ÉRASME / Éloge de la Folie / Robert Laffont - Bouquins 1992
Le paradoxe du bouffon :
« C'est un fait, les rois détestent la vérité. Pourtant, il se passe quelque chose d'étonnant avec mes sots : les rois les entendent avec plaisir dire non seulement la vérité, mais encore ouvertement des critiques, au point que les mêmes paroles qui dans la bouche d'un sage, vaudraient la mort, causent un plaisir incroyable proférées par un bouffon. C'est qu'il y a dans la vérité un plaisir inné de plaire si l'on n'y ajoute rien d'offensant ; mais ce don, les dieux l'ont réservé aux fous. C'est à peu près pour les mêmes raisons que ce genre d'homme plaît tellement aux femmes, car elles sont naturellement portées aux plaisirs et aux frivolités. Aussi quoi qu'ils tentent avec elles, même si c'est quelquefois très sérieux, elles le prennent pour un jeu et une plaisanterie, tant ce sexe est ingénieux, surtout pour voiler ses fautes. » <p.43>
Charles DUFRESNY / Amusements sérieux et comiques (1698) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Je pardonne aux ouvrages sérieux qui me font rire ; mais comment tirer parti de ces comiques qui vous attristent ? » <p.995>
« Je suis persuadé que le bon comique s'accorde parfaitement avec le sérieux ; j'avance même que le comique est si naturel aux hommes les plus graves, que ceux à qui la nature a refusé les grâces de la plaisanterie ne sauraient s'empêcher d'être mauvais plaisants. J'avancerai même que l'éloquence sublime est presque inséparable de la plaisanterie. » <p.995>
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Celui qui ne sait point recourir à propos à la plaisanterie, et qui manque de souplesse dans l'esprit, se trouve très souvent placé entre la nécessité d'être faux ou d'être pédant, alternative fâcheuse à laquelle un honnête homme se soustrait, pour l'ordinaire, par de la grâce et de la gaieté. » <20 p.56>
« C'est la plaisanterie qui doit faire justice de tous les travers des hommes et de la société. C'est par elle qu'on évite de se compromettre. C'est par elle qu'on met tout en place sans sortir de la sienne. C'est elle qui atteste notre supériorité sur les choses et sur les personnes dont nous nous moquons, sans que les personnes puissent s'en offenser, à moins qu'elles ne manquent de gaieté ou de moeurs. La réputation de savoir bien manier cette arme donne à l'homme d'un rang inférieur, dans le monde et dans la meilleure compagnie, cette sorte de considération que les militaires ont pour ceux qui manient supérieurement l'épée. J'ai entendu dire à un homme d'esprit : "Otez à la plaisanterie son empire, et je quitte demain la société." C'est une sorte de duel où il n'y a pas de sang versé, et qui, comme l'autre, rend les hommes plus mesurés et polis. » <246 p.103>
Lorédan LARCHEY / L'Esprit de tout le monde - Joueurs de mots (1891) / Berger-Levrault 1892
« MARTAINVILLE Sa propagande contre-révolutionnaire le fit traduire en jugement. On veut qu'un calembour l'ait sauvé. À l'appel du président : "Approche, citoyen de Martainville," il proteste ainsi : - Mon nom est Martainville. Le citoyen président oublie qu'il est ici pour me raccourcir et non pour m'allonger. Le magistrat, piqué au jeu, aurait terminé le débat par cette réplique triomphante : - Eh bien ! qu'on 1'élargisse ! » <p.205>
« Un autre donne au tribunal le nom de De Saint-Cyr. - Il n'y a plus de De, fait le président. - Eh bien ! Saint-Cyr. - Il n'y a plus de Saint. - Cyr, alors. - Il n'y a plus de Sire. » <p.314>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Toutes les manières de nous exprimer sont bonnes quand elles nous font bien entendre. Ainsi, si la clarté de nos pensées éclate mieux par quelque jeu de mots, le jeu de mots est bon en ce cas là. » <2 septembre 1805 t.2 p.61>
