« Tout homme naît avec un penchant assez violent pour la domination, la richesse et les plaisirs, et avec beaucoup de goût pour la paresse ; par conséquent tout homme voudrait avoir l'argent et les femmes ou les filles des autres, être leur maître, les assujettir à tous ses caprices, et ne rien faire, ou du moins ne faire que des choses très agréables. Vous voyez bien qu'avec ces belles dispositions il est aussi impossible que les hommes soient égaux qu'il est impossible que deux prédicateurs ou deux professeurs de théologie ne soient pas jaloux l'un de l'autre. » <p.176-177>
« Le genre humain, tel qu'il est, ne peut subsister, à moins qu'il n'y ait une infinité d'hommes utiles qui ne possèdent rien du tout ; car, certainement, un homme à son aise ne quittera pas sa terre pour venir labourer la vôtre ; et, si vous avez besoin d'une paire de souliers, ce ne sera pas un maître des requêtes qui vous la fera. L'égalité est donc à la fois la chose la plus naturelle et en même temps la plus chimérique. » <p.177>
Benjamin CONSTANT / De l'esprit de conquête et de l'usurpation (1814) / GF 456 Flammarion 1986
« La variété, c'est de l'organisation ; l'uniformité, c'est du mécanisme. La variété, c'est la vie ; l'uniformité, c'est la mort. » <p.122>
Alexis de TOCQUEVILLE / De la Démocratie en Amérique I (1835) / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Il y a [...] une passion mâle et légitime pour l'égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever les petits au rang des grands ; mais il se rencontre aussi dans le coeur humain un goût dépravé pour l'égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l'égalité dans la servitude à l'inégalité dans la liberté. Ce n'est pas que les peuples dont l'état social est démocratique méprisent naturellement la liberté ; ils ont au contraire un goût instinctif pour elle. Mais la liberté n'est pas l'objet principal et continu de leur désir ; ce qu'ils aiment d'un amour éternel, c'est l'égalité ; ils s'élancent vers la liberté par impulsion rapide et par efforts soudains, et, s'ils manquent le but, ils se résignent ; mais rien ne saurait les satisfaire sans l'égalité, et ils consentiraient plutôt à périr qu'à la perdre. » <Partie I, Ch. 3, p.81>
Alfred de VIGNY / Journal d'un poète / Paris, A. Lemerre 1885 [BnF]
« Les Français sont satisfaits à peu de frais, un peu de familiarité dans les manières leur semble de l'égalité. » <1840, p.166>
« Qu'est-ce que l'égalité ? Tout le monde la veut avec son supérieur ; personne ne l'accepte avec ceux qui sont au-dessous de lui. » <p.263>
Henry BECQUE / L'Esprit d'Henry Becque / nrf Gallimard 1927
« Le malheur de l'égalité, c'est que nous ne la voulons qu'avec nos supérieurs. » <p.124>
Maurice JOLY / Recherches sur l'art de parvenir / Paris Amyot 1868 [BnF Cote LB56-1958]
« Quand on regarde au fond du coeur humain, on n'y trouve guère que des instincts contraires à l'égalité ; et ces instincts sont les plus violents de tous puisqu'ils s'appellent l'orgueil, l'envie, l'égoïsme, l'intolérance, la passion de jouir et de dominer. Comment donc les hommes tiennent-ils tant à l'égalité ? La réponse ne sera pas sans intérêt. C'est simplement parce qu'ils voient dans l'égalité le premier titre de leurs prétentions, et le moyen direct de s'élever au-dessus des autres. Qu'on retourne bien cette proposition, on la trouvera juste : et si elle froisse un peu certaines candeurs, elle jette un jour très-vif sur la politique et sur la vie sociale. » <p.1>
« La base du caractère humain est la force morale. Le degré de la volonté ou de l'énergie met entre les hommes la même distance que celle de la force physique entre les animaux. Sous ce rapport un homme peut être à un autre homme ce qu'un rat ou une belette est à un lion. Cette vérité est inébranlable ; elle est d'ailleurs assez sinistre, c'est pour cela qu'on ne la crie pas par-dessus les toits. Et maintenant bouleversez une société de fond en comble, nivelez tout ce qui a été construit à sa surface, faites-y passer la charrue et semez du sel, décrétez la loi agraire et l'égalité absolue, ramenez l'homme à l'état de larve, la société à l'état de peuplade primitive. Si ce niveau égalitaire était possible une minute, la minute d'après la force morale inégalement répartie entre les hommes, aurait refait de pied en cap la hiérarchie politique et les catégories sociales. » <p.28>
