Contenant de quelle maniere ces Pensées ont esté écrittes & recueillies ; ce qui en a fait retarder l'impression ; quel estoit le dessein de Monsieur Pascal dans cet ouvrage ; & de quelle sorte il a passé les dernieres années de sa vie.
MONSIEUR PASCAL ayant quitté fort jeune l'estude des Mathématiques, de la Physique, & des autres sciences Profanes, dans lesquelles il avoit fait un si grand progrès, qu'il y a eu asseurément peu de personncs qui ayent pénétré plus avant que luy dans les matières particulieres qu'il en a traittées, il commença vers la trentième année de son âge à s'appliquer à des choses plus serieuses & plus relevées, & à s'adonner uniquement, autant que sa santé le pùt permettre, à l'étude de l'Escriture, des Peres, & de la Morale Chrestienne.
Mais quoyqu'il n'ait pas moins excellé dans ces sortes de sciences qu'il avoit fait dans les autres, comme il l'a bien fait paroistre par des ouvrages qui passent pour assez achevez en leur genre, on peut dire neanmoins que si Dieu eust permis qu'il eust travaillé quelque temps à celuy qu'il avoit dessein de faire sur la Religion, & auquel il vouloit employer tout le reste de sa vie, cet ouvrage eust beaucoup surpassé tous les autres qu'on a vûs de luy ; parce qu'en effet les vûes qu'il avoit sur ce sujet estoient infiniment au dessus de celles qu'il avoit sur toutes les autres choses.
Je crois qu'il n'y aura personne qui n'en soit facilement persuadé en voyant seulement le peu que l'on en donne à present quelque imparfait qu'il paroisse, & principalement sçachant la maniere dont il y a travaillé, & toute l'histoire du recüeil qu'on en a fait. Voicy comment tout cela s'est passé.
Monsieur Pascal conceut le dessein de cet ouvrage plusieurs années avant sa mort : mais il ne faut pas neanmoins s'estonner s'il fut si longtemps sans en rien mettre par écrit ; car il avoit toûjours accoûtumé de songer beaucoup aux choses, & de les disposer dans son esprit avant que de les produire au dehors, pour bien considérer et examiner avec soin celles qu'il falloit mettre les premieres ou les dernieres, & l'ordre qu'il leur devoit donner à toutes, afin qu'elles pussent faire l'effet qu'il desiroit. Et comme il avoit une memoire excellente & qu'on peut dire mesme prodigieuse, en sorte qu'il a souvent assuré qu'il n'avoit jamais rien oublié de ce qu'il avoit une fois bien imprimé dans son esprit ; lors qu'il s'estoit ainsy quelque temps appliqué à un sujet, il ne craignoit pas que les pensées qui luy estoient venuës luy pussent jamais échapper ; & c'est pourquoi il differoit assez souvent de les écrire, soit qu'il n'en eust pas le loisir, soit que sa santé, qui a presque toûjours esté languissante & imparfaite, ne fust pas assez forte pour luy permettre de travailler avec application.
C'est ce qui a esté cause que l'on a perdu à sa mort la plus grande partie de ce qu'il avoit déja conçû touchant son dessein. Car il n'a presque rien écrit des principales raisons dont il vouloit se servir, des fondements sur lesquels il prétendoit appuyer son ouvrage, & de l'ordre qu'il vouloit y garder ; ce qui estoit assurément tres considerable. Tout cela estoit tellement gravé dans son esprit & dans sa memoire, qu'ayant negligé de l'écrire lorsqu'il l'auroit peut-estre pû faire, il se trouva, lorsqu'il l'auroit bien voulu, hors d'estat d'y pouvoir du tout travailler.
