Blaise PASCAL / Pensées / OEuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« À mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent point de différence entre les hommes. » <17 p.1091>
« Différence entre l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse. En l'un, les principes sont palpables, mais éloignés de l'usage commun ; de sorte qu'on a peine à tourner la tête de ce côté-là, manque d'habitude : mais, pour peu qu'on l'y tourne, on voit les principes à plein ; et il faudrait avoir tout à fait l'esprit faux pour mal raisonner sur des principes si gros qu'il est presque impossible qu'ils échappent. Mais, dans l'esprit de finesse, les principes sont dans l'usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n'a que faire de tourner la tête, ni de se faire violence ; il n'est question que d'avoir bonne vue, mais il faut l'avoir bonne ; car les principes sont si déliés et en si grand nombre, qu'il est presque impossible qu'il n'en échappe. Or, l'omission d'un principe mène à l'erreur ; ainsi il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes, et ensuite l'esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus. Tous les géomètres seraient donc fins s'ils avaient la vue bonne, car ils ne raisonnent pas faux sur les principes qu'ils connaissent ; et les esprits fins seraient géomètres s'ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés de géométrie. » <21 p.1091>
Paul VALÉRY / Mauvaises pensées et autres / OEuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« "Esprit de finesse", "esprit de géométrie", toutes les sottises qu'ont fait dire ces mots. Cela a le vice de toutes les expressions auxquelles il faut commencer par donner un sens avant d'en considérer l'application. Mais alors, il est trop tard... » <p.789>
Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / OEuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« La même chose souvent est, dans la bouche d'un homme d'esprit, une naïveté ou un bon mot, et dans celle du sot, une sottise. » <p.359 XIII (50)>
Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]
« Un homme d'esprit dit une chose sans y penser ; un sot la dit sans la penser. » <110, p.19>
Charles de SAINT-ÉVREMOND / OEuvres mêlées (6) / Paris, C.Barbin 1684
« Il y a cela de malheureux dans le mérite de l'esprit, que peu de gens s'y connaissent, et que dans le petit nombre même il s'en trouve qui n'en font pas grand cas. Il n'en est pas de même des richesses, tout le monde les estime, les pauvres aussi bien que les riches. Les autres biens de la fortune ont le même avantage : Les petits compagnons estiment la grandeur, et font ce qu'ils peuvent pour s'élever. » <Avis et pensées sur plusieurs sujets, p.13>
MARIVAUX / Pensées sur différents sujets (1719) / Journaux et OEuvres diverses / Classiques Garnier 1988
« Presque tous les esprits errent autour de la chose qu'ils veulent exprimer, sans aller jusqu'à elle, ou sans l'entamer entière. De là vient peut-être qu'en matière d'esprit, on a nommé sublime ce qui n'est que cet excellent vrai toujours manqué. » <p.57>
Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [oeuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]
« Celui dont les idées sortent des routes communes, qui joint l'extraordinaire à la rapidité ; celui qui en un mot déplace les idées de ceux qui l'écoutent et leur communique ses mouvements, celui-là passe pour avoir de l'esprit. Que ses idées soient justes ou non, exprimées avec goût ou sans goût, n'importe ; il a remué ses auditeurs, il a de l'esprit. » <Littérature p.118>
« Il n'est rien de si absent que la présence d'esprit. » <Anecdotes et bons mots p.177>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Les grands esprits sont ceux qui déguisent leurs bornes, qui masquent leur médiocrité. » <25 mars 1807 t.2 p.192>
« L'esprit éminemment faux est celui qui ne sent jamais qu'il s'égare. » <11 octobre 1815 t.2 p.517>
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« On n'est point un homme d'esprit pour avoir beaucoup d'idées, comme on n'est pas un bon général pour avoir beaucoup de soldats. » <445 p.150>
