ÉRASME / Éloge de la Folie / Robert Laffont - Bouquins 1992
« D'abord, il est admis que toutes les passions relèvent de la folie. On distingue le fou du sage à ce signe que l'un est guidé par la passion, l'autre par la raison. Aussi les Stoïciens écartent-ils du sage toutes les passions comme autant de maladies ; pourtant ces passions non seulement servent de pilotes à ceux qui se pressent pour atteindre le port de sagesse, mais elles sont aussi là, dans la pratique de la vertu, comme des éperons, des aiguillons, pour encourager à faire le bien. Sénèque, deux fois stoïcien, va protester avec véhémence lui qui défend absolument au sage toute passion. Mais ce faisant, ce n'est plus un homme qu'il laisse subsister, il crée plutôt une espèce de dieu d'un genre nouveau, qui n'a jamais existé nulle part, et jamais n'existera. Pour parler plus clairement, il a fabriqué une statue de marbre à l'image de l'homme, stupide et parfaitement étrangère à tout sentiment humain. » <p.35>
Blaise PASCAL / Pensées / OEuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Quand notre passion nous porte à faire quelque chose, nous oublions notre devoir : comme on aime un livre, on le lit, lorsqu'on devrait faire autre chose. Mais, pour s'en souvenir, il faut se proposer de faire quelque chose qu'on hait ; et lors on s'excuse sur ce qu'on a autre chose à faire et on se souvient de son devoir par ce moyen. » <183 p.1134>
Madame de la SABLIÈRE / Maximes chrétiennes / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Il est difficile de vaincre ses passions, mais il est impossible de les satisfaire. » <35 p.67>
Charles de SAINT-ÉVREMOND / OEuvres mêlées (12) / Paris, C.Barbin 1693
« Tyrannie heureuse que celle des passions, qui font les plaisirs de notre vie ; fâcheux empire que celui de la raison, s'il nous ôte les sentiments agréables. » <Maximes, XII, p.226>
VAUVENARGUES / Réflexions et maximes / Les moralistes français / Paris, Garnier frères 1875
« Nous devons peut-être aux passions les plus grands avantages de l'esprit. » <151 - p.660>
« C'est le comble de la folie que de se proposer la ruine des passions. Le beau projet que celui d'un dévot qui se tourmente comme un forcené pour ne rien désirer, ne rien aimer, ne rien sentir, et qui finirait par devenir un vrai monstre, s'il réussissait ! » <5 p.20>
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Le philosophe qui veut éteindre ses passions ressemble au chimiste qui voudrait éteindre son feu. » <73 p.65>
« Le grand malheur des passions n'est pas dans les tourments qu'elles causent, mais dans les fautes, dans les turpitudes qu'elles font commettre, et qui dégradent l'homme. Sans ces inconvénients, elles auraient trop d'avantages sur la froide raison, qui ne rend point heureux. Les passions font vivre l'homme, la sagesse le fait seulement durer. » <118 p.76>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Le talent a-t-il donc besoin de passions ? Oui, il a besoin de beaucoup de passions réprimées. » <4 décembre 1801 t.1 p.432>
« Les petits ont peu de passions, ils n'ont guères que des besoins. » <7 mars 1807 t.2 p.184>
« La tendresse est le repos de la passion. » <30 décembre 1808 t.2 p.285>
« La vue est enthousiaste. Les aveugles n'admirent rien. » <4 juin 1810 t.2 p.315>
Emil CIORAN / De l'inconvénient d'être né (1973) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« "Le talent a-t-il donc besoin de passions ? Oui, de beaucoup de passions réprimées." (Joubert.) Il n'est pas un seul moraliste qu'on ne puisse convertir en précurseur de Freud. » <p.1325>
Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]
« Tout ce qui affranchit notre esprit sans nous donner les moyens de maîtriser nos passions est pernicieux. » <p.17>
Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« La contemplation d'une existence rendue misérable par une passion violente, de quelque nature qu'elle soit, est toujours quelque chose d'instructif et de hautement moral. Ça rabaisse avec une ironie hurlante tant de passions banales et de manies vulgaires que l'on est satisfait en songeant que l'instrument humain peut vibrer jusque-là et monter à des tons si aigus. » <À Louise Colet, 14 juillet 1847 p.462>
Alphonse KARR / Sous les orangers / M. Lévy frères 1859
« J'en suis fâché pour les moralistes, mais on ne triomphe que des passions qu'on n'a pas ou de celles qu'on n'a plus. » <p.103>
Victor HUGO / Choses vues / Histoire / OEuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987
« Les verres d'eau ont les mêmes passions que les océans. » <p.1260>
Émile BERGERAT / Les soirées de Calibangrève / Flammarion 1892 [BnF cote 8-Z-13067]
« Le vent qui éteint l'allumette déchaîne le brasier. » <Cinquante pensées noires, p.111>
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La volonté a honte de l'intellect. - Nous faisons froidement les plans les plus raisonnables contre nos passions : mais nous commettons ensuite les plus graves fautes, parce que, souvent, au moment où le projet devrait être exécuté, nous avons honte de la froideur et de la circonspection que nous avons mises à le concevoir. On fait alors justement ce qui est déraisonnable, à cause de cette sorte de générosité bravache que toute passion amène avec elle. » <70 p.727>
Anatole FRANCE / Le jardin d'Épicure (1894) / Calmann Lévy, Paris 1895 [BnF]
« L'attrait du danger est au fond de toutes les grandes passions. Il n'y a pas de volupté sans vertige. Le plaisir mêlé de peur enivre. » <p.23>
Tristan BERNARD / L'Esprit de Tristan Bernard / nrf Gallimard 1925
« On s'indigne dans le monde et dans le peuple contre ces messieurs respectables, contre ces pères de famille et ces magistrats à barbe grise qui se laissent aller aux plus basses passions. Et on leur en veut surtout de leur hypocrisie, du contraste entre leur austérité apparente, et leurs moeurs secrètes. Mais cette hypocrisie, c'est ce qu'ils ont de mieux. S'ils affichaient leurs vices, ils seraient écoeurants. Et je sais trop, par mon expérience personnelle, combien les entraînements des sens sont puissants. Il faut, je le répète, en prendre son parti. Quand la bête veut sortir, il faut qu'elle sorte. Le devoir d'un homme civilisé et bien élevé est de la faire sortir en secret et dans des endroits déserts. Ne nous épuisons pas à contrarier nos instincts, ils sont plus forts que nous. Nous nous fatiguons tellement à cette lutte qu'une fois qu'ils auront pris le dessus, ils nous entraîneront tout entiers. » <Deux amateurs de femmes p.122>
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Le plaisir de corrompre est un de ceux qu'on a le moins étudié ; il en va de même de tout ce qu'on prend d'abord soin de flétrir. » <1 mai 1917 p.625>
« Les jeunes gens que j'ai connus les plus fanatiques d'automobile étaient auparavant les moins curieux de voyages. Le plaisir n'est plus ici de voir du pays, ni même d'arriver vite dans tel lieu, où du reste plus rien n'attire ; mais bien précisément d'aller vite. Et que l'on goûte là des sensations aussi profondément inartistiques, anti-artistiques, que celles de l'alpinisme, il faut bien accorder qu'elles sont intenses et irréductibles ; l'époque qui les a connues en subira la conséquence ; c'est l'époque de l'impressionnisme, de la vision rapide et superficielle ; on devine quels seront ses dieux, ses autels ; à force d'irrespect, d'inconsidération, d'inconséquence, elle y sacrifiera davantage encore, mais de manière inconsciente ou inavouée. » <1910 p.310>
VERCORS / Le Silence de la mer et autres oeuvres / Omnibus 2002