Il se rencontra neanmoins une occasion il y a environ dix ou douze ans en laquelle on l'obligea, non pas d'escrire ce qu'il avoit dans l'esprit sur ce sujet là, mais d'en dire quelque chose de vive voix. Il le fit donc en presence & à la priere de plusieurs personnes tres considerables de ses amis. Il leur développa en peu de mots le plan d tout son ouvrage : il leur representa ce qui en devoit faire le sujet & la matiere : il leur en rapporta en abregé les raisons & les principes : & il leur explique l'ordre & la suite des choses qu'il y vouloit traitter. Et ces personnes qui sont aussy capables qu'on le puisse estre de juger de ces sortes de choses, avoüent qu'elles n'ont jamais rien entendu de plus beau, de plus fort, de plus touchant, ny de plus convaincant ; qu'elles en furent charmées ; & que ce qu'elles virent de ce projet & de ce dessein dans un discours de deux ou trois heures fait ainsy sur le champ & sans avoir esté prémedité ny travaillé, leur fit juger ce que ce pourroit estre un jour s'il estoit jamais executé & conduit à sa perfection par une personne dont elles connoissent la force & la capacité, qui avoit accoustumé de tant travailler tous ses ouvrages, qui ne se contentoit presque jamais de ses premieres pensées quelque bonnes qu'elles parussent aux autres, & qui a refait souvent jusqu'à huit ou dix fois des pieces que tout autre que luy trouvoit admirables dés la premiere.
Aprés qu'il leur eut fait voir quelles sont les preuves qui font le plus d'impression sur l'esprit des hommes, & qui sont les plus propres à les persuader, il entreprit de montrer que la Religion Chrestienne avoit autant de marques de certitude & d'évidence que les choses qui sont receües dans le monde pour les plus indubitables.
Pour entrer dans ce dessein, il commença d'abord par une peinture de l'homme, où il n'oublia rien de tout ce qui le pouvoit faire connoistre & au dedans & au dehors de luy-mesme jusqu'aux plus secrets mouvemens de son coeur. Il supposa ensuite un homme qui ayant toujours vescu dans une ignorance generale, & dans l'indifference à l'esgard de toutes choses, & sur tout à l'esgard de soy-mesme, vient enfin à se considerer dans ce tableau, & à examiner ce qu'il est. Il est surpris d'y découvrir une infinité de choses ausquelles il n'a jamais pensé, & il ne sçauroit remarquer sans étonnement & sans admiration tout ce que Monsieur Pascal luy fait sentir de sa grandeur & de sa bassesse, de ses avantages & de ses foiblesses, du peu de lumiere qui luy reste, & des tenebres qui l'environnent presque de toutes parts, & enfin de toutes les contrarietez étonnantes qui se trouvent dans sa nature. Il ne peut plus aprés cela demeurer dans l'indifference, s'il a tant soit peu de raison ; & quelque insensible qu'il ait esté jusqu'alors, il doit souhaiter, aprés avoir ainsi connû ce qu'il est, de connoître aussi d'où il vient, & ce qu'il doit devenir.
Monsieur Pascal l'ayant mis dans cette disposition de chercher à s'instruire sur un doute si important, il l'addresse premierement aux Philosophes ; & c'est là qu'aprés luy avoir développé tout ce que les plus grands Philosophes de toutes les sectes ont dit sur le sujet de l'homme, il luy fait observer tant de défauts, tant de foiblesses, tant de contradictions, & tant de faussetez dans tout ce qu'ils en ont avancé, qu'il n'est pas difficile à cet homme de juger que ce n'est pas là où il s'en doit tenir.
Il luy fait ensuite parcourir tout l'Univers & tous les âges, pour luy faire remarquer une infinité de Religions qui s'y rencontrent : mais il luy fait voir en mesme temps par des raisons si fortes & si convaincantes, que toutes ces religions ne sont remplies que de vanité, que de folies, que d'erreurs, que d'esgarements & d'extravagances, qu'il n'y trouve rien encore qui le puisse satisfaire.
Enfin il luy fait jetter les yeux sur le peuple Juif, & il luy en fait observer des circonstances si extraordinaires, qu'il attire facilement son attention. Aprés luy avoir representé tout ce que ce peuple a de singulier, il s'arreste particulierement à luy faire remarquer un livre unique par lequel il se gouverne, & qui comprend tout ensemble son histoire, sa loy, & sa Religion. A peine a-t'il ouvert ce livre, qu'il y apprend que le monde est l'ouvrage d'un Dieu, & que c'est ce mesme Dieu qui a créé l'homme à son image, & qui l'a doüé de tous les avantages du corps & de l'esprit qui convenoient à cet estat. Quoy-qu'il n'ait rien encore qui le convainque de cette verité, elle ne laisse pas de luy plaire ; & la raison seule suffit pour luy faire trouver plus de vray-semblance dans cette supposition qu'un Dieu est l'autheur des hommes & de tout ce qu'il y a dans l'Univers, que dans tout ce que ces mesmes hommes se sont imaginez par leurs propres lumieres. Ce qui l'arreste en cet endroit est de voir par la peinture qu'on luy a faite de l'homme, qu'il est bien éloigné de posseder tous ces avantages qu'il a dû avoir lors qu'il est sorty des mains de son autheur : mais il ne demeure pas long-temps dans ce doute ; cas dés qu'il poursuit la lecture de ce mesme livre, il y trouve, qu'aprés que l'homme eust esté créé de Dieu dans l'estat d'innocence & avec toutes sortes de perfections, la premiere action qu'il fit fut de se revolter contre son Createur, & d'employer tous les avantages qu'il en avoit reçûs pour l'offenser.
