« La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d'autrui. C'est une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber ; nous donnons du secours aux autres pour les engager à nous en donner en de semblables occasions ; et ces services que nous leur rendons sont à proprement parler des biens que nous nous faisons à nous-mêmes par avance. » <M 264 p.67>
Madame de SABLÉ / Maximes (1678) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992
« On aime tellement toutes les choses nouvelles et les choses extraordinaires qu'on a même quelque plaisir secret par la vue des plus tristes et des plus terribles événements, à cause de leur nouveauté et de la malignité naturelle qui est en nous. » <18 p.248>
« Si Malherbe imposait l'aumône aux autres, il ne paraît pas avoir prêché d'exemple. Quand un pauvre lui demandait quelque charité en disant : "Je prierai Dieu pour vous". "Eh ! répondait-il, comment voulez-vous que Dieu fasse attention à vos prières ? Vous n'avez pas sur lui grand crédit. Regardez dans quel état il vous laisse." » <p.37>
Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [oeuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]
« En général, l'indulgence pour ceux que l'on connaît, est bien plus rare que la pitié pour ceux qu'on ne connaît pas. » <Morale p.66>
Paul Henri Dietrich baron d'HOLBACH / La Morale universelle (I) / Amsterdam M.-M. Rey 1776 [BnF cote 1070]
« [...] la pitié est le fruit d'un esprit exercé, dans lequel l'éducation, l'expérience, la raison ont amorti cette curiosité cruelle qui pousse le commun des hommes au pied des échafauds. » <III i p.234>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« L'anecdote racontée aujourd'hui par D'Arnaud. "D'où venez-vous, mesdemoiselles ? - Maman, nous venons de voir guillotiner ; ah mon Dieu, que ce pauvre bourreau a eu de peine." Cet horrible déplacement de la pitié peint un siècle où tout est renversé. » <30 juillet 1804 t.1 p.643>
« L'indifférence donne un faux air de supériorité. » <2 juillet 1812 t.2 p.357>
« Il est certain que l'attention que nous donnons aux maux d'autrui nous fait oublier les nôtres. C'est même un fait dont la cause est physique. » <t.2 p.630>
Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Quand on a un peu d'humanité on ne peut pas s'empêcher de souhaiter la mort à ceux qu'on aime ; et on dira que j'ai le coeur dur ! » <À Louise Colet, 15 février 1847 p.439>
« Il ne faut croire l'indulgence des gens que lorsqu'elle s'exerce dans les choses qui leur sont personnelles. - Tel homme se prend de pitié pour un empoisonneur, - pour un assassin, - vous le croyez indulgent ; - attendez pour le juger qu'on lui marche sur le pied dans une foule, - ou qu'on casse par maladresse une de ses tasses du Japon. » <Juillet 1842, p.52>
Alphonse KARR / En fumant / M. Lévy frères 1862
« Mon ami, disait un homme à un autre qui lui demandait cinq francs, il faut savoir se priver et se contenter de ce qu'on a. Quand je ne puis pas avoir un faisan à mon dîner, je me contente d'un perdreau ; si je n'ai pas de vin de l'Ermitage, je bois tout simplement du vin de Bordeaux, pourvu qu'il soit d'un bon cru et pas trop jeune. » <p.90>
Pierre François LACENAIRE / Mémoires / José Corti 1991
« Voudrais-je prétendre par-là que je n'aie jamais rencontré d'hommes bons et vertueux et que je me sois cru supérieur aux autres ? Non sans doute ; j'ai rencontré souvent des hommes qui avaient de rares et précieuses qualités, des hommes honnêtes et délicats, des hommes attachés à leurs devoirs et pratiquant la vertu, ce que vous appelez la vertu vous autres du moins. Quant à moi, je ne connais qu'une seule vertu, mais elle vaut toutes les autres, c'est la sensibilité. Or, combien peu d'hommes la possèdent ! combien peu d'hommes compatissent aux misères d'autrui autrement qu'en théorie