« Les grandes âmes ne sont pas celles qui ont moins de passions et plus de vertu que les âmes communes, mais celles seulement qui ont de plus grands desseins. » <MS 31 p.142>
L'âme et la folie.
« Les doctes ou les docteurs diront au fou : "Mon ami, quoique tu aies perdu le sens commun, ton âme est aussi spirituelle, aussi pure, aussi immortelle que la nôtre ; mais notre âme est bien logée, et la tienne l'est mal ; les fenêtres de la maison sont bouchées pour elle ; l'air lui manque, elle étouffe." Le fou, dans ses bons moments, leur répondrait : "Mes amis, vous supposez, à votre ordinaire, ce qui est en question. Mes fenêtres sont aussi bien ouvertes que les vôtres, puisque je vois les mêmes objets et que j'entends les mêmes paroles : il faut donc nécessairement que mon âme fasse un mauvais usage de ses sens, ou que mon âme ne soit elle-même qu'un sens vicié, une qualité dépravée. En un mot, ou mon âme est folle par elle-même, ou je n'ai point d'âme." » <p.206>
MONTESQUIEU / Mes pensées / OEuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949
« Quand l'immortalité de l'âme serait une erreur, je serais très fâché de ne pas la croire. Je ne sais comment pensent les athées. (J'avoue que je ne suis point si humble que les athées.) Mais, pour moi, je ne veux point troquer (et je n'irai point troquer) l'idée de mon immortalité contre celle de la béatitude d'un jour. Je suis très charmé de me croire immortel comme Dieu même. Indépendamment des vérités révélées, des idées métaphysiques me donnent une très forte espérance de mon bonheur éternel, à laquelle je ne voudrais pas renoncer. » <2083 p.1543>
« Le dogme de l'immortalité de l'âme nous porte à la gloire, au lieu que la créance contraire en affaiblit en nous le désir. » <2084 p.1543>
Alphonse de LAMARTINE / Harmonies poétiques et religieuses / OEuvres poétiques complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1963
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? » <livre III, ii, Milly, ou la Terre natale, p.392>
Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996
« On affirmait à quelqu'un que l'âme était un point ; à quoi il rétorqua : pourquoi pas un point virgule, elle aurait ainsi une queue. » <p.52>
Paul VALÉRY / Tel Quel / OEuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Idéal d'une âme. Le désir d'avoir une âme et de n'être immortellement que cette âme, ce désir doit pâlir singulièrement près du désir d'une âme d'avoir un corps, et une durée. Elle céderait son royaume même pour un cheval. Un âne, peut-être ? » <p.500>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Âme, c'est bien là le mot qui a fait dire le plus de bêtises. Quand on pense qu'au XVIIe siècle des gens sensés, de par Descartes, refusaient une âme aux animaux ! Outre l'ineptie qu'il y avait à refuser à d'autres êtres une chose dont l'homme n'a pas la moindre idée, il eût autant valu prétendre que le rossignol, par exemple, n'a pas de voix, mais, dans le bec, un petit sifflet fort bien fait, acheté par lui à Pan ou à quelque autre Satyre, bibelotier de la forêt. » <18 janvier 1889 p.16>
« Cent mille âmes, combien cela peut-il faire d'hommes ? » <7 avril 1892 p.99>
« Notre âme est immortelle, pourquoi ? Et pourquoi pas celle des bêtes ? Quand les deux flammes sont éteintes, quelle différence y a-t-il entre la flamme d'une pauvre chandelle et celle d'une belle lampe au bec compliqué, haute sur tige, et dont l'abat-jour s'écarte comme une jupe. » <30 mai 1900 p.458>
Alphonse ALLAIS / À se tordre (1891) / OEuvres anthumes / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Les bêtes ont-elles une âme ? Pourquoi n'en auraient-elles pas ? J'ai rencontré, dans la vie, une quantité considérable d'hommes, dont quelques femmes, bêtes comme des oies, et plusieurs animaux pas beaucoup plus idiots que bien des électeurs. » <p.5>
Louis-Ferdinand CÉLINE / Voyage au bout de la nuit (1932) / Romans (1) / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1997
« L'âme, c'est la vanité et le plaisir du corps tant qu'il est bien portant, mais c'est aussi l'envie d'en sortir du corps dès qu'il est malade ou que les choses tournent mal. On prend des deux poses celle qui vous sert le plus agréablement dans le moment et voilà tout ! » <p.52>
Jean COCTEAU / Journal (1942-1945) / Gallimard 1989
« J'ai la peau de l'âme trop sensible. Il faudrait apprendre à son âme à marcher pieds nus. S'y faire une corne. Se répéter la sentence chinoise : "Rétrécis ton coeur." » <9 décembre 1944, p.586>
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« À regarder les choses selon la nature, l'homme a été fait pour vivre tourné uniquement vers l'extérieur. Pour voir en lui-même, il lui faut fermer les yeux, renoncer à l'action, sortir du courant... Ce qu'on appelle "vie intérieure" est un phénomène tardif qui n'a été possible que par un ralentissement systématique de nos fonctions vitales, de sorte que l' "âme" n'a pu surgir qu'aux dépens de nos organes. » <4 avril 1962 p.82>
François CAVANNA / Lettre ouverte aux culs-bénits / Albin Michel 1994
« Cette histoire d'âme, entité invisible, invérifiable et tellement flatteuse pour celui à qui l'on en concède une, est une invention formidable. Elle n'est pas la seule, toute religion est bâtie sur un système d'affirmations du même genre, impossible à démontrer et donc irréfutables, tout à la fois consolatrice et terrifiantes, mais, là, on est obligé d'admirer. Affirmer à une espèce animale, en l'occurrence la nôtre, qu'elle n'est qu'en apparence semblable aux autres par son aspect et la matière dont elle est faite, mais qu'elle possède, elle, une chose essentielle et sublime, immortelle de surcroît (vas y voir !), que les autres créatures de chair et de sang n'ont pas, que cette entité invisible est son véritable "moi" qui survivra à tout, le reste n'étant que vase provisoire, vile dépouille vouée à la putréfaction, et que cette "étincelle divine" la rend non seulement supérieure à toute espèce vivante, mais surtout différente en essence car procédant de la nature même de Dieu, ce qui lui donne droit de vie et de mort sur tout ce qui vit, quelle trouvaille ! C'est là le bon vieux coup de la race élue, c'est le truc démagogique des nazis affirmant aux Allemands que les Allemands sont le nec plus ultra de l'humanité, qu'ils sont les seuls beaux, les seuls intelligents, les seuls purs, en un mot les seuls vraiment hommes parmi tous les peuples, les autres n'étant que tentatives avortées ou bâtards dégénérés, et qu'à ce titre, eux, Allemands, ont tous les droits, y compris celui de décider de la vie, de la mort et de la souffrance "utile" des sous-hommes. Ça marche à tous les coups. Pardi ! » <p.126-127>