André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« La fameuse question spartiate doit être ici posée. Pourquoi Sparte n'eut pas de grands hommes. La perfection de la race empêcha l'exaltation de l'individu. Mais cela leur permit de créer le canon masculin ; et l'ordre dorique. Par la suppression des malingres, on supprime la variété rare - fait bien connu en botanique ou du moins en floriculture ; les plus belles fleurs étant données souvent par les plantes de chétif aspect. » <p.99>
François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
Évolution et bricolage :
« L'évolution ne tire pas ses nouveautés du néant. Elle travaille sur ce qui existe déjà, soit qu'elle transforme un système ancien pour lui donner une fonction nouvelle, soit qu'elle combine plusieurs systèmes pour en échafauder un autre plus complexe. Le processus de sélection naturelle ne ressemble à aucun aspect du comportement humain. Mais si l'on veut jouer avec une comparaison, il faut dire que la sélection naturelle opère à la manière non d'un ingénieur, mais d'un bricoleur ; un bricoleur qui ne sait pas encore ce qu'il va produire, mais récupère tout ce qui lui tombe sous la main, les objets les plus hétéroclites, bouts de ficelle, morceaux de bois, vieux cartons pouvant éventuellement lui fournir des matériaux ; bref, un bricoleur qui profite de ce qu'il trouve autour de lui pour en tirer quelque objet utilisable. [...] Comme l'a souligné Claude Levi-Strauss, les outils du bricoleur, contrairement à ceux de l'ingénieur, ne peuvent être définis par aucun programme. Les matériaux dont il dispose n'ont pas d'affectation précise. Chacun d'eux peut servir à des emplois divers. Ces objets n'ont rien de commun si ce n'est qu'on peut en dire : "ça peut toujours servir." À quoi ? Ça dépend des circonstances. [...] L'évolution procède comme un bricoleur qui pendant des millions et des millions d'années, remanierait lentement son oeuvre, la retouchant sans cesse, coupant ici, allongeant là, saisissant toutes les occasions d'ajuster, de transformer, de créer. » <p.70-74>
« Parmi les événements les plus dramatiques de l'évolution, certains sont liés à des changements qui avancent la maturité sexuelle à un stade plus précoce du développement. Des traits qui jusque-là caractérisaient l'embryon deviennent alors ceux de l'adulte, tandis que disparaissent des caractères qui auparavant appartenaient à l'adulte. Ce processus représente l'un des grands stratagèmes de l'évolution. Tout se passe comme si certains animaux pouvaient pour ainsi dire se débarrasser de la part terminale de leur vie puis reconstruire un nouveau cycle fondé sur les formes de la larve ou de l'embryon. C'est très vraisemblablement un tel mécanisme qui a donné naissance aux vertébrés à partir de quelque invertébré marin. C'est ce même processus qui semble avoir joué un rôle majeur dans la voie qui a mené à l'homme. L'embryon humain se développe selon un schéma de retardement conservant chez l'adulte une série de traits qui, chez les autres primates et les ancêtres de l'homme, caractérisent le petit. À cet égard, il est frappant de constater que les humains ressemblent plus à un bébé chimpanzé qu'à un chimpanzé adulte. Bien évidemment, l'homme ne descend pas des grands singes. Depuis qu'ont divergé les lignées menant vers l'homme ou vers les grands singes, chacune a poursuivi sa propre évolution en s'adaptant à des vies différentes. Pourtant l'ancêtre commun ressemblait plus aux singes qu'à l'homme. » <p.85-86>
André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994
« Si la création par Dieu ne demande qu'un miracle initial, l'explication du monde à partir d'un nuage de gaz résolument évolutionniste exige un miracle par microseconde. » <p.131>
Richard DAWKINS / Le gène égoïste / Editions Odile Jacob (Opus 33) 1996
« [...] si l'évolution peut vaguement sembler une "bonne chose", en particulier parce que nous en sommes le produit, en fait rien ne "demande" à évoluer. L'évolution est un phénomène qui arrive bon gré mal gré, en dépit de tous les efforts des réplicateurs (aujourd'hui des gènes) pour prévenir son arrivée. Jacques Monod analyse fort bien ce problème dans sa conférence sur Herbert Spencer, en faisant sèchement remarquer : "Un autre aspect curieux de la théorie de l'évolution est que chacun pense la comprendre !" » <p.38>