François RABELAIS / Gargantua / OEuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1955
« Aux lecteurs
Amis lecteurs, qui ce livre lisez, Despouillez-vous de toute affection, Et, le lisant, ne vous scandalisez : Il ne contient mal ne infection. Vray est qu'icy peu de perfection Vous apprendrez, sinon en cas de rire ; Aultre argument ne peut mon cueur élire, Voyant le dueil qui vous mine et consomme : Mieux est de ris que de larmes escripre, Pour ce que rire est le propre de l'homme. » <p.2>
Thomas HOBBES / Léviathan (1651) / Dalloz 1999
« La soudaine glorification de soi est la passion qui produit ces grimaces qu'on appelle le rire ; elle naît quand on accomplit soudainement quelque action, dont on tire plaisir, ou quand on aperçoit chez autrui quelque disgrâce en comparaison de quoi on s'applaudit soudain soi-même. Elle atteint surtout ceux qui sont conscients de posséder le moins d'aptitudes, et qui sont obligés pour continuer à s'estimer de remarquer les imperfections des autres hommes. C'est pourquoi rire beaucoup des défauts des autres est un signe de petitesse d'esprit. En effet, une des tâches propres aux grandes âmes, c'est de soulager et libérer les autres du mépris, et de se comparer seulement aux meilleurs. » <Partie I ch. vi, Des commencements intérieurs des mouvements volontaires p.53>
Charles DUFRESNY / Amusements sérieux et comiques (1698) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992
« En définissant l'homme, on l'appelle par excellence, et pour le distinguer des bêtes, un animal risible plutôt qu'un animal sérieux ; cela prouve comiquement que le sérieux convient mieux à une bête que la plaisanterie. » <p.996>
Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / OEuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Il faut rire avant que d'être heureux, de peur de mourir sans avoir ri. » <p.142 IV (63)>
« Un projet assez vain serait de vouloir tourner un homme fort sot et fort riche en ridicule ; les rieurs sont de son côté. » <p.177 VI (10)>
Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS / Le Barbier de Séville (1775) / OEuvres complètes / Firmin-Didot 1865
« LE COMTE - Qui t'a donné une philosophie aussi gaie ? FIGARO - L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. » <Acte I scène ii p.79>
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« La plus perdue de toutes les journées est celle où l'on n'a pas ri. » <80 p.66>
« Rira bien qui rira le dernier. » <Les deux paysans et le nuage, p.160>
Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996
« Faire rire les autres n'est pas un art difficile tant qu'on se moque de savoir si c'est de notre trait d'esprit ou de nous-mêmes qu'on rit. » <p.55>
Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]
« Il est souvent très bon de rire avec sa pensée, et très souvent utile de ne pas rire avec celle des autres. » <328, p.56>
NAPOLÉON Ier/ Maximes de guerre et pensées / J. Dumaine Ed., Paris 1863
« En fait de système, il faut toujours se réserver le droit de rire le lendemain de ses idées de la veille. » <386 p.297>
STENDHAL / Journal / OEuvres intimes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1981
« Avoir toujours devant les yeux cette grande vérité, que le succès est pour qui fait rire. » <2 mai 1805 p.329>
« Un mystique ne rit pas. Un être triste est, de bonne foi, injuste envers Molière, comme un malade se dégoûte des aliments les plus sains. » <13 août 1816 p.962>
Sören KIERKEGAARD / Ou bien... Ou bien... (1843) / Tel 85 Gallimard 1943
« Il arriva que le feu prit dans les coulisses d'un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. On pensa qu'il faisait de l'esprit et on applaudit ; il insista ; on rit de plus belle. C'est ainsi, je pense, que périra le monde : dans la joie générale des gens spirituels qui croiront à une farce. » <Diapsalmata, p.27>
Arthur SCHOPENHAUER / Aphorismes sur la sagesse dans la vie (1851) / Collection Quadrige / PUF 1943
