MARC-AURÈLE / Pensées / Les Stoïciens / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1962
« Je suis souvent étonné de voir combien chacun s'aime lui-même plus que tout et pourtant tienne moins compte de son propre jugement sur lui-même que celui des autres. De fait, si un dieu placé près de lui ou un maître sage l'invite à n'avoir à part lui aucune pensée, aucune idée qu'il ne profère aussitôt à haute voix, il ne le supportera pas un seul jour. Et ainsi nous avons honte de ce que notre prochain pense de nous plus que de ce que nous en pensons nous-mêmes. » <XII (4) p.1242>
ÉRASME / Éloge de la Folie / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Dites-moi, je vous prie : peut-on aimer quelqu'un quand on se hait soi-même ? S'entendre avec autrui si on n'est pas d'accord avec soi-même ? Donner du plaisir à quelqu'un si on est pour soi-même pénible et ennuyeux ? Pour l'affirmer je crois qu'il faudrait être plus fou que la Folie elle-même. Eh bien, si l'on me chassait, loin de pouvoir supporter les autres chacun se prendra lui-même en dégoût, méprisera ce qui est à lui, se haïra lui-même. Car la Nature, en bien des cas plus marâtre que mère, a gravé dans l'esprit des mortels, surtout des plus sensés, le mécontentement de soi et l'admiration d'autrui. De là vient que tous les dons, toute l'élégance, tout le charme de la vie s'altèrent et périssent. Car à quoi bon la beauté, le plus inestimable présent des dieux immortels, si elle est contaminée par le vice du dégoût de soi ? Et la jeunesse si elle se corrompt au ferment d'une mélancolie sénile ? » <p.28>
LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967
« On aime mieux dire du mal de soi-même que de n'en point parler. » <M 138 p.36>
« Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu'à proportion de notre amour-propre. » <M 339 p.82>
« Ce qui fait voir que les hommes connaissent mieux leurs fautes qu'on ne pense, c'est qu'ils n'ont jamais tort quand on les entend parler de leur conduite : le même amour-propre qui les aveugle d'ordinaire les éclaire alors, et leur donne des vues si justes qu'il leur fait supprimer ou déguiser les moindres choses qui peuvent être condamnées. » <M 494 p.111>
« Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur de nos amis ne vient ni de la bonté de notre naturel, ni de l'amitié que nous avons pour eux ; c'est un effet de l'amour-propre qui nous flatte de l'espérance d'être heureux à notre tour, ou de retirer quelque utilité de leur bonne fortune. » <MS 17 p.139>
« Dans l'adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons toujours quelque chose qui ne nous déplaît pas. » <MS 18 p.139>
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l'âme / Domaine romantique José Corti 1997
« La Rochefoucauld, dans ses Maximes, écrit que "dans l'adversité de nos meilleurs amis nous trouvons toujours quelque chose qui ne nous déplaît pas" ; celui qui en désavoue la vérité, ou bien ne la comprend pas, ou bien ne se connaît point. » <RA 28 p.242>
Blaise PASCAL / Pensées / OEuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Voulez-vous qu'on croie du bien de vous ? N'en dites pas. » <15 p.1091>
Madame de LAMBERT / Avis d'une mère à sa fille / OEuvres complètes / Paris L.Collin 1808 [BnF]
« Notre amour-propre nous dérobe à nous-mêmes, et nous diminue tous nos défauts. Nous vivons avec eux comme avec les odeurs que nous portons ; nous ne les sentons plus, elles n'incommodent que les autres : pour les voir dans leur vrai point de vue, il faut les voir dans autrui. » <p.85>
Madame de LAMBERT / Traité de l'amitié / OEuvres complètes / Paris L.Collin 1808 [BnF]
« Voulez-vous être estimé ? vivez avec des personnes estimables. » <p.114>
MARIVAUX / Lettres sur les habitants de Paris (1718) / Journaux et OEuvres diverses / Classiques Garnier 1988
