François RABELAIS / Pantagruel / OEuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1955
Science sans conscience.
« Mais, parce que selon le saige Salomon sapience n'entre poinct en âme malivole et science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te convient servir, aymer et craindre Dieu, et en luy mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et par foy formée de charité, estre à luy adjoinct en sorte que jamais n'en soys desamparé par péché. » <chap.VIII p.206>
Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962
« C'est une bonne drogue que la science ; mais nulle drogue n'est assez forte pour se preserver sans alteration et corruption, selon le vice du vase qui l'estuye. » <t.1 p.151 livre I chap.XXV>
MONTESQUIEU / Mes pensées / OEuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949
« Si la Physique n'avoit d'autres inventions que celles de la poudre et du feu grégeois, on feroit fort bien de la bannir comme la Magie. » <600 p.1127>
« Qui diroit que le stylocératohyoïdien soit un petit muscle qui ne sert (lui dixième) qu'à remuer un très petit os ? Un nom si grand et si grec ne semble-t-il pas promettre un agent qui remueroit toute notre machine ? Et je suis persuadé que, quant aux vaisseaux omphalomésentériques, un simple petit monosyllabe auroit pu remplir avec honneur toutes les fonctions de ce magnifique terme. » <787 p.1217>
Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [oeuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]
« Les méthodes sont les habitudes de l'esprit et les économies de la mémoire. » <Métaphysique p.15>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Cette physique moderne si vantée, si inférieure cependant à celle d'Aristote si méconnue, n'a pour mérite propre qu'un peu d'industrie mécanique appliquée avec succès à mesurer quelques distances et à déterminer avec précision quelques formes. Des chiffres lui suffisent pour exprimer toutes ses découvertes, ce qui ne leur suppose pas une grande beauté. » <4 mai 1799 t.1 p.294>
« L'expérience fait l'art, l'inexpérience la fortune. On fait des découvertes en cherchant et des trouvailles par hasard. » <9 mars 1800 t.1 p.342>
« Les théories ont causé plus d'expériences que les expériences n'ont causé de théories. On voit par là de quelle utilité est au progrès des arts ce qui est purement rationnel dans chaque science. » <4 avril 1800 t.1 p.349>
François René de CHATEAUBRIAND / Génie du Christianisme (1802) / Garnier-Flammarion 1966
« Lorsqu'on a été témoin des jours de notre révolution ; lorsqu'on songe que c'est à la vanité du savoir que nous devons presque tous nos malheurs, n'est-on pas tenté de croire que l'homme a été sur le point de périr de nouveau pour avoir porté une seconde fois la main sur le fruit de science ? et que ceci nous soit matière de réflexion sur la faute originelle : les siècles savants ont toujours touché aux siècles de destruction. » <Première partie, livre quatrième, ch.III, tome 1 p.142>
« Notre XIXe siècle, à la différence du XVIIIe, n'est pas dogmatique ; il semble éviter de se prononcer, il n'est pas pressé de conclure ; il y a même de petites réactions superficielles qu'il a l'air de favoriser en craignant de les combattre. Mais, patience ! sur tous les points on est à l'oeuvre ; en physique, en chimie, en zoologie, en botanique, dans toutes les branches de l'histoire naturelle, en critique historique, philosophique, en études orientales, en archéologie, tout insensiblement change de face ; et le jour où le siècle prendra la peine de tirer ses conclusions, on verra qu'il est à cent lieues, à mille lieues de son point de départ. Le vaisseau est en pleine mer ; on file des noeuds sans compter ; le jour où l'on voudra relever le point, on sera tout étonné du chemin qu'on aura fait. » <Pensées, p.1077>
« Les adversaires de Pasteur, au lieu de le réfuter par des expériences de laboratoire, insinuaient que sa première pensée avait été de faire confesser par la science ses croyances personnelles. À ce moment-là, il était dans la plénitude de cette joie dont je parlais tout à l'heure, et je me rappelle comment se peignaient sur son visage le sentiment de la possession de la vérité et le tranquille dédain de ses contradicteurs. Nous en parlions souvent. - Sans doute, me disait-il, si mes découvertes doivent venir en aide à la croyance en Dieu, je m'en féliciterai ! Mais je n'ai pas pensé un seul moment à leur donner cette croyance pour principe, ni pour fin. Mon opinion sur les infiniment petits est une conception purement scientifique. Aucune considération religieuse n'a dirigé mon oeil et ma main, et si mes expériences m'avaient démontré l'existence de générations spontanées, sans hésité j'en aurais convenu. Les recherches sur la cause première ne sont pas du domaine de la science. Elle ne connaît que ce qu'elle peut démontrer, des faits, des causes secondes, des phénomènes. » <p.242>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Un savant, c'est un homme qui est à peu près certain. » <16 novembre 1896 p.280>
Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / OEuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Quand les femmes seront enfin aussi savantes que des hommes - que des hommes savants - ô amour, vous ne serez plus le sel de la vie : vous en serez le chlorure de sodium. » <90 p.172>
« Laissez-moi m'interrompre un instant pour, pendant que j'y pense, vous faire part de la réflexion que formulait l'autre jour François Coppée, devant dix personnes que je pourrais citer : - C'est drôle, on parle souvent du pôle Nord, plus rarement du pôle Sud, et jamais du pôle Ouest ni du pôle Est. Pourquoi cette injustice ?... ou cet oubli ? » <Le Sourire, 17 novembre 1900 - p.601>
« Longtemps on admira la méthode scientifique de cette brute de saint Thomas*, lequel ne croyait qu'aux choses qu'il avait de ses yeux vu, palpées de ses mains. Homais, Bouvard, Pécuchet et Paul Leroy-Beaulieu répètent à chaque instant et non sans évidente satisfaction : - Moi, je suis un type dans le genre de saint Thomas. Propos qui ne saurait faire leur éloge. Plus la science marche, et particulièrement depuis quelques années, plus on s'aperçoit qu'en dehors de ce qu'on voit et de ce qu'on touche, grouillent des mondes et des mondes de phénomènes, dont les manifestations échappent à la pitoyable perception de ces gauches moignons qui s'appellent nos cinq sens. » <Le Sourire, 14 mai 1904 p.806>
* Allusion au scepticisme de Thomas concernant la résurrection du Christ qu'on lui rapporte : "Thomas, appelé Didyme, l'un des douze, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint. Les autres disciples lui dirent donc : Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point." (Évangile selon Jean 20 : 24-25)
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« La science. Et voilà le labarum* des imbéciles. La science ! Avant le vingtième siècle, la médecine pour ne parler que de cette gueuse, n'avait aucun besoin de la science et daignait à peine s'en recommander. Depuis fort longtemps, elle croupissait dans les déjections de ses malades. Maintenant elle piaffe dans sa propre ordure. La putréfaction se plaignait de n'avoir pas son prophète. Alors Pasteur est venu, Pasteur au nom doux et mélibéen, et le Microbe, en retard de soixante siècles sur la création, est enfin sorti du néant. Quelle révolution ! À partir de lui, tout change. La recherche de la petite bête remplace l'ancien esprit des Croisades. On ne connaît plus que la science, et chaque matassin revendique son animalcule. Tous les sérums, toutes les pestes liquides, tous les écoulements des morts, tout ce qui se passait naguère au fond des sépulcres, est aujourd'hui restitué à la lumière, préconisé, mobilisé, injecté, avalé. La rage, la tuberculose et le choléra sont devenus des apéritifs ou des pousse-café. Le moujick** de la bande vient de découvrir même un jus contre la vieillesse. Il ne tient qu'aux parents d'avantager leurs enfants de quarante ferments d'infection, dès le berceau, et de faire de leurs corps des vases de purulence. Ils sont à l'Institut Pasteur tout un lot de citoyens utiles exclusivement voués à la recherche des moyens de pourrir. » <p.135>
* labarum : Étendard romain, qui consistait en une longue lance, surmontée d'un bâton qui la traversait à angles droits, d'où pendait une riche pièce d'étoffe couleur de pourpre et quelquefois enrichie de pierres précieuses ; jusqu'au temps de Constantin le Grand, elle portait la figure d'une aigle ; mais ce prince fit mettre à la place une croix avec un chiffre qui exprimait le nom de Jésus, à la suite, dit-on, d'une apparition dans les nues qui lui montrait ce signe et lui annonçait la victoire s'il l'adoptait. (Littré) ** Le moujick de la bande : allusion à Élie Metchnikov (1845-1916), biologiste russe, père de l'immunologie moderne. En 1888 Pasteur l'invite à poursuivre ses recherches à l'institut qu'il venait de créer ; il y passera le reste de sa carrière. Il participe à l'élaboration du sérum anticholérique et du vaccin antityphoïdique. En 1908 il reçoit le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur l'immunologie.