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Esclaves et ouvriers. - Le fait que nous attachons plus de prix à la satisfaction de notre vanité qu'à tout autre avantage (sécurité, emploi, plaisirs de toute espèce) se montre à un degré ridicule en ceci, que chacun (abstraction faite de raisons politiques) souhaite l'abolition de l'esclavage et repousse avec horreur l'idée de mettre des hommes dans cet état : cependant que chacun doit se dire que les esclaves ont à tous égards une existence plus sûre et plus heureuse que l'ouvrier moderne, que le travail servile est peu de chose par rapport au travail de l'ouvrier. On proteste au nom de la "dignité humaine" : mais c'est, pour parler plus simplement, cette vanité chérie qui regarde comme le sort le plus dur de n'être pas sur un pied d'égalité, d'être publiquement compté pour inférieur. - Le cynique pense autrement à ce sujet, parce qu'il méprise l'honneur ; - et c'est ainsi que Diogène fut un temps esclave et précepteur domestique. » <457 p.641>
« Chemin de l'égalité. - Une heure d'ascension dans les montagnes fait d'un gredin et d'un saint deux créatures à peu près semblables. La fatigue est le chemin le plus court vers l'égalité et la fraternité - et durant le sommeil la liberté finit par s'y ajouter. » <263 p.925>
Rémy de GOURMONT / Épilogues (3) / Mercure de France 1923
« Le désir de l'inégalité est violent parmi les hommes. Loin de se vouloir égaux, ils se veulent différents et supérieurs. Les imbéciles seuls ou les humbles sans espoir réclament l'égalité. Tout homme sain désire s'élever, dominer et briser ses frères. La volonté de puissance se découvre jusque dans les plus obscures familles. » <avril 1904, p.281>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Les hommes naissent égaux. Dès le lendemain, ils ne le sont plus. » <12 septembre 1907 p.891>
Sigmund FREUD / Essais de psychanalyse / Petite Bibliothèque Payot (44) 1973
« La justice sociale signifie qu'on se refuse à soi-même beaucoup de choses, afin que les autres y renoncent à leur tour ou, ce qui revient au même, ne puissent pas les réclamer. C'est cette revendication d'égalité qui constitue la racine de la conscience sociale et du sentiment du devoir. » <Psychologie collective et analyse du Moi, 1921 p.147>
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« La loterie plaît, parce qu'elle tire l'inégalité de l'égalité ; l'assurance déplait parce qu'elle fait justement le contraire. » <16 juillet 1912 p.137>
Paul VALÉRY / Regards sur le monde actuel / OEuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Dans une société d'égaux, l'individu agit contre l'égalité. Dans une société d'inégaux, le plus grand nombre travaille contre l'inégalité. » <p.947>
Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972
« Rien n'est plus semblable à l'identique que ce qui est pareil à la même chose. » <p.31>
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Dès que quelqu'un me parle d'élites, je sais que je me trouve en présence d'un crétin. » <p.168>
François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
Confusion des ordres :
« Malgré certaines affirmations, ce n'est pas la science qui détermine la politique, mais la politique qui déforme la science et en mésuse pour y trouver justification et alibi. Par une singulière équivoque, on cherche à confondre deux notions pourtant bien distinctes : l'identité et l'égalité. L'une réfère aux qualités physiques ou mentales des individus ; l'autre à leurs droits sociaux et juridiques. La première relève de la biologie et de l'éducation ; la seconde de la morale et de la politique. L'égalité n'est pas un concept biologique. On ne dit pas que deux molécules ou deux cellules sont égales. Ni même deux animaux ; comme l'a rappelé George Orwell. C'est bien sûr l'aspect social et politique qui est l'enjeu de ce débat, soit qu'on veuille fonder l'égalité sur l'identité, soit que, préférant l'inégalité, on veuille la justifier par la diversité. Comme si l'égalité n'avait pas été inventée précisément parce que les êtres humains ne sont pas identiques. S'ils étaient tous aussi semblables que des jumeaux univitellins, la notion d'égalité n'aurait aucun intérêt. Ce qui lui donne sa valeur et son importance, c'est la diversité des individus ; ce sont leurs différences dans les domaines les plus variés. La diversité est l'une des grandes règles du jeu biologique. ~ La diversité est une façon de parer au possible. Elle fonctionne comme une sorte d'assurance sur l'avenir. » <p.127-128>