Monsieur Pascal luy fait alors comprendre que ce crime ayant esté le plus grand de tous les crimes en toutes ses circonstances, il avoit esté puny non seulement dans ce premier homme, qui estant deschu par là de son estat tomba tout d'un coup dans la misere, dans la foiblesse, dans l'erreur, & dans l'aveuglement ; mais encore dans tous ses descendans à qui ce mesme homme a communiqué & communiquera encore sa corruption dans toute la suitte des temps.
Il luy fait ensuitte parcourir divers endroits de ce livre où il a découvert cette verité. Il luy fait prendre garde qu'il n'y est plus parlé de l'homme que par rapport à cet estat de foiblesse & de desordre ; qu'il y est dit souvent, que toute chair est corrompuë, que les hommes sont abandonnez à leur sens, & qu'ils ont une pente au mal dés leur naissance. Il luy fait voir encore que cette premiere chûte est la source non seulement de tout ce qu'il y a de plus incomprehensible dans la nature de l'homme, mais aussi d'une infinité d'effets qui sont hors de luy, & dont la cause luy est inconnuë. Enfin il luy represente l'homme si bien dépeint dans tout ce livre, qu'il ne luy paroist plus different de la premiere image qu'il luy en a tracée.
Ce n'est pas assez d'avoir fait connoistre à cet homme son estat plein de misere ; M. Pascal luy apprend encore, qu'il trouvera dans ce mesme livre de quoy se consoler. Et en effet, il luy fait remarquer qu'il y est dit, que le remede est entre les mains de Dieu ; que c'est à luy que nous devons recourir pour avoir les forces qui nous manquent ; qu'il se laissera fléchir, & qu'il envoira mesme un liberateur aux hommes, qui satisfera pour eux, & qui reparera leur impuissance.
Aprés qu'il luy a expliqué un grand nombre de remarques tres particulieres sur le livre de ce peuple, il luy fait encore considerer, que c'est le seul qui ait parlé dignement de l'Estre souverain, & qui ait donné l'idée d'une veritable Religion. Il luy en fait concevoir les marques les plus sensibles qu'il applique à celles que ce livre a enseignées ; & il luy fait faire une attention particuliere sur ce qu'elle fait consister l'essence de son culte dans l'amour du Dieu qu'elle adore ; ce qui est un caractere tout singulier, & qui la distingue visiblement de toutes les autres Religions, dont la fausseté paroist par le défaut de cette marque si essentielle.
Quoyque Monsieur Pascal, aprés avoir conduit si avant cet homme qu'il s'estoit proposé de persuader insensiblement, ne luy ait encore rien dit qui le puisse convaincre des veritez qu'il luy a fait découvrir, il l'a mis neanmoins dans la disposition de les recevoir avec plaisir pourveu qu'on puisse luy faire voir qu'il doit s'y prendre, & de souhaitter mesme de tout son coeur qu'elles soient solides & bien fondées, puis qu'il y trouve de si grands avantages pour son repos & pour l'esclaircissement de ses doutes. C'est aussi l'estat où devroit estre tout homme raisonnable, s'il estoit une fois bien entré dans la suitte de toutes les choses que Monsieur Pascal vient de representer : & il y a sujet de croire qu'aprés cela il se rendroit facilement à toutes les preuves qu'il apporta ensuite pour confirmer la certitude & l'évidence de toutes ces veritez importantes dont il avoit parlé, & qui font le fondement de la Religion Chrestienne qu'il avoit dessein de persuader.