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« De Groux digérait mal (à la suite d'autres griefs) que Léon Bloy lui dise et lui répète : "Il faut, voyez-vous... il faut se vomir... sur les autres." » <3 mai 1904 p.140>
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« On nous annonce un nouveau timbre poste, à l'effigie Pasteur, ce savant imbécile qui croyait à la Sainte Vierge. On ne dira pas que nous ne vivons pas dans une époque d'idolâtrie. » <21 mai 1923 I p.1344>
« Extrait d'un discours du "savant" Jean Perrin, de l'Académie des Sciences, et quelque chose dans le gouvernement actuel : Je ne pensais d'abord qu'à la recherche pure. C'est d'elle en effet, qu'est venu, outre tout l'élargissement de notre intelligence, le formidable accroissement de puissance, qui est le grand fait de l'histoire contemporaine. C'est par elle seule que nous pouvons espérer quelque chose de vraiment beau, qui libérera tous les hommes de toute servitude, et leur donnera ainsi les nobles loisirs sans lesquels il n'est pas de haute culture. Et cette même recherche finira par nous épargner la déchéance et la maladie, transformant en une aventure éclatante la destinée médiocre qui nous semblait promise. Encore un sot complet, - il en a d'ailleurs le visage, avec son air d'hurluberlu, - qui s'imagine que la science changera les hommes, les fera tous sensés, intelligents, généreux, les fera tous du même composé chimique et de la même structure organique, supprimera chez tous les passions, les rivalités, les haines, fera de tous des êtres de "haute culture", tous accessibles aux "nobles loisirs". Dire que toute notre époque, depuis la Révolution, repose sur ces âneries ! » <23 décembre 1936 II p.1752>
Paul LÉAUTAUD / Propos d'un jour / OEuvres / Mercure de France 1988
« Une excellente définition du savant par M. Hector Talvart : "Un savant est un homme qui sait beaucoup de choses qu'il faudrait connaître mieux que lui pour savoir s'il n'est pas un âne." » <p.368>
Paul LÉAUTAUD / Le théâtre de Maurice Boissard / OEuvres / Mercure de France 1988
« La découverte scientifique n'est pas une preuve de génie, pas même d'intelligence. Il n'y faut que des connaissances techniques, servies par le hasard. Un "savant", qui mélange des corps, qui expérimente un sérum, qui "travaille" un animal tout vivant ligoté sur une table, ne sait pas ce qu'il produira, et cherche. C'est un mot courant dans les recherches de laboratoires : le phénomène possible. Le mathématicien Henri Poincaré a raconté avoir trouvé la solution de son problème le plus difficile dans l'inconscience du premier sommeil. Nous les avons vus, au début de la guerre, ces "savants", renier d'un coup de plume tout ce qu'ils admiraient auparavant chez leurs confrères allemands. Quand se sont-il trompés ? Quand ils admiraient, ou quand ils ont dénigré ? Si leur science vaut leur jugement, on voit si nous devons être sceptique. » <p.1356>
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Le pouvoir, non le savoir, exercé par la science. La valeur d'avoir passé quelques temps à pratiquer exactement une science exacte ne réside pas dans ses résultats ; car, en proportion de la mer des objets de science, ceux-ci ne sont qu'une quantité insignifiante. Mais on en tire un accroissement d'énergie, de capacité de raisonner, de constance à persévérer ; on a appris à atteindre une fin par des moyens appropriés à cette fin. C'est en ce sens qu'il est très précieux, en vue de tout ce que l'on fera plus tard, d'avoir été un jour homme de science. » <256 p.578>
Anatole FRANCE / Le jardin d'Épicure (1894) / Calmann Lévy, Paris 1895 [BnF]
« Ce qui est admirable, ce n'est pas que le champ des étoiles soit si vaste, c'est que l'homme l'ait mesuré. » <p.10>
Albert EINSTEIN / Pensées intimes / Éditions du Rocher 2000
« L'éternel mystère du monde est son intelligibilité. » <Physics and Reality, Franklin Institute Journal 221, n°3, mars 1936, p.349>
« Il est étrange que la science, qui jadis semblait inoffensive, se soit transformée en un cauchemar faisant trembler tout le monde. » <Lettre à la reine Élisabeth de Belgique, 28 mars 1954, Archives Einstein 32-410 ; p.160>
Marcel PAGNOL / Notes sur le rire / Editions de Fallois 1990