et dans de beaux livres ! chez la plupart, quelle dureté, quelle indifférence pour tous les maux qui ne les touchent pas ! combien en est-il qui n'ont d'autre aumône à donner à celui qui leur tend la main, que ces mots jetés du haut de leur morgue stoïque : Travaille, paresseux ! Il ne faut pas encourager le vice et l'oisiveté, disent-ils pour excuse. Vice tant que vous voudrez ; si le vice ne devait pas manger, seriez-vous bien certains de dîner aujourd'hui, riches si froids et si orgueilleux, qui ne savez même pas placer un bienfait sans humilier et qui le faites même à dessein pour montrer une supériorité que vous ne devez qu'à votre or ? » <p.92>
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Ce qui adoucit encore beaucoup d'horreurs et d'inhumanités dans l'histoire, auxquelles l'on voudrait à peine ajouter foi, c'est cette considération que l'ordonnateur et l'exécuteur sont des personnages différents : le premier n'a pas la vue du fait, ni par conséquent la forte impression sur l'imagination, le second obéit à un supérieur et se sent irresponsable. La plupart des princes et des chefs militaires font aisément, par manque d'imagination, l'effet d'hommes cruels et durs sans l'être. ... La souffrance d'autrui est chose qui doit s'apprendre : et jamais elle ne peut être apprise pleinement. » <101 p.495>
« Les compatissants. Les natures compatissantes, à chaque instant prêtes à secourir dans l'infortune, sont rarement en même temps les conjouissantes : dans le bonheur d'autrui, elles n'ont que faire, sont superflues, ne se sentent pas en possession de leur supériorité et montrent pour cela facilement du dépit. » <321 p.601>
« Explication de la joie maligne. - La joie maligne que l'on éprouve en face du mal d'autrui provient du fait que chacun se sent mal à l'aise sous bien des rapports, qu'il éprouve, lui aussi, souci, jalousie, douleur et qu'il ne les ignore pas : le dommage qui touche l'autre fait de lui son égal, il réconcilie sa jalousie. - S'il a des raisons momentanées pour être heureux lui-même, il n'en accumule pas moins les malheurs du prochain, dans sa mémoire, comme un capital pour le faire valoir dès que sur lui aussi le malheur se met à fondre : c'est là également une façon d'avoir une "joie maligne". » <27 p.844>
« Pourquoi les mendiants survivent. - La plus grande dispensatrice d'aumônes, c'est la lâcheté. » <240 p.920>
Émile BERGERAT / Les soirées de Calibangrève / Flammarion 1892 [BnF cote 8-Z-13067]
« Le malheur d'autrui ne nous paraît jamais tout à fait immérité. » <Cinquante pensées noires, p.113>
« Pour que la charité puisse être pratiquée, il faut que quelques-uns acceptent de ne pas la faire, ou ne soient pas en état de la faire. C'est une vertu réservée à quelques-uns ; la morale, au contraire, par définition, doit être commune à tous, accessible à tous. On ne saurait donc voir dans le sacrifice, le dévouement inter-individuel, le type de l'acte moral. » <p.50>
Oscar WILDE / Intentions / OEuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996
« Que la Compassion humanitaire aille contre la Nature en assurant la survie du raté peut amener l'homme de science à abhorrer ses vertus faciles. L'économiste peut la dénoncer parce qu'elle élève l'imprévoyant au même niveau que le prévoyant et prive ainsi la vie de son incitation au travail la plus puissante, parce que la plus sordide. Mais, aux yeux du penseur, le véritable tort que cause cette compassion émotionnelle, c'est de limiter la connaissance et de nous empêcher par là de résoudre ne serait-ce qu'un seul problème social. » <p.877>
Georges DARIEN / La Belle France (1900) / Voleurs ! / Omnibus Presses de la Cité 1994