« [...] ce qui, par-dessus tout, contribue le plus directement à notre bonheur, c'est une humeur enjouée, car cette bonne qualité trouve tout de suite sa récompense en elle-même. En effet, celui qui est gai a toujours motif de l'être par cela même qu'il est. Rien ne peut remplacer aussi complètement tous les autres biens que cette qualité, pendant qu'elle-même ne peut être remplacée par rien. Qu'un homme soit jeune, beau, riche et considéré ; pour pouvoir juger de son bonheur, la question sera de savoir si, en outre, il est gai ; en revanche, est-il gai, alors peu importe qu'il soit jeune ou vieux, bien fait ou bossu, pauvre ou riche ; il est heureux. Dans ma première jeunesse, j'ai lu un jour dans un vieux livre la phrase suivante : Qui rit beaucoup est heureux et qui pleure beaucoup est malheureux ; la remarque est bien niaise ; mais, à cause de sa vérité si simple, je n'ai pu l'oublier, quoiqu'elle soit le superlatif d'un truism (en anglais, vérité triviale). Aussi devons-nous, toutes les fois qu'elle se présente, ouvrir à la gaieté portes et fenêtres, car elle n'arrive jamais à contre-temps, au lieu d'hésiter, comme nous le faisons souvent, à l'admettre, voulant nous rendre compte d'abord si nous avons bien, à tous égards, sujet d'être contents, ou encore de peur qu'elle ne nous dérange de méditations sérieuses ou de graves préoccupations ; et cependant il est bien incertain que celles-ci puissent améliorer notre condition, tandis que la gaieté est un bénéfice immédiat. Elle seule est, pour ainsi dire, l'argent comptant du bonheur ; tout le reste n'en est que le billet de banque ; car seule elle nous donne le bonheur dans un présent immédiat ; aussi est-elle le bien suprême pour des êtres dont la réalité a la forme d'une actualité indivisible entre deux temps infinis. » <p.10>
Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / OEuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Rire. - Rire, c'est se réjouir d'un préjudice, mais avec bonne conscience. » <200 p.152>
Ernest RENAN / L'Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995
« Les rieurs ne régneront jamais. » <p.449>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Si vous avez envie de rire, vous me trouverez spirituel. » <21 juin 1890 p.53>
« Il ne faut pas rire tant qu'on n'est qu'à l'extérieur des choses, mais il faut d'abord y entrer. Il faut rire du milieu des choses. Plus clairement, je ne ris pas de toute politique, car il peut en être de belle que j'ignore, mais je ris des hommes politiques que je connais, et de la politique qu'ils font sous mes yeux. Que le rire soit, non pas frivole, mais sérieux et intérieur, et d'une philosophie consciente ! On n'a le droit de rire des larmes que si on a pleuré. Le ridicule n'existe que par moments, mais rien n'est tout à fait ni toujours ridicule. Il ne faut rire que des belles choses qu'on peut aimer. Le banal ne fait pas rire. Avant que de rire des grands hommes, il faut savoir les aimer de toute son âme. Le rire est inattaquable puisqu'il rit de lui-même, mais il meurt tout seul au milieu des figures graves et pensives. Renan a dit : "Les rieurs ne régneront jamais." Il est vrai qu'ils se moquent de régner. » <8 avril 1896 p.259>
« Nous sommes ici-bas pour rire. Nous ne le pourrons plus au purgatoire ou en enfer. Et, au paradis, ce ne serait pas convenable. » <25 juin 1907 p.879>
Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / OEuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Le vice olympien. - En dépit de ce philosophe qui, en bon Anglais qu'il était, a essayé de discréditer le rire auprès de tous les penseurs - "le rire, dit Hobbes, est une grave infirmité de la nature humaine, dont toute tête pensante devra s'efforcer de s'affranchir"- , j'oserai même établir une hiérarchie des philosophes d'après la qualité de leur rire - en plaçant au sommet ceux qui sont capables d'éclats de rire dorés. Et à supposer que les dieux philosophent, eux aussi, ce que plusieurs conclusions m'incitent fortement à croire, je ne doute pas qu'ils ne sachent aussi, tout en philosophant, rire d'une façon nouvelle et surhumaine - et aux dépens de toutes les choses sérieuses ! Les dieux sont espiègles : il semble que, même pendant les actes sacrés, ils ne puissent s'empêcher de rire. » <294 p.730>
Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Une certaine vision ironique conserve-t-elle les individus, ou cette vision est-elle le signe d'une bonne santé foncière, permettant de franchir les étapes morbides ? Je ne sais. Ce qui est certain, c'est que l'injure des ans s'attaque moins à des gaillards comme Adrien Hébrard ou Georges Clemenceau qu'à d'autres, d'aspect plus robuste et durable. Se fichant de presque tout et de tout le monde, ces privilégiés de la durée n'attachent plus à leur santé ni à la fuite des heures ce prix excessif qui engendre la mélancolie et met les tissus organiques en dépression. Selon Alphonse Daudet, l'ironie est le grand antiseptique et je pense que cette comparaison va très loin. Plus que l'Académie française, le rire confère, dès ici-bas, l'immortalité conditionnelle. » <p.265>
Jean COCTEAU / La difficulté d'être / Romans, Poésies, OEuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« La faculté de rire aux éclats est preuve d'une âme excellente. Je me méfie de ceux qui évitent le rire et refusent son ouverture. Ils craignent de secouer l'arbre, avares qu'ils sont de fruits et d'oiseaux, craintifs qu'on s'aperçoive qu'il ne s'en détache pas de leurs branches. » <p.937>
Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / OEuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Il ne faut pas avoir trop raison quand on veut avoir les rieurs de son côté ; avoir un tantinet tort est même une preuve de bon goût. » <221 p.669>
Paul VALÉRY / Mauvaises pensées et autres / OEuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« "Mets les rieurs de ton côté" - et le bateau chavire. Il te verse avec eux dans le vulgaire. » <p.827>
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« On se fait rarement rire seul parce qu'on se surprend difficilement soi-même. » <Psychologie p.881>
« Pour ce que rire est le propre de l'homme... Je ne sais si c'est vrai. Mais pourquoi le rire serait un moyen, une ressource de l'être le plus pensant ? de l'homme ? Ce vomissement du cerveau - cette équation d'une image ou d'une idée ou d'une coïncidence avec une chatouille ? » <Psychologie p.929>
« Le rire dit : Je ne suis pas comme cela, MOI ! » <Psychologie p.965>
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Vraiment, j'ai presque du regret de n'avoir pas fait du théâtre, quand je vois jouer du Molière. J'ai bien changé de ce que j'étais à vingt ans. Je n'aimais pas Molière. Je ne voyais que le théâtre tragique, romantique, les grands premiers rôles à tirades. Aujourd'hui, je trouve cela assommant, à éclater de rire, absolument opposé au caractère français, et qu'il n'y a de théâtre que le théâtre comique. Je suis sûr là-dessus d'être dans le vrai. Il n'y a que le comique qui soit la représentation de la vie. » <23 octobre 1910 I p.790>
« Je pensais ce soir, et je l'ai recherché, pour le plaisir d'en lire les mots, au mot de Chamfort : La plus perdue de toutes les journées est celle où on n'a pas ri. Quelle merveille, ce mot ! Que de choses il contient, il exprime. De quelle extrême sensibilité il est né ! Et combien de gens aujourd'hui connaissent Chamfort, - heureusement ! Et il n'y a pas même une plaque sur la maison dans laquelle il est mort ! Et les manuels littéraires font si petit cas de lui ! Je le répéterai une fois de plus : il est à mettre à côté, et à égalité, de La Rochefoucauld. » <23 Juin 1942 III p.630>