« Mettre du sérieux ou du grave dans la plaisanterie. C'est toujours le sérieux ou le grave qui attache l'âme tandis que la plaisanterie amuse l'esprit. » <23 mai 1814 t.2 p.443>
« Je plaisante, le plus souvent, beaucoup moins que je ne le parais. Si vous sautez à pieds joints sur une vessie pleine d'air, - la vessie glissera sous vos pieds, et vous fera tomber ; - si, au contraire, vous la piquez tout doucement de la pointe d'une épingle, l'air qui la gonflait s'échappera - et elle restera plate et vide. La plupart des grandes choses de ce temps-ci - sont des vessies gonflées de vent, de paroles de vanité ; - j'ai choisi l'arme qui m'a paru contre elles la plus efficace. » <Décembre 1842, p.184>
Victor HUGO / Les Misérables (I) / OEuvres complètes - Roman t.5 / Paris, E.Testard 1890 [BnF]
« Le calembour est la fiente de l'esprit qui vole. » <Première partie, Livre III, ch.7, Sagesse de Tholomyès p.253>
Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / OEuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Prendre au sérieux. - L'intellect est chez presque tout le monde une machine pesante, obscure et gémissante qui est difficile à mettre en marche : ils appellent cela "prendre la chose au sérieux" quand ils veulent travailler et bien penser avec cette machine - oh ! combien ce doit être pénible pour eux de "bien penser" ! La gracieuse bête humaine a l'air de perdre chaque fois sa bonne humeur quand elle se met à bien penser ; elle devient "sérieuse" ! Et, "partout où il y a rires et joies, la pensée ne vaut rien" : c'est là le préjugé de cette bête sérieuse contre tout "gai savoir". Eh bien ! Montrons que c'est là un préjugé ! » <327 p.190>
Henry de MONTHERLANT / Carnets 1930-1944 / Essais / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1963
« La vie devient une chose délicieuse, aussitôt qu'on décide de ne plus la prendre au sérieux. » <Carnet XXXI p.1200>
« Le calembour et la gaillardise font apparaître les limites d'une intelligence et les limites d'une vertu. La fausse intelligence, l'intelligence-pimbêche, s'offusque d'un calembour, comme la fausse vertu, la vertu-pimbêche, s'offusque d'une gaillardise. » <Notes non datées, p.1333>
Albert EINSTEIN / Pensées intimes / Éditions du Rocher 2000
« Je suis satisfait de ma vie ces dernières années. J'ai gardé ma bonne humeur et je ne prends ni moi-même ni les autres au sérieux. » <Lettre à P. Moos, 30 mars 1950 ; Archives Einstein 60-587 ; p.196>
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.2) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Ce qui tuera l'ancienne société, ce ne sera ni la philosophie, ni la science. Elle ne périra pas par les grandes et nobles attaques de la pensée, mais tout bonnement par le bas poison, le sublimé corrosif de l'esprit français : la blague. » <30 juin 1868 p.159>
Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]
« La blague, ô hommes sérieux, savez-vous bien ce que c'est ? La blague, mais c'est Rabelais qui démolit un monde, mais c'est Voltaire qui tue une religion, mais c'est Beaumarchais qui effondre une société, mais c'est Paul-Louis, dont la flèche reste au flanc de la monarchie bourbonienne. Ce n'est pas avec cela, dites-vous, qu'on fait aller les machines. Possible. Mais c'est avec cela qu'on les disloque, et qu'on permet aux bons ouvriers d'en faire de meilleures. » <p.260>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Je ne ris pas de la plaisanterie que vous faites, mais de celle que je vais faire. » <30 octobre 1891 p.80>
« Prendre la vie au sérieux burlesque. » <18 avril 1894 p.172>