« Le crime le plus horrible des riches envers les pauvres est de s'être arrogé le droit de leur distribuer la justice et l'assistance, de leur faire la charité. Ce sont les misérables qui paient eux-mêmes, avec des intérêts usuraires, les frais de la justice dérisoire, de l'assistance immonde et de la charité dégradante qu'ils sont assez vils pour quémander et recevoir. Voilà le comble de la lâcheté, de la dérision et de l'hypocrisie. » <p.1223>
Adrien DECOURCELLE / Les formules du docteur Grégoire / Paris, Hetzel 1880
« Bienfait : Une graine, assez rare, dont la fleur est l'Ingratitude. » <p.30>
« Un bienfait n'est jamais perdu. Ou, s'il est perdu, il n'est pas perdu pour tout le monde. » <Le Chat Noir, 27 mars 1886 p.79>
« Faire la charité, c'est bien. La faire faire par les autres, c'est mieux. On oblige ainsi son prochain, sans se gêner soi-même. » <Le Chat Noir, 11 janvier 1890 p.219>
Léon BLOY / L'Invendable / Journal I / Robert Laffont - Bouquins 1999
« Les pauvres seuls donnent spontanément, les riches veulent être sollicités. » <18 décembre 1906, p.625>
Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / OEuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Le miracle de la charité, ce fut de la faire faire par les pauvres. Cela s'appelle : mutualité. » <208 p.186>
Alexandre VIALATTE / Chroniques de La Montagne (1) / Robert Laffont - Bouquins 2000
« Reconnaissons qu'on est toujours tenté de ne pas être charitable avec les riches. » <96 - 12 octobre 1954 p.224>
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Une fourreuse du passage Dauphine, une soixantaine d'années, à qui j'ai souvent parlé à cause de ses chiens, s'est jetée à la Seine il y a quelques jours. Inconsolable de la mort d'un fils il y a une dizaine d'années. Pertes d'argent. Mauvaises affaires. Mari toujours dehors. Le "Fléau" me parlait de cela ce soir dans mon bureau. Je me suis mis à éclater de rire. Scandalisée de cela. Me traitant de monstre, homme abominable. Je n'en riais que plus fort. C'est vrai, à la fin. Faut-il que je me désole parce que cette femme s'est jetée à l'eau ? Je m'en fiche complètement. Va-t-il falloir aussi que je m'attendrisse sur les tuberculeux, les goitreux, les borgnes, les bancals, les gens qui n'ont qu'un testicule, tous les mal bâtis d'une façon ou d'une autre. C'est agaçant, à la fin. Je m'en fiche complètement. Toutes ces jérémiades à la mode d'aujourd'hui ! C'est comme l'affaire des timbres antituberculeux. Des timbres antituberculeux ? Quel français ! J'attends qu'on vienne m'en offrir dans la rue. Car c'est devenu maintenant une sorte de quête. Je crois bien que je m'offrirai ce plaisir de répondre que je m'en fiche complètement. » <19 décembre 1932 II p.1149>
« Les journaux, ce matin, annoncent que Gandhi a été assassiné par un indou [sic]. C'est bien fait. Cela lui apprendra à s'occuper du bonheur des autres. C'est une réflexion, de ce genre que Marquet, l'ancien maire de Bordeaux, a fait dans son procès en Cour de Justice : "Si je ne m'étais pas occupé de sauver la vie à 58 Bordelais que les Allemands voulaient fusiller, je ne serais pas ici." "Jésus, a-t-il ajouté, a fait la même expérience il y a longtemps." » <31 janvier 1948 III p.1672>
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« Tout homme est sensible quand il est spectateur. Tout homme est insensible quand il agit. Cela explique assez les tours et retours des choses humaines, pourvu qu'on y pense. Toutefois, on n'y peut presque point penser. Car dès que j'imagine le crime d'un autre, je l'imagine en spectateur ; il me semble que le criminel a le coeur déchiré pour toujours. Et il l'aurait s'il était spectateur. On a plus d'une fois remarqué qu'au théâtre ce ne sont pas toujours les plus tendres et les plus scrupuleux qui font voir des sentiments humains et même des larmes. Mais la résolution inflexible, la précaution, la décision, la vitesse de l'homme qui agit sont incompréhensible pour celui qui le regarde. D'où ces crimes de la guerre qui passent toute mesure, et qui ne révèlent rien sur la nature de ceux qui les commettent. Coeurs secs, ou irritables, ou sensibles, dans la vie ordinaire, c'est tout un dès que l'action les emporte. Et le remords, chez les meilleurs, est certainement volontaire et tout abstrait ; ce genre de remords ne mord point du tout. Un chasseur, souvent, est un ami des bêtes ; mais, s'il est bon tireur, les perdrix ne doivent pas compter sur cet amour-là. » <25 mars 1922 p.384>