« L'amour-propre est à peu près à l'esprit ce qu'est la forme à la matière. L'un suppose l'autre. Tout esprit a donc de l'amour-propre, comme toute portion de matière a sa forme : de même aussi que toute portion de matière est pliable à une forme plus ou moins fine et variée, suivant qu'elle est plus ou moins fine et délicate elle-même, de même encore notre amour-propre est-il plus ou moins subtil, suivant que notre esprit a lui-même plus ou moins de finesse. » <p.35>
MONTESQUIEU / Mes pensées / OEuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949
« Il y a autant de vices qui viennent de ce qu'on ne s'estime pas assez, que de ce qu'on s'estime trop. » <1039 p.1274>
« Il n'est pas étonnant qu'on ait tant d'antipathie pour les gens qui s'estiment trop : c'est qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre s'estimer beaucoup soi-même et mépriser beaucoup les autres. » <1046 p.1274>
LA BEAUMELLE / Mes pensées ou Le qu'en dira-t-on (1752) / Droz 1997
« Je ne sais si c'est un goût particulier ; mais on ne me paraît jamais grand, quand on me fait sentir que je suis petit. » <LXXVIII p.60>
Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]
« Pourquoi les mêmes égards que l'on se croit dus lorsqu'un grand les refuse, semblent-ils une grâce lorsqu'il les accorde ? » <290, p.49>
VOLTAIRE / Lettres Philosophiques / Mélanges / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961
« Il est aussi impossible qu'une société puisse se former et subsister sans amour-propre, qu'il serait impossible de faire des enfants sans concupiscence, de songer à se nourrir sans appétit, etc. C'est l'amour de nous-mêmes qui assiste l'amour des autres ; c'est par nos besoins mutuels que nous sommes utiles au genre humain ; c'est le fondement de tout commerce ; c'est l'éternel lien des hommes. Sans lui il n'y aurait pas eu un art inventé, ni une société de dix personnes formée ; c'est cet amour-propre que chaque animal a reçu de la nature qui nous avertit de respecter celui des autres. La loi dirige cet amour-propre et la religion le perfectionne. » <p.113>
VOLTAIRE / Traité de métaphysique / Mélanges / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961
« L'amour-propre et toutes ses branches sont aussi nécessaires à l'homme que le sang qui coule dans ses veines ; et ceux qui veulent lui ôter ses passions, parce qu'elles sont dangereuses ressemblent à celui qui voudrait ôter à un homme tout son sang, parce qu'il peut tomber en apoplexie. » <p.195>
Paul Henri Dietrich baron d'HOLBACH / La Morale universelle (I) / Amsterdam M.-M. Rey 1776 [BnF cote 1070]
« L'on aime les personnes timides, et qui ne résistent point, parce qu'on se promet d'en disposer à son gré ; cependant la timidité que d'ordinaire on aime et que l'on prend souvent pour de la modestie, n'est quelquefois l'effet que d'une vanité secrète qui craint de n'être point autant considérée qu'elle croit le mériter : cet amour-propre délicat ne veut pas s'exposer à des assauts qu'il se sent incapable de soutenir. » <III ii p.254>
« Les gens les plus épris d'eux-mêmes font communément de leur mieux pour en dégoûter les autres. » <III xii p.386>
Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]
« On aime à blâmer les vices que l'on n'a point, parce que c'est une manière tacite de se louer. » <5, p.2>
Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996
« Qui s'amourache de soi procure à son amour au moins cet avantage que d'avoir fort peu de rivaux. » <p.19>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Dites à Mélanthe qu'il a un grand talent. Il se tient grave, il est distrait, il n'écoute pas. Dites-lui qu'il est grand poète, il vous prête quelque attention. Ajoutez que non seulement il est grand poète, mais le plus grand de nos poètes, le poète par excellence, il vous entend, il vous répond, il remercie, il est content. Vous devinez. » <12 mai 1796 t.1 p.184>