« Un bon mot vaut mieux qu'un mauvais livre. » <18 janvier 1895 p.202>
« - Vous dites ça en riant ! - Je dis ça en riant parce que c'est très sérieux. » <31 mars 1898 p.376>
« L'humoriste, c'est un homme de bonne mauvaise humeur. » <4 novembre 1898 p.400>
« Je ne déteste pas les gaffes. Elles prouvent la droiture de l'esprit. Elles sont les gages comiques de notre bonne foi. » <17 novembre 1900 p.480>
« Humour : pudeur, jeu d'esprit. C'est la propreté morale et quotidienne de l'esprit. Je me fait une haute idée morale et littéraire de l'humour. L'imagination égare. La sensibilité affadit. L'humour, c'est, en somme, la raison. L'homme régularisé. Aucune définition ne m'a suffi. D'ailleurs, il y a de tout dans l'humour. » <23 février 1910 p.997>
Auguste DETOEUF / Propos de O. L. Barenton, confiseur (1938) / Éditions d'Organisation 1982
« Ayez de la bonne humeur. L'idée, c'est la semence : le travail la fait lever ; mais la bonne humeur, c'est le soleil qui la fait mûrir. » <p.162>
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Blague. Pour le pur intellect, rien n'est futile, rien n'est important. C'est pourquoi les hommes très intellectuels et le plus véritablement intellectuels plaisantent aisément. Et ils plaisantent de façon habituelle - en quelque sorte sans plaisanter, par le jeu détaché de leurs organisations verbales et plastiques. Ils font jouer les groupes de similitudes, et les possibilités séparées des parties de leur avoir psychique comme d'autres font leurs muscles. Ce mode scandalise les gens lents et les gens avides. Ceux qui ignorent combien une foule de traits, de rapports fortuits, de rapides fantaisies inutiles déblaient l'esprit et l'apprêtent à situer une "question", à éclairer ses innombrables tenants, à la dépolariser, à la sonder jusqu'à l'essentiel. » <Gladiator p.333>
Paul LÉAUTAUD / Le théâtre de Maurice Boissard / OEuvres / Mercure de France 1988
« L'observateur des hommes et de la vie qui n'aboutit pas au comique est un observateur bien incomplet. » <p.1201>
Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d'occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Il y a certaines bêtises que j'ai faites parce que je savais qu'elles seraient amusantes à raconter. » <p.70>
« Ce qui ne tolère pas la plaisanterie supporte mal la réflexion. » <p.82>
Sacha GUITRY /L'Esprit / Cinquante ans d'occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Ah ! dame, je ne comprendrai jamais cette espèce de dédain que la plupart des personnes ont pour les gens qui les amusent ! Avez-vous remarqué ça ? Du moment que ça fait rire, ça n'a pas de valeur ! Seulement quand une oeuvre est triste et ennuyeuse, vous êtes enclin à la trouver profonde. Tout ce qui vous distrait vous paraît un peu vil. » <p.276>
Sacha GUITRY / Théâtre, je t'adore / Omnibus 1996
« Quand se décidera-t-on à prendre au sérieux les comiques ? » <p.104>
Paul VALÉRY / Tel Quel / OEuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Les sots croient que plaisanter, c'est ne pas être sérieux, et qu'un jeu de mots n'est pas une réponse. Pourquoi cette conviction chez eux ? C'est qu'il est de leur intérêt qu'il en soit ainsi. C'est raison d'État, il y va de leur existence. » <p.493>
« Trait d'esprit, - est usage du mot ou de l'acte pour son effet de choc instantané. Faible masse, grande vitesse. Il y a des traits de sottise aussi considérables, aussi rares, aussi précieux que des traits d'esprit. » <p.640>
LIN Yutang / L'importance de vivre / Ed. Philippe Picquier 2004