« Je suis depuis longtemps en admiration pour cette pensée de Chamfort : La plus perdue de toutes les journées est celle où l'on n'a pas ri, si profonde, sous un certain sens, qu'il est bien probable qu'on doit l'entendre généralement, si amère, si désabusée, expression d'une ironie portée à son plus grand degré, le summum de la déception et de la misanthropie. » <19 août 1950 III p.1866>
ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Le rire est directement contraire à cette forcenée attention à soi, qui est le fond du sérieux. Le rire secoue tout le corps comme un vêtement, laissant chaque partie s'ébattre à sa guise. Par essence le rire est un abandon de gouvernement, et le premier remède contre cet absurde gouvernement qui noue et paralyse. Le rire rétablit les échanges en déliant ; il aère, nettoie et repose. Quoi de mieux ? Mais le rire a ceci de mauvais qu'il attaque le sérieux en son centre et menace de le détrôner. Et c'est un scandale, pour celui qui s'est fait de belles raisons d'être triste, que toutes ces raisons se perdent soudain par cette négation de toute attitude qu'est le rire. "Ne prétendez point" se ramène à ceci : "ne tendez point". Mais on veut prétendre. Ainsi le rire est comme une violence, et une tentative de vous faire sauter comme un nourrisson. Il faut toutes les précautions de l'art comique pour que le rire soit vainqueur. Mais aussi ce triomphe est beau. » <p.173>
Francis PICABIA / Dits / Eric Losfeld 1960
« La bonne conscience du rire me repose des gens sérieux. » <p.7>
Maurice DONNAY / L'esprit de Maurice Donnay / nrf Gallimard 1926
« Rire des mêmes choses, c'est les neuf dixièmes de la sympathie, parce que tout le monde ou à peu près pleure pour les mêmes choses et ça ne signifie rien. » <p.124>
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« L'art de dire finement les choses... Qu'ai-je affaire de paraître spirituel ? L'épaisseur des grands comiques, des Cervantès, Molière, Rabelais. Leur rire est générosité. Celui qui sourit seulement se croit supérieur ; il se prête ; l'autre se donne. » <16 juin 1932 p.1133>
Henri BERGSON / Le rire / Quadrige / PUF 1940
« Il n'y a pas de comique en dehors de ce qui est humain. Un paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid ; il ne sera jamais risible. On rira d'un animal, mais parce qu'on aura surpris chez lui une attitude d'homme ou une expression humaine. On rira d'un chapeau ; mais ce qu'on raille alors, ce n'est pas le morceau de feutre ou de paille, c'est la forme que des hommes lui ont donnée, c'est le caprice humain dont il a pris le moule. Comment un fait aussi important, dans sa simplicité, n'a-t-il pas fixé d'avantage l'attention des philosophes ? Plusieurs ont défini l'homme "un animal qui sait rire". Ils auraient aussi bien pu le définir un animal qui fait rire, car si quelque animal y parvient, ou quelque objet inanimé, c'est par une ressemblance avec l'homme, par la marque que l'homme y imprime ou par l'usage que l'homme en fait. » <p.2-3>
Alfred JARRY / La chandelle verte / OEuvres / Bouquins, Robert Laffont 2004
« Le rire n'est pas, croyons-nous, seulement ce que l'a défini notre excellent professeur de philosophie au lycée Henri-IV, M. Bergson : le sentiment de la surprise. Nous estimons qu'il faudrait ajouter : l'impression de la vérité révélée - qui surprend comme toute découverte inopinée. » <15 mai 1903, p.1016>
Emil CIORAN / Syllogismes de l'amertume (1952) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« Quelques générations encore, et le rire, réservé aux initiés, sera aussi impraticable que l'extase. » <p.801>
Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972
« Le sarcastique et prophétique proverbe qui dit : "Rira bien qui rira le dernier" gagnerait à être ainsi modifié : "quand celui qui rit le dernier a bien fini de rire, personne ne rigole plus. » <p.158>
Pierre DESPROGES / Vivons heureux en attendant la mort / Ed. du Seuil 1983
« Il faut rire de tout. C'est extrêmement important. C'est la seule humaine façon de friser la lucidité sans tomber dedans. » <p.115>