Georges BERNANOS / Les Grands Cimetières sous la lune (1938) / Essais et écrits de combats I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971
« Certaines contradictions de l'histoire moderne se sont éclairées à mes yeux dès que j'ai bien voulu tenir compte d'un fait qui d'ailleurs crève les yeux : l'homme de ce temps a le coeur dur et la tripe sensible. Comme après le Déluge la terre appartiendra peut-être demain aux monstres mous. » <p.371>
« Les gens du peuple ont un mot très profond lorsqu'ils s'encouragent à la sympathie. "Mettons-nous à sa place", disent-ils. On ne se met aisément qu'à la place de ses égaux. À un certain degré d'infériorité, réelle ou imaginaire, cette substitution n'est plus possible. Les délicats du XVIIe siècle ne se mettaient nullement à la place des nègres dont la traite enrichissait leurs familles. » <p.535>
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« Si difficile de nettoyer la pitié de tout égoïsme, du "quand je pense que ça pourrait m'arriver". » <8 septembre 1968, p.49>
André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994
« Méfions-nous des entraînements de la sensibilité ! On commence par plaindre les assassins et par un enchaînement fatal on finit par s'apitoyer sur les victimes... » <p.142>
Emil CIORAN / Sur les cimes du désespoir / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« La compassion n'engage à rien, d'où sa fréquence. Nul n'est jamais mort ici-bas de la souffrance d'autrui. Quant à celui qui a prétendu mourir pour nous, il n'est pas mort : il a été mis à mort. » <p.60>
Emil CIORAN / De l'inconvénient d'être né (1973) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« "Celui qui est enclin à la luxure est compatissant et miséricordieux ; ceux qui sont enclins à la pureté ne le sont pas." (Saint Jean Climaque.) Pour dénoncer avec une telle netteté et une telle vigueur, non pas les mensonges, mais l'essence même de la morale chrétienne, et de toute morale, il y fallait un saint, ni plus ni moins. » <p.1345>
Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« Laissez donc les autres tels qu'ils sont, et ils vous en seront reconnaissants. Voulez-vous à tout prix leur bonheur ? Ils se vengeront. » <p.1492>
Pierre DAC / Arrière-pensées - Maximes inédites / Le cherche midi éditeur 1998
« Donner avec ostentation, ce n'est pas très joli, mais ne rien donner avec discrétion, ça ne vaut guère mieux. » <p.34>
Roland TOPOR / Pense-bêtes / Le cherche midi éditeur 1992
« La promotion des grands sentiments engraisse les crapules. » <p.94>
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« On a toujours la possibilité de se défendre contre la haine, la médisance, la jalousie. On ne peut rien contre les bons sentiments. Ils paralysent les forces vives comme la glu colle les pattes des mouches trop aventureuses. Allez donc dire leur fait aux dames patronnesses, aux confits en dévotion, aux maniaques de l'altruisme, aux professionnels de la charité ! Tous ces gens-là pataugent dans le miel de la solidarité humaine. Ils sont inattaquables jusqu'au moment où l'on découvre que leur charité a commencé par eux-mêmes. » <p.27>
Philippe BOUVARD / Auto-psy d'un bon vivant Journal 2000-2003 / Le cherche midi éditeur 2003
« J'ai souvent eu faim avant les repas. C'est insuffisant pour comprendre vraiment la misère. » <p.85>