« L'humour paraît étroitement lié au sens de la réalité. Si celui qui se moque est souvent cruel en faisant perdre ses illusions à l'idéaliste, il remplit néanmoins un rôle essentiel, en lui évitant de se cogner la tête contre le mur de pierre de la réalité. Il apaise aussi doucement la tension de l'enthousiaste exalté, et lui permet de vivre plus longtemps. En le préparant à la désillusion, il lui évite finalement une plus grande peine, car un humoriste est toujours comme un homme chargé d'annoncer de mauvaises nouvelles à un mourant. » <p.31>
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Plus un humoriste est intelligent, moins il a besoin de déformer la réalité pour la rendre significative. » <p.290>
Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« Nous sommes tous dans l'erreur, les humoristes exceptés. Eux seuls ont percé comme en se jouant l'inanité de tout ce qui est sérieux et même de tout ce qui est frivole. » <p.1479>
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« T.H., qui a fait quatre ans de prison, à ma question : Comment avez-vous pu supporter ? me dit : Par l'humour. Si j'avais pris au sérieux ma situation, je n'aurais pu tenir. » <17 mai 1968 p.572>
« Tout pessimiste est un humoriste. » <5 novembre 1969 p.759>
Jean-Michel RIBES / Sursauts, brindilles et pétard / Grasset 2004
« L'humour est la politesse du désespoir mais heureusement c'est souvent plus drôle. » <p.87>
Jean PRIEUR / Hitler et la guerre luciférienne / Editions J'ai lu 1992
Humour contre propagande.
« Pour démoraliser nos troupes d'Alsace, la Wehrmacht avait recours à des formules plus claires et plus frappantes que le galimatias nostradamique. Sur le front, des haut-parleurs tonitruaient des interrogations de ce genre : "Braves Français, voulez-vous mourir pour Dantzig ?" Ou bien ils affirmaient, ce qui était le leitmotiv des tracts lancés par avion à l'intérieur du territoire : "Vous vous battez pour les Anglais... Les Anglais se battront jusqu'au dernier Français". Je revois l'un de ces tracts bicolores représentant un tommy et un poilu au bord d'un lac de sang où le premier invitait le second à plonger : "Après vous, mon cher !". Un beau matin, au pont de Kehl, côté allemand, on vit surgir une pancarte gigantesque avec ces mots : "BONS FRANÇAIS. PENDANT QUE VOUS MONTEZ LA GARDE ICI, LES ANGLAIS, DANS LE NORD, COUCHENT AVEC VOS FEMMES." Le lendemain, au pont de Kehl, côté français, une pancarte, tout aussi gigantesque, répliquait : "BONS ALLEMANDS, ON S'EN FOUT ON EST DU MIDI." » <p.122>
Georges PICARD / Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison / José Corti 1999
« La dérision est tactiquement recommandable à ceux qui éprouvent de la difficulté à aligner logiquement plus de deux arguments. Elle n'est pas fatigante et elle fait rire. En outre, vous paraîtrez toujours plus profond avec un bon mot qu'avec un mauvais discours, voire qu'avec un discours excellent, qui a toutes les chances d'être, pour cela même, jugé prétentieux. Les orateurs barbants ont compris le truc : les plus malins concluent généralement sur un bon mot censé racheter le reste, prouvant ainsi que l'humour est aussi la politesse des gens ennuyeux. » <p.139>
Bernard PIVOT / Le métier de lire / folio Gallimard 2001
« Apostrophes était parfois rasoir, mais, croyez-moi, c'était involontaire. J'ai toujours considéré que le premier irrespect qu'on doit à la culture, surtout à la télévision, c'est l'humour - lequel a d'ailleurs fait de beaux enfants à la culture. » <p.79>
Jean YANNE / Je suis un être exquis / Le cherche midi éditeur 2001
« L'humour n'est jamais mal placé. Où qu'il se place, ça reste de l'humour. » <p.79>
« L'humoriste est là pour désacraliser les choses en faisant des pirouettes autour de l'ordre établi. » <p.79>