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Un acte de vertu, un sacrifice ou de ses intérêts ou de soi-même, est le besoin d'une âme noble, l'amour-propre d'un coeur généreux, et, en quelque sorte, l'égoïsme d'un grand caractère. » <147 p.80>
« C'est par notre amour-propre que l'amour nous séduit ; hé ! comment résister à un sentiment qui embellit à nos yeux ce que nous avons, nous rend ce que nous avons perdu et nous donne ce que nous n'avons pas ? » <356 p.133>
« Je demandais à M. de T... pourquoi il négligeait son talent et paraissait si complètement insensible à la gloire ; il me répondit ces propres paroles : Mon amour-propre a péri dans le naufrage de l'intérêt que je prenais aux hommes. » <986 p.269>
STENDHAL / Journal / OEuvres intimes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1981
« Le plus ou moins de finesse qu'on met à satisfaire les besoins de l'amour-propre, besoins aussi nécessaires que celui de boire et de manger, indique la classe à laquelle appartient l'individu. » <17 avril 1810 p.563>
« On aime à tempérer l'admiration qu'on croit ne pouvoir refuser à un homme par quelque chose d'horrible ou de ridicule qu'on sait de lui, ce qui rétablit l'équilibre ; et, tout en nous le montrant supérieur par un côté, nous rend cette supériorité d'un autre côté. Il n'est pas un seul homme, si élevé qu'il soit au-dessus des autres, que nous ne nous croyions supérieur à lui en quelque point. » <Novembre 1841, p.162>
Alphonse KARR / Sous les orangers / M. Lévy frères 1859
« "Il pense bien ; il a raison ; c'est un homme de bon sens," sont des formules destinées à exprimer, sous prétexte d'autrui, son admiration pour soi-même, "il pense bien, il a raison, c'est un homme de bon sens," n'ayant jamais voulu dire que "il pense comme moi". » <p.272>
Oscar WILDE / Formules et maximes / OEuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996
« S'aimer soi-même, c'est se lancer dans une belle histoire d'amour qui durera toute la vie. » <p.970>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Quand il fait l'éloge de quelqu'un, il lui semble qu'il se dénigre un peu. » <11 janvier 1893 p.116>
« Comment se fait-il donc qu'on connaissent toutes les bonnes actions discrètes ? » <19 janvier 1895 p.203>
« L'amour du drapeau, de la patrie, c'est ce petit soldat perdu dans les rangs, qui traîne un pied, et dont la figure reluit de cambouis, se croit regardé comme s'il était colonel à cheval. » <7 mai 1894 p.174>
Gustave LE BON / Aphorismes du temps présent (1913) / Paris, Les amis de G. Le Bon 1978 [BnF]
« L'action désintéressée nous grandit à nos yeux et donne souvent plus de joie que des actes égoïstes. » <p.204>
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« Je ne suis pas plus bête qu'un autre. L'universelle supériorité de l'homme qui n'est pas plus bête qu'un autre est ce que je connais de plus écrasant. » <p.147>
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Fréquentation et arrogance. On désapprend l'arrogance quand on se sait toujours entre gens de mérite ; être seul produit l'outrecuidance. Les jeunes gens sont arrogants, car ils fréquentent leurs pareils, qui tous, n'étant rien, aiment à passer pour beaucoup de chose. » <316 p.600>
Lucien ARRÉAT / Réflexions et maximes / F. Alcan 1911 [BnF]
« La timidité dont s'accompagne si souvent un juste orgueil, c'est toujours la crainte, au fond, de ne pas paraître à la hauteur de l'estime qu'on fait de soi-même. » <p.4>
NADAR / Quand j'étais photographe (1900) / Babel Actes Sud 1998