STENDHAL / Journal / OEuvres intimes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1981
« Veux-tu doubler ton esprit ? - Conduis-le avec ordre. » <10 juillet 1810 p.623>
Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996
« Le trait d'esprit invente, l'entendement constate. » <p.29>
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l'âme / Domaine romantique José Corti 1997
« Comme on a découvert que les enfants à deux têtes sont loin d'avoir autant d'esprit que ceux qui n'en ont qu'une. » <J 37 p.392>
« Il y a quelques jours, dans une conversation avec le roi, M. Thiers parut satisfait de quelques explications que S. M. Louis-Philippe voulut bien lui donner sur sa politique. " Ah ! sire, s'écria celui qu'on a plaisamment appelé Mirabeau-Mouche, vous êtes bien fin, j'en conviens, très-fin, mais je le suis encore plus que vous. - Non, reprit le roi, puisque vous me le dites." » <Novembre 1839, p.22>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Je suis sûr que le chat ne pense pas ; pourtant, il a l'air aussi profond que s'il pensait. » <7 janvier 1899 p.407>
« Penser ne suffit pas : il faut penser à quelque chose. » <18 juillet 1899 p.425>
Alfred JARRY / La chandelle verte / OEuvres / Bouquins, Robert Laffont 2004
« C'est une étrange partialité que de consacrer dans les journaux et revues un grand nombre de pages, voire toutes les pages, à enregistrer, critiquer ou glorifier les manifestations de l'esprit humain : cela équivaut à ne tenir compte que de l'activité d'un organe arbitrairement choisi entre tous les organes, le cerveau. Il n'y a pas de raison pour ne point étudier aussi sérieusement le fonctionnement de l'estomac ou du pancréas, par exemple, ou les gestes de n'importe quel membre. À peine devons-nous reconnaître que quelque rubrique "Sport" se tapit à la dernière page des quotidiens, et que quatre-vingt-dix-neuf sur cent - mais pas plus ! - de nos romans sont exclusivement réservés à exploiter la sollicitude de l'homme à l'égard de son appareil reproducteur. » <1 janvier 1902, p.950>
Léon DAUDET / Le stupide XIXe siècle (1922) / Souvenirs et polémiques / Robert Laffont - Bouquins 1992
« L'esprit est le compagnon hardi de l'héroïsme, de la colère, du repentir et du pardon. Il adoucit les feux de la haine, et ceux, mêmement embrasés, de l'amour. Il prévoit et pare les contrecoups et chocs que toute action décisive déchaîne contre celui qui vient d'agir, et dont le pire est l'à quoi bon. Car il blague jusqu'au scepticisme, dangereux dès qu'il devient solennel, et qu'il fleurit en docteurs et en sentences. L'esprit français n'est pas seulement un redresseur de torts. Il est un avertisseur et un guide. Ses flèches peuvent écarter de grands maux, nés souvent de l'incompréhension et de la laideur, plus souvent encore de l'excessif. Elles dissipent enfin la confusion, qui naît du heurt des concepts et des systèmes, et crée une sorte de nuit mentale, où les orgueilleux de l'esprit se bousculent et se meurtrissent à tâtons. » <p.1288>
Paul LÉAUTAUD / Le théâtre de Maurice Boissard / OEuvres / Mercure de France 1988
« Certes, il est beau d'être intelligent, mais l'intelligence, sans l'esprit, n'est qu'une chose pesante, pédante et prétentieuse. L'esprit, c'est la clairvoyance, la légèreté, le sens de la relativité, le don de l'observation, la pénétration profonde des sentiments et des idées. C'est le jeu, l'intuition rapide, là où l'intelligence cherche et ne fait qu'un lent travail. Que d'hommes intelligents j'ai vus se montrer sots par manque d'esprit ! Savoir rire - le rire n'est pas toujours la gaieté - savoir se moquer, des autres et de soi-même, c'est le don suprême, c'est la marque de la liberté, c'est savoir s'élever au-dessus de la vie et la railler. » <p.994>
Henry de MONTHERLANT / Carnets 1930-1944 / Essais / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1963
« L'esprit sert à tout, et ne supplée quasi à rien. » <Carnet XXI p.1056>