Pour dire en peu de mots quelque chose de ces preuves ; aprés qu'il eust montré en general que les veritez dont il s'agissoit estoient contenuës dans un livre de la certitude duquel tout homme de bon sens ne pouvoit douter, il s'arresta principalement au livre de Moyse où ces veritez sont particulierement répanduës ; & il fit voir par un tres-grand nombre de circonstances indubitables, qu'ilestoit également impossible que Moyse eust laissé par écrit des choses fausses ; ou que le peuple à qui il les avoit laissées s'y fust laissé tromper, quand mesme Moyse auroit esté capable d'estre fourbe.
Il parla aussi de tous les grands miracles qui sont rapportez dans ce livre ; & comme ils sont d'une grande consequence pour la Religion qui est enseignée, il prouva qu'il n'estoit pas possible qu'ils ne fussent vrais, non seulement par l'authorité du livre où ils sont contenus ; mais encore par toutes les circonstances qui les accompagnent, & qui les rendent indubitables.
Il fit voir encore de quelle maniere toute la loy de moyse estoit figurative : que tout ce qui estoit arrivé aux Juifs n'avoit esté que la figure des veritez accomplies à la venuë du Messie ; & que le voile qui couvroit ces figures ayant esté levé, il estoit aisé d'en voir l'accomplissement & la consommation parfaite en faveur de ceux qui ont reçû JESUS-CHRIST.
Monsieur Pascal entreprit ensuite de prouver la verité de la Religion par les propheties ; & ce fut sur ce sujet qu'il s'étendit beaucoup plus que sur les autres. Comme il avoit beaucoup travaillé là dessus, & qu'il y avoit des veuës qui luy estoient toutes particulieres, il les expliqua d'une maniere fort intelligible ; il en fit voir le sens & la suite avec une facilité merveilleuse ; & il les mit dans tout leur jour & dans toute leur force.
Enfin aprés avoir parcouru les livres de l'ancien Testament, & fait encore plusieurs observations convaincantes pour servir de fondemens & de preuves à la verité de la Religion, il entreprit encore de parler du nouveau Testament, & de tirer ses preuves de la verité mesme de l'Evangile.
Il commença par JESUS-CHRIST ; & quoy qu'il l'eust déja prouvé invinciblement par les propheties, & par toutes les figures de la loy dont on voyoit en luy l'accomplissement parfait, il apporta encore beaucoup de preuves tirées de la personne mesme, de ses miracles, de sa doctrine, & des circonstances de sa vie.
Il s'arresta ensuite sur les Apostres : & pour faire voir la verité de la foy qu'ils ont publiée hautement par tout ; aprés avoir estably qu'on ne pouvoit les accuser de fausseté, qu'en supposant, ou qu'ils avoient esté des fourbes, ou qu'ils avoient esté trompez eux mesmes ; il fit voir clairement que l'un & l'autre de ces suppositions estoit également impossible.
Enfin il n'oublia rien de tout ce qui pouvoit servir à la verité de l'histoire Evangelique, faisant de tres belles remarques sur l'Evangile mesme, sur le stile des Evangelistes, & sur leurs personnes ; sur les Apotres en particulier, & sur leur escrits ; sur le nombre prodigieux de miracles ; sur les Martyrs ; sur les Saints ; en un mot sur toutes les voyes par lesquelles la Religion Chrestienne s'est entierement établit. Et quoyqu'il n'eust pas le loisir dans un simple discours de traitter au long une si vaste matiere, comme il avoit dessein de le faire dans son ouvrage, il en dit neanmoins assez pour convaincre que tout cela ne pouvoit estre l'ouvrage des hommes, & qu'il n'y avoit que Dieu seul qui eust pû conduire l'évenement de tant d'effets differens qui consourent tous également à prouver d'une maniere invincible la Religion qu'il est venu luy-mesme établir parmy les hommes.
Voilà en substance les principales choses dont il entreprit de parler dans tout ce discours, qu'il ne proposa à ceux qui l'entendirent que comme l'abregé du grand ouvrage qu'il méditoit : & c'est par le moyen d'un de ceux qui y furent presens qu'on a sceu depuis le peu que je viens d'en rapporter.
On verra parmy les fragmens que l'on donne au public quelque chose de ce grand dessein de Monsieur Pascal : mais on y en verra bien peu ; & les choses mesme que l'on y trouvera sont si imparfaites, si peu étenduës, & si peu digerées, qu'elles ne peuvent donner qu'une idée tres grossiere de la maniere dont il avoit envie de les traitter.