« Si bonne est l'opinion de chacun sur ses mérites physiques que la première impression de tout modèle devant les épreuves de son portrait est presque inévitablement désappointement et recul (il va sans dire que nous ne parlons ici que d'épreuves parfaites). Quelques-uns ont l'hypocrite pudeur de dissimuler le coup sous une indifférente apparence, mais n'en croyez rien. Ils étaient entrés défiants, hargneux dès la porte et beaucoup sortiront furibonds. [...] Trois fois heureux l'opérateur qui tombe sur un client semblable à mon brave Philippe Gille (sans s !) - ce mandarin lettré, toujours de si belle humeur. À peine ai-je eu le temps de lui soumettre sa première épreuve que, même sans regarder la seconde, l'excellent homme s'écrie : - Parfait ! Et comme tu as bien rendu mon bon regard - doux - loyal - et intelligent ! » <p.45>
Jean COCTEAU / Le Rappel à l'ordre / Romans, Poésies, OEuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« Nous abritons un ange que nous choquons sans cesse. Nous devons être gardiens de cet ange. » <p.447>
Paul VALÉRY / Mélange (1939) / OEuvres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1957
« Le moi est haïssable... mais il s'agit de celui des autres. » <p.325>
Henry de MONTHERLANT / Carnets 1930-1944 / Essais / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1963
« On blesse l'amour-propre ; on ne le tue pas. » <Notes non datées, p.1357>
Georges BERNANOS / Les Enfants humiliés (1940) / Essais et écrits de combats I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971
« Je voudrais le dire maladroitement, aussi gauchement que je le pense : la difficulté n'est pas d'aimer son prochain comme soi-même, c'est de s'aimer soi-même assez pour que la stricte observation du précepte ne fasse pas tort au prochain. Pardonner les offenses ne serait qu'une disposition de l'âme assez naturelle, si nous pouvions nous pardonner aussi facilement d'avoir été un imbécile. » <p.827>
ALAIN / 81 chapitres sur l'esprit et les passions / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« On dit qu'il y a des hommes qui sont assez contents d'eux-mêmes, mais je n'en ai point vu. Il n'y a pas que les sots qui aient besoin d'éloges, et renouvelés souvent. Je sais que le succès donne une espèce d'assurance. Mais même dans le plein succès, le sentiment le plus ordinaire est une détresse, par la nécessité de le soutenir. Il est pénible de déplaire ; il est délicieux de plaire ; mais quel est l'homme ou la femme qui soient si sûrs de plaire par leurs ressources seulement ? Les plus assurés s'entourent de politesse et de parures, et se fortifient de leurs amis. L'abus des sociétés oisives et le dégoût de penser à soi jettent presque tout le monde dans la recherche des flatteries, même payées ; par ce moyen on arrive à une espèce d'assurance. Mais cela ce n'est pas l'amour de soi, c'est la vanité. Personne n'en est exempt que je sache, en ce sens que tout éloge plaît un petit moment. Je trouve quelque chose de touchant dans la vanité ; c'est naïvement demander secours aux autres. Mais cette parure ne tient guère. La vanité est vanité. » <p.1199>
« J'ai pensé souvent à ce musicien qui, après quelques oeuvres de grande beauté, ne trouva plus rien de bon ; sans doute mit-il tout son génie à se condamner ; il mourut fou. Peut-être est-il sage de prendre un peu de vanité, mais sans s'y donner, comme on prend le soleil à sa porte. » <p.1200>
ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Nul ne se choisit lui-même. Nul n'a choisi non plus ses parents ; mais la sagesse commune dit bien qu'il faut aimer ses parents. Par le même chemin je dirais bien qu'il faut s'aimer soi-même, chose difficile et belle. En ceux que l'on dit égoïstes je n'ai jamais remarqué qu'ils fussent contents d'eux-mêmes ; mais plutôt ils font sommation aux autres de les rendre contents d'eux-mêmes. Faites attention que, sous le gouvernement égoïste, ce sont toujours les passions tristes qui gouvernent. Pensez ici à un grand qui s'ennuie. Mais quelle vertu, en revanche, en ceux qui se plaisent avec eux-mêmes ! Ils réchauffent le monde humain autour d'eux. Comme le beau feu ; il brûlerait aussi bien seul, mais on s'y chauffe. » <p.279>