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Principe de Carnot = Un sot ne devient pas homme d'esprit mais un homme d'esprit contient un sot qui tantôt se montre, et parfois l'emporte. La sottise serait donc une forme de dégradation plus naturelle. Il est plus naturel d'être bête - donc plus commun, et c'est cette fréquence qui fait le prix de l'être non bête. » <Psychologie p.961>
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« Socrate n'était nullement un petit esprit, quoiqu'il ignorât beaucoup de choses que nous savons. Il y a plus d'esprit à se tromper à la manière de Descartes, qu'à redresser Descartes comme un petit bachelier peut faire. Et cette grandeur d'esprit se voit encore mieux dans l'erreur, quand l'erreur est selon l'esprit, non selon les passions. Un esprit est grand parce qu'il se gouverne plutôt que parce qu'il s'étend. » <20 juillet 1924 p.623>
« L'esprit ne doit jamais obéissance. Une preuve de géométrie suffit à le montrer ; car si vous la croyez sur parole, vous êtes un sot ; vous trahissez l'esprit. » <12 juillet 1930 p.946>
ALAIN / Propos II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1970
« Un bon esprit est nécessairement un esprit lent. Quand je dis une chose pareille, on dresse contre moi vingt exemples qui veulent prouver le contraire. Mais cela ne me trouble point. Rien n'est plus facile que d'imiter l'intelligence par la mémoire. On dresse bien des chiens ; ils comptent correctement, en ce sens que, quand on leur montre le carton huit et le carton sept, ils savent aller chercher le carton quinze, et le présenter à leur maître avec cet air zélé et important qu'ont les chiens. » <30 novembre 1907 p.42>
Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998
« [...] il ne faut pas vouloir être trop fin si l'on veut éviter les bévues, ou plutôt il faut l'être assez pour ne l'être pas quand on doit avant tout être simple. » <Du mensonge, p.258>
Robert MUSIL / L'homme sans qualités / Editions du Seuil - Points 1956
« On pouvait dire sans crainte d'erreur qu'Ulrich aurait voulu être quelque chose comme un seigneur ou un prince de l'esprit : en vérité, qui ne le souhaite ? C'est même si naturel que l'esprit est considéré comme ce qu'il y a de plus élevé dans le monde, le tout puissant souverain. C'est là matière d'enseignement. Tout ce qui le peut s'orne d'esprit, s'en chamarre. L'esprit, combiné avec autre chose, est ce qu'il y a de plus répandu au monde. "L'esprit de fidélité", "l'esprit d'amour", un "esprit viril", un "esprit cultivé", "le plus grand esprit de notre temps", "nous voulons sauvegarder l'esprit de telle ou telle chose", "nous voulons agir dans l'esprit de notre mouvement" : ah ! le beau son de tout cela jusque dans les plus basses classes ! Tout le reste, à côté, le crime quotidien, la cupidité assidue, apparaît alors comme l'inavouable crasse que Dieu enlève aux ongles de ses orteils. Mais quand l'esprit demeure tout seul, substantif nu, glabre comme un fantôme à qui l'on aimerait prêter un suaire, qu'en est-il donc ? On peut lire les poètes, étudier les philosophes, acheter des tableaux, discuter toute la nuit : mais ce que l'on y gagne, est-ce de l'esprit ? En admettant même qu'on en gagne, le possédera-t-on pour autant ? Cet esprit-là est si étroitement lié à la forme fortuite qu'il a prise pour entrer en scène ! Il passe à travers celui qui aimerait l'accueillir, ne lui laissant qu'un ébranlement léger. Qu'allons-nous faire de tout cet esprit ? On ne cesse d'en produire en quantités proprement astronomiques sur des tonnes de papier, de pierre et de toile, on ne cesse pas davantage d'en ingérer et dans consommer dans une gigantesque dépense d'énergie nerveuse : qu'en advient-il ensuite ? Disparaît-il comme un mirage ? Se dissout-il en particules ? Se soustrait-il à la loi terrestre de la conservation de la matière ? Les parcelles de poussière qui descendent au fond de nous et lentement s'y immobilisent n'ont aucun rapport avec la dépense faite. Où est-il parti ? Où est-il, qu'est-il ? Peut-être se formerait-il autour de ce mot "esprit", si l'on en savait davantage, un cercle de silence angoissé... » <T.1 p.190-192>