« Il est facile d'imiter les hommes de science. Leurs découvertes sont transmissibles, celles des artistes ne le sont pas. La contemplation prolongée de la Joconde ne nous donne pas le talent de Vinci. Mais, si un savant de génie invente la poudre et qu'il en donne la formule, tous les imbéciles en font : ils nous l'ont bien prouvé, et ce n'est pas fini. » <p.25>
Georges BERNANOS / La Grande Peur des bien-pensants (1931) / Essais et écrits de combats I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971
« [...] la science ne libère qu'un bien petit nombre d'esprits faits par elle, prédestinés. Elle asservit les autres. La complexité de son immense machinerie exige des sacrifices croissants, une discipline chaque jour plus stricte, la totale dépendance de l'ouvrier à l'outil merveilleux dont il ne connaît rien qu'un levier ou qu'un écrou ! Il serait fou d'imaginer un équipement planétaire arrivé au dernier degré de la perfection, et resté néanmoins sous le contrôle de la multitude. L'aristocratie polytechnique, à laquelle seront finalement remis les destins de notre minuscule univers, apparaîtra bientôt ce qu'elle est réellement, la plus inhumaine de toutes, la plus fermée. Une parole de roi pouvait changer jadis un pauvre diable en seigneur, il faudra demain vingt années d'études et une manière de génie pour faire un ingénieur capable d'utiliser quelques-uns des puissants moyens mis par la science au service du plus dangereux des êtres, dont le pouvoir de destruction est pratiquement sans limites, car il est le seul à préférer à ses besoins, à ses passions. » <p.335>
Alexandre VIALATTE / Chroniques de La Montagne (2) / Robert Laffont - Bouquins 2000
« Mais comment l'homme faisait-il pour nager avant le principe d'Archimède ? On se le demande avec perplexité. » <584 - 16 juin 1964 p.269>
François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
« Le début de la science moderne date du moment où aux questions générales se sont substituées des questions limitées ; où au lieu de demander : "Comment l'univers a-t-il été créé ? De quoi est faite la matière ? Quelle est l'essence de la vie ?", on a commencé à se demander : "Comment tombe une pierre ? Comment l'eau coule-t-elle dans un tube ? Quel est le cours du sang dans le corps ?". Ce changement a eu un résultat surprenant. Alors que les questions générales ne recevaient que des réponses limitées, les questions limitées se trouvèrent conduire à des réponses de plus en plus générales. » <p.27>
« Contrairement à ce qu'on croit souvent, la démarche scientifique ne consiste pas simplement à observer, à accumuler des données expérimentales pour en déduire une théorie. On peut parfaitement examiner un objet pendant des années sans jamais en tirer la moindre observation d'intérêt scientifique. Pour apporter une observation de quelque valeur, il faut déjà, au départ, avoir une certaine idée de ce qu'il y a à observer. Il faut déjà avoir décidé ce qui est possible. Si la science évolue, c'est souvent parce qu'un aspect encore inconnu des choses se dévoile soudain ; pas toujours comme conséquence de l'apparition d'un appareillage nouveau, mais grâce à une manière nouvelle d'examiner les objets, de les considérer sous un angle neuf. Ce regard est nécessairement guidé par une certaine idée de ce que peut bien être la "réalité". Il implique toujours une certaine conception de l'inconnu, de cette zone située juste au-delà de ce que la logique et l'expérience autorisent à croire. » <p.29-30>
« La règle du jeu en science, c'est de ne pas tricher. Ni avec les idées, ni avec les faits. C'est un engagement aussi bien logique que moral. Celui qui triche manque simplement son but. Il assure sa propre défaite. Il se suicide. En fait, les fraudes en science sont à la fois surprenantes et intéressantes. Surprenantes parce que, sur des questions importantes, il est enfantin de penser que la supercherie passera longtemps inaperçue ; il faut donc que le tricheur croie dur comme fer non seulement à la possibilité, mais à la réalité du résultat qu'il entend démontrer par sa fraude. Intéressantes aussi parce que les fraudes vont du truquage délibéré des résultats à ce qui n'est que déviation légère, parfois même inconsciente, par rapport au comportement normal du scientifique. Elles touchent ainsi à des aspects psychologiques et idéologiques de la science et des scientifiques. Elles peuvent donc aider à comprendre certaines des idées préconçues qui, à une période donnée, font obstacle au développement scientifique. En ce sens, les fraudes font partie de l'histoire des sciences. » <p.38-39>
