t-on sa vie d'y échouer (au sens de ne pas réussir à y entrer) ou d'y échouer (au sens des bateaux qui touchent le fond) ? » <p.17>