François René de CHATEAUBRIAND / Génie du Christianisme (1802) / Garnier-Flammarion 1966
Tuer le mandarin.
« O conscience ! ne serais-tu qu'un fantôme de l'imagination, ou la peur du châtiment des hommes ? je m'interroge ; je me fais cette question : "Si tu pouvais par un seul désir, tuer un homme à la Chine, et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir ?" J'ai beau m'exagérer mon indigence ; j'ai beau vouloir atténuer cet homicide, en supposant que, par mon souhait, le Chinois meurt tout à coup sans douleur, qu'il n'a point d'héritier, que même à sa mort ses biens seront perdus pour l'État ; j'ai beau me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins ; j'ai beau me dire que la mort est un bien pour lui, qu'il l'appelle lui-même, qu'il n'a plus qu'un instant à vivre : malgré mes vains subterfuges, j'entends au fond de mon coeur une voix qui crie si fortement contre la seule pensée d'une telle supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience. » <Première partie, livre sixième , ch.II, tome 1 p.200>
Paul VALÉRY / Mauvaises pensées et autres / OEuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Chacun de nous est le seul être au monde qui ne soit pas toujours une mécanique. » <p.828>
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« La conscience est soutenue par le corps, et vacille et se tient sur la pression tremblante du sang comme la coquille d'oeuf sur un jet d'eau. » <Soma et CEM p.1134>
Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998
« La mauvaise conscience est rare ; si rare qu'elle est, en somme, à peine une expérience psychologique ; la mauvaise conscience est plutôt une limite métempirique*, et le consciencieux n'atteint cette limite que dans la tangence de l'instant, tangence aussitôt interrompue par la complaisance de la bonne conscience... C'est pourquoi la crise aiguë du remords est inséparable de la tension tragique. En dehors de Boris Godounov et de Macbeth, tout le monde a en général bonne conscience. Personne ne se reconnaît de torts, cela est assez connu, ni ne s'estime le moins du monde coupable ; chacun est convaincu de son bon droit, et de l'injustice des autres à son égard. Méchants ou non, les égoïstes sont en général bien contents, très satisfaits de ce qu'ils font, et ils jouissent le plus souvent d'un excellent sommeil ; ils ne regrettent jamais leurs mesquineries... Malgré son caractère ambigu, la mauvaise conscience, conscience honteuse d'elle-même, est une exaltation de la conscience en général. » <La Mauvaise Conscience, p.41>
* métempirique : qui ne peut être objet d'expérience, pour quelque raison que ce soit, et qui, par suite, ne relève pas de la science positive. (A. Lalande / Vocabulaire technique et critique de la philosophie / 12e ed. 1976)
Georges ELGOZY / Le Fictionnaire ou précis d'indéfinitions / Denoël 1973
« La bonne conscience n'est que la forme irréfléchie de l'inconscience. Réfléchie, la mauvaise conscience. » <Conscience, p.76>
Georges BERNANOS / La France contre les robots (1946) / Essais et écrits de combats II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1995
« Il n'y a pas de conscience collective. Une collectivité n'a pas de conscience. Lorsqu'elle paraît en avoir une, c'est qu'il y subsiste le nombre indispensable de consciences réfractaires, c'est-à-dire d'hommes assez indisciplinés pour ne pas reconnaître à l'État-Dieu le droit de définir le Bien et le Mal. » <p.1035>
« À un financier de ses amis, Scholl disait un jour : - Voulez-vous que je vous indique une affaire superbe ? Acheter toutes les consciences pour ce qu'elles valent et les revendre pour ce qu'elles s'estiment ! » <p.57>
Alexandre VIALATTE / Chroniques de La Montagne (2) / Robert Laffont - Bouquins 2000
« On se demande à quoi la conscience peut bien servir au XXe siècle. Et même avant. Et même après. Sinon à tourmenter les hommes. C'est un organe comme l'appendice, qu'on ne connaît que par les maux qu'il inflige, et dont on ne sait à quoi il sert. Placé en face d'un cas de conscience, l'homme sage choisit toujours la solution facile. Ce qui lui épargne une perte de temps. Il n'a donc pas besoin de sa conscience. Il en résulte mille remords qui le tourmentent pendant toute sa vie. À qui la faute ? À cette conscience. À cette conscience qui ne lui a servi à rien. Il y a là quelque chose d'injuste. Sans sa conscience, il vivrait tranquillement. » <618 - 10 février 1965 p.337>
Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7