« Il est vrai que les innovations de la science peuvent servir au meilleur comme au pire, qu'elles sont sources de malheurs comme de bienfaits. Mais ce qui tue et ce qui asservit, ce n'est pas la science. Ce sont l'intérêt et l'idéologie. Malgré le Dr Frankenstein et le Dr Folamour, les massacres de l'histoire sont plus le fait de prêtres et d'hommes politiques que de scientifiques. Et le mal ne vient pas seulement de situations où l'on utilise intentionnellement la science à des fins de destruction. Il peut aussi être une conséquence lointaine et imprévisible d'actions mises en oeuvre pour le bien de l'humanité. Qui aurait pu prévoir la surpopulation comme suite aux développements de la médecine ? Ou la dissémination de germes résistants aux antibiotiques comme suite à l'usage même de ces médicaments ? Ou la pollution comme suite à l'emploi d'engrais permettant d'améliorer les récoltes ? Tous problèmes pour lesquels ont été ou seront trouvées des solutions. » <p.91-92>
François CAVANNA / La belle fille sur le tas d'ordures / L'Archipel (LdP9667) 1991
« Que cesse l'opposition "Science contre Nature", "artificiel contre naturel". La science est l'étude de tout ce qui est, c'est-à-dire de la nature. La compréhension de la nature se fait par la science, et ne se fait que par elle. C'est la science qui a découvert, par exemple, le rôle des vitamines dans la santé, celui des micro-organismes dans la maladie, d'où la nécessité d'une nourriture équilibrée, de la propreté et de l'asepsie. Il n'y a qu'une manière d'aborder la compréhension de l'existant, c'est l'utilisation du seul outil que nous ayons : notre raison. Encore cet outil nécessite-t-il un apprentissage : ce que Descartes appelait "la Méthode" et qui est tout simplement la logique scientifique stricte. » <p.82>
Robert MUSIL / L'homme sans qualités / Editions du Seuil - Points 1956
« Les spécialistes n'en ont jamais fini. Non qu'ils n'en aient pas fini, simplement, en ce moment : il leur est tout à fait impossible d'imaginer que leur activité prenne fin. Peut-être même de le souhaiter. Peut-on se figurer, par exemple, que l'homme aura encore une âme, quand la biologie et la psychologie lui auront appris à la comprendre, à la traiter dans son entier ? Néanmoins, nous aspirons à ce moment ! Tout est là. Le savoir est une attitude, une passion. C'est même, au fond, une attitude illicite : comme le goût de l'alcool, de l'érotisme ou de la violence, le besoin de savoir entraîne la formation d'un caractère qui n'est plus en équilibre. Il est tout à fait faux de dire que le chercheur poursuive la vérité, c'est elle qui le poursuit. Il la subit. Le Vrai est vrai, le fait est réel indépendamment du chercheur : simplement le chercheur en a la passion ; la dipsomanie du fait détermine son caractère, et il se soucie comme d'une guigne de savoir si ses constatations engendreront quelque chose de total, d'humain, d'accompli, ou si elles engendreront quoi que ce soit. C'est une nature contradictoire, souffrante, et cependant extraordinairement énergique. » <T.1 p.271>
Emil CIORAN / Sur les cimes du désespoir / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« La connaissance à petite dose enchante ; a forte dose, elle déçoit. Plus on en sait, moins on veut en savoir. Car celui qui n'a pas souffert de la connaissance n'aura rien connu. » <p.101>
Emil CIORAN / Syllogismes de l'amertume (1952) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« Objection contre la science : ce monde ne mérite pas d'être connu. » <p.757>
Pierre DESPROGES / Vivons heureux en attendant la mort / Ed. du Seuil 1983
« L'homme de Science le sait bien, lui, que, sans la Science, l'homme ne serait qu'un stupide animal sottement occupé à s'adonner aux vains plaisirs de l'amour dans les folles prairies de l'insouciance, alors que la Science, et la Science seule, a pu, patiemment, au fil des siècles, lui apporter l'horloge pointeuse et le parcmètre automatique sans lesquels il n'est pas de bonheur terrestre possible. » <p.123>