Au reste il ne faut pas s'étonner si dans le peu qu'on en donne, on n'a pas gardé son ordre & sa suite pour la distribution des matieres. Comme on n'avoit presque rien qui se suivit, il eust esté inutile de s'attacher à cet ordre ; & l'on s'est contenté de les disposer à peu prés en la maniere qu'on a jugé estre plus propre & plus convenable à ce que l'on en avoit. On espere mesme qu'il y aura peu de personnes qui aprés avoir bien conçû une fois le dessein de Monsieur Pascal, ne suppéent d'eux-mesmes au defaut de cet ordre, & qui en considerant avec attention les diverses matieres respanduës dans ces fragmens, ne jugent facilement où elles doivent estre rapportées suivant l'idée de celuy qui les avoit écrites.
Si l'on avoit seulement ce discours là par escrit tout au long & en la maniere qu'il fut prononcé, l'on auroit quelque sujet de se consoler de la perte de cet ouvrage, & l'on pourroit dire qu'on en auroit au moins un petit échantillon quoy que fort imparfait. Mais Dieu n'a pas permis qu'il nous ait laissé ny l'un ny l'autre. Car peu de temps apres il tomba malade d'une maladie de langueur & de foiblesse qui dura les quatre dernieres années de sa vie, & qui, quoyqu'elle parust fort peu au dehors, & qu'elle ne l'obligeast pas de garder le lit ny la chambre, ne laissoit pas de l'incommoder beaucoup, & de le rendre presque incapable de s'appliquer à quoy que ce fust : de sorte que le plus grand soin & la principale occupation de ceux qui estoient auprés de luy, estoit de le détourner d'escrire, & mesme de parler de tout ce qui demandoit quelque application & quelque contention d'esprit, & de ne l'entretenir que de choses indifferentes & incapables de le fatiguer.
C'est neanmoins pendant ces quatre années de langueur & de maladie qu'il a fait & escrit tout ce que l'on a de luy de cet ouvrage qu'il meditoit, & tout ce que l'on en donne au public. Car quoy qu'il attendist que sa santé fust entierement restablie pour y travailler tout de bon, & pour escrire les choses qu'il avoit deja digerées & diposées dans son esprit ; cependant lorsqu'il luy survenoit quelques nouvelles pensées, quelques veuës, quelques idées, ou mesme quelque tour, & quelques expressions qu'il prévoyoit luy pouvoir un jour servir pour son dessein ; comme il n'estoit pas alors en estat de s'y appliquer aussy fortement qu'il faisoit quand il se portoit bien, ny de les imprimer dans son esprit & dans sa memoire, il aimoit mieux en mettre quelque chose pas escrit pour ne le pas oublier ; & pour cela il prenoit le premier morceau de papier qu'il trouvoit sous sa main sur lequel il mettoit sa pensée en peu de mots, & fort souvent mesme seulement à demy mot ; car il ne l'escrivoit que pour luy ; & c'est pourquoy il se contentoit de le faire fort legerement pour ne se pas fatiguer l'esprit, & d'y mettre seulement les choses qui estoient necessaires pour le faire ressouvenir des veües & des idées qu'il avoit.
C'est ainsy qu'il a fait la pluspart des fragmens qu'on trouvera dans ce recüeil ; de sorte qu'il ne faut pas s'estonner s'il y en a quelques uns qui semblent assez imparfaits, trop courts, & trop peu expliquez, & dans lesquels on peut mesme trouver des termes & des expressions moins propres & moins elegantes. Il arrivoit neanmoins quelquefois qu'ayant la plume à la main il ne pouvoit s'empescher en suivant son inclination de pousser ses pensées, & de les estendre un peu davantage, quoyque ce ne fut jamais avec la force & l'application d'esprit qu'il auroit pû faire en parfaite santé. Et c'est pourquoy l'on en trouvera aussy quelques unes plus estenduës & mieux escrites, & des Chapitres plus suivis & plus parfaits que les autres.
Voila de quelle maniere ont esté écrites ces pensées. Et je croy qu'il n'y aura personne qui ne juge facilement par ces legers commencemens & par ces foibles essais d'une personne malade, qu'il n'avoit écrits que pour luy seul & pour se remettre dans l'esprit des pensées qu'il craignoit de perdre, & qu'il n'a jamais revûs ny retouchez, quel eust esté l'ouvrage entier si Monsieur Pascal eust pû recouvrer sa parfaite santé & y mettre la derniere main, luy qui sçavoit disposer les choses dans