« Nous ne vivons que pour maintenir notre structure biologique, nous sommes programmés depuis l'oeuf fécondé pour cette seule fin, et toute structure vivante n'a pas d'autre raison d'être, que d'être. Mais pour être elle n'a pas d'autres moyens à utiliser que le programme génétique de son espèce. Or, ce programme génétique chez l'Homme aboutit à un système nerveux, instrument de ses rapports avec l'environnement inanimé et animé, instrument de ses rapports sociaux, de ses rapports avec les autres individus de la même espèce peuplant la niche où il va naître et se développer. Dès lors, il se trouvera soumis entièrement à l'organisation de cette dernière. Mais cette niche ne pénétrera et ne se fixera dans son système nerveux que suivant les caractéristiques structurales de celui-ci. Or, ce système nerveux répond d'abord aux nécessités urgentes, qui permettent le maintien de la structure d'ensemble de l'organisme. Ce faisant, il répond à ce que nous appelons les pulsions, le principe de plaisir, la recherche de l'équilibre biologique, encore que la notion d'équilibre soit une notion qui demande à être précisée. Il permet ensuite, du fait de ses possibilités de mémorisation, donc d'apprentissage, de connaître ce qui est favorable ou non à l'expression de ces pulsions, compte tenu du code imposé par la structure sociale qui le gratifie, suivant ses actes, par une promotion hiérarchique. Les motivations pulsionnelles, transformées par le contrôle social qui résulte de l'apprentissage des automatismes socio-culturels, contrôle social qui fournit une expression nouvelle à la gratification, au plaisir, seront enfin à l'origine aussi de la mise en jeu de l'imaginaire. Imaginaire, fonction spécifiquement humaine qui permet à l'Homme contrairement aux autres espèces animales, d'ajouter de l'information, de transformer le monde qui l'entoure. Imaginaire, seul mécanisme de fuite, d'évitement de l'aliénation environnementale, sociologique en particulier, utilisé aussi bien par le drogué, le psychotique, que par le créateur artistique ou scientifique. Imaginaire dont l'antagonisme fonctionnel avec les automatismes et les pulsions, phénomènes inconscients, est sans doute à l'origine du phénomène de conscience. » <p.12-13>
François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
« Il est bien difficile de décider à quel stade de l'évolution on peut déceler un début de conscience de soi. Peut-être en trouve-t-on une indication dans la capacité de se reconnaître dans un miroir. Et cette capacité, on ne la voit apparaître qu'à un certain niveau de complexité dans l'évolution des primates. Quand elle est combinée avec le pouvoir de former des images de la "réalité", de les recombiner, de se former ainsi par l'imagination une représentation de mondes possibles, la conscience de soi donne à l'être humain le pouvoir de reconnaître l'existence d'un passé, d'un avant sa propre vie. Elle lui permet aussi d'imaginer des lendemains, d'inventer un avenir qui contient sa propre mort et même un après sa mort. Elle lui permet de s'arracher à l'actuel pour créer un possible. » <p.115-116>
François CAVANNA / Lettre ouverte aux culs-bénits / Albin Michel 1994
« L'Univers roulait ses sphères, roulait, roulait, la vie naissait et mourrait, naissait et mourait, et nul ne s'en doutait, nul capable de s'en douter n'existait, et la matière diffuse se condensait, les volcans surgissaient, les torrents bondissaient, les herbes fleurissaient, se fanaient, fleurissaient de nouveau, les bêtes naissaient, grandissaient et mourraient, et ça ne gênait personne, n'angoissait personne. Il a fallu que survienne cette saloperie : la conscience. Et maintenant il y a quelqu'un pour contempler l'Univers, il y a quelqu'un qui sait qu'il est là, qu'il vit, qu'il vit très provisoirement, et qu'il va mourir : moi. La conscience est là, je ne peux pas faire qu'elle n'y soit pas, je ne peux pas faire comme si elle n'y était pas, je ne peux pas redevenir singe, ou chien, ou limace, ou caillou... La conscience est là, c'est à dire l'angoisse, en pleine gueule. Heureux les croyants, ils ont réponse à ça. Ils ont réponse à tout. Ils ont leur morphine. Heureux les croyants, mais je préfère mon angoisse et ses yeux grands ouverts. » <p.63>
Emil CIORAN / Des larmes et des saints (1937) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« "La souffrance est l'unique cause de la conscience" (Dostoïevski). Les hommes se partagent en deux catégories : ceux qui ont compris cela, et les autres. » <p.323>
Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« La lucidité : avoir des sensations à la troisième personne. » <p.418>
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Tout ce qui nous gêne nous permet de nous définir. Sans infirmités, point de conscience de soi. » <p.134>
« Le cheval ne sait pas qu'il est cheval. - Et puis après ? On ne voit pas ce que l'homme a gagné à savoir qu'il est homme. » <5 juin 1969 p.738>
« Le croyant considère qu'il sera confronté au jugement dernier. Donc récompensé ou puni en fonction de la qualité de ses actes ici-bas. Dès lors, sa conscience ne peut se départir d'un certain calcul : un soupçon d'investissement sur l'au-delà. On peut en déduire que seul un non-croyant est confronté à une conscience pure et sans arrière-pensées du Bien et du Mal. » <Voix de la conscience - p.151>