« La passion est une terrible destructrice. Elle détruit dans la tête de qui la loge tout ce qui n'est pas son idée fixe. Elle fait une effroyable consommation d'impulsions et de concepts dont elle nourrit son insatiable cancer. Et quand, par fortune bonne ou mauvaise, elle vient à disparaître (comblée ou consumée), elle laisse dans la maison de qui l'a nourrie une vacance dévastée, et son hôte privé de désirs, - hormis la soif de devenir esclave de nouveau. » <La Marche à l'étoile. p.151>
ALAIN / Mars ou la guerre jugée / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Il faut que j'explique encore de plus près l'idée essentielle de ce livre, qui est que ce sont les passions, et non les intérêts, qui mènent le monde. Et je suis surtout disposé à y revenir lorsque je pense à ces descriptions si incomplètes de la nature humaine qui ont cours maintenant, d'après lesquelles toutes nos actions s'expliqueraient par un intérêt personnel plus ou moins dissimulé. Si l'on prend les choses ainsi, il y a un tel contraste entre l'homme de ces livres et l'homme des tranchées, que l'on veut imaginer quelque miracle surhumain, par où revient l'idée toujours si puissante de la guerre décrétée surhumainement, et par conséquent inévitable. C'est pourquoi je ne pourrais jamais expliquer trop longuement le mécanisme des passions et ses redoutables effets. Il faut d'abord que vous sachiez que le dernier secret de la chose est dans le Traité des Passions, de Descartes, et est assez caché, malgré l'apparence. » <p.583>
« Méditez sur ce mot d'un avocat : "Les intérêts transigent toujours ; les passions ne transigent jamais." On peut vivre en paix vingt ans et plus, dans ces conflits d'intérêts, comme l'expérience l'a fait voir ; on peut donc y vivre toujours ; tout se tasse ; tout s'arrange. Il ne faut pas espérer ici une espèce de code qui aurait tout prévu. Il y a des procès, et ruineux pour tous, non par l'insuffisance du code, mais par les passions ; et il y a d'heureux arrangements, plus avantageux que les procès, dès que les intérêts jouent seuls. Détournez donc votre regard de ce vain étalage juridique, dangereux surtout par la fausse sécurité qu'il vous donnerait. Guettez les passions qui naissent, et que les tyrans conduisent si bien. [...] Pour moi j'ai toujours vu clair dans ces discours d'officiers et d'académiciens : "Cette jeunesse était lâche ; cette autre jeunesse vaut mieux." Songez aussi à cette littérature académicienne, qui, par des injures suivies à l'ennemi, allait à la même fin. Songez aux violences de la rue, et à ce chantage organisé par les royalistes. Cette vague de guerre a passé sur vous, vous entraînant, vous portant vers la catastrophe. Et vous étiez toujours, vous en êtes peut-être encore à chercher quelque tribunal arbitral qui réglerait les différends entre nations. Mais comprenez donc que nul ne se battrait pour un différend entre nations, au lieu que n'importe quel homme se battra pour prouver qu'il n'est pas un lâche. » <p.588-589>
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« Les grands esprits ne s'occupent qu'à vaincre les difficultés qui leur sont propres, et qu'ils trouvent dans le pli de leur humeur. Et seuls, par cela même, ils sont de bon secours. J'ai à sauver une certaine manière d'aimer, de haïr, de désirer, tout à fait animale, et qui m'est aussi adhérente que la couleur de mes yeux. J'ai à la sauver, non pas à la tuer. Dans l'avarice, qui est la moins généreuse des passions, il y a l'esprit d'ordre, qui est universel ; il y a le respect du travail, qui est universel ; la haine des heures perdues et des folles prodigalités, qui est universelle. Ces pensées, car ce sont des pensées, sauveront très bien l'avare s'il ose seulement être lui-même, et savoir ce qu'il veut. Autant à dire de l'ambitieux, s'il est vraiment ambitieux ; car il voudra une louange qui vaille, et ainsi honorera l'esprit libre, les différences, les résistances. Et l'amour ne cesse de se sauver par aimer encore mieux ce qu'il aime. D'où Descartes disait qu'il n'y a point de passions dont on ne puisse faire bon usage. » <15 avril 1930 p.928>