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« On ne peut pas dire que l'envieux s'aime lui-même ; au contraire, il est triste en face de lui-même ; il voudrait être autre. Ambition exactement vaine, c'est-à-dire sans substance, sans pouvoir, sans espoir. Aussi l'envie est peut-être un désespoir. Car vais-je envier une facilité de mon voisin qui le fait avancer dans les mathématiques ? Envier cela, qui est de lui, non de moi ? Qu'en ferais-je ? Toute ma mathématique à moi, il faut qu'elle sorte de moi, que je la tire de moi. Je n'ai jamais à moi que ce que je développe de moi. Ce genre de courage et ce genre d'expérience est le véritable amour de soi. » <juillet 1930 p.951>
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Le grand art est de savoir parler de soi sur un ton impersonnel. (Le secret des moralistes). » <p.131>
Georges BERNANOS / Les Grands Cimetières sous la lune (1938) / Essais et écrits de combats I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971
« L'homme est né d'abord orgueilleux et l'amour-propre toujours béant est plus affamé que le ventre. Un militaire ne se trouve-t-il pas assez payé de risques mortels par une médaille de laiton ? Chaque fois que vous portez atteinte au prestige de la richesse, vous rehaussez d'autant le pauvre à ses propres yeux. Sa pauvreté lui fait moins honte, il l'endure, et telle est sa folie qu'il finirait peut-être par l'aimer. Or, la société a besoin pour sa machinerie de pauvres qui aient de l'amour-propre. L'humiliation lui en rabat un bien plus grand nombre que la faim et de meilleure espèce, de celle qui rue aux brancards, mais tire jusqu'au dernier souffle. Ils tirent comme leurs pareils meurent à la guerre, non tant par goût de mourir que pour ne pas rougir devant les copains, ou encore pour embêter l'adjudant. Si vous ne les tenez pas en haleine, talonnés par le propriétaire, l'épicier, le concierge, sous la perpétuelle menace du déshonneur attaché à la condition de clochard, de vagabond, ils ne cesseront peut-être pas de travailler, mais ils travailleront moins, ou ils voudront travailler à leur manière, ils ne respecteront plus les machines. Un nageur fatigué qui sent sous lui un fond de cinq cents mètres tire sa coupe avec plus d'ardeur que s'il égratigne des orteils une plage de sable fin. Et remarquez vous-même qu'au temps où les méthodes de l'économie libérale avaient leur entière valeur éducative, leur pleine efficacité, avant la déplorable invention des syndicats, le véritable ouvrier, l'ouvrier formé par vos soins, restait si profondément convaincu d'avoir à racheter chaque jour par son travail le déshonneur de sa pauvreté que, vieux ou malade, il fuyait avec une égale horreur l'hospice ou l'hôpital, moins par attachement à la liberté que par honte - honte de "ne pouvoir plus se suffire" comme il disait dans son admirable langage. » <p.373>
Philippe BOUVARD / Maximes au minimum / Robert Laffont 1984
« Le comble de la suffisance intellectuelle est de croire qu'on peut apprendre quelque chose en s'écoutant monologuer. » <p.83>
« À partir du moment où le plaisir des autres nous fait plaisir, les bons sentiments deviennent suspects. » <p.91>
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« Dommage que l'admiration de soi - qui aide à vivre - ne débouche que sur le mépris des autres - qui assombrit l'existence. » <p.64>
« Le besoin d'entendre affirmer par d'autres tout le bien qu'on pense de soi trahit le faible crédit qu'on accorde à sa propre opinion. » <p.100>
Georges PICARD / Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison / José Corti 1999
« On sait que l'éloge à autrui est l'une des figures détournées de la vanité personnelle. Il y aurait du ridicule à adresser des éloges à plus grand que soi, mais quelle douce autosatisfaction que de complimenter quelqu'un du haut de notre généreuse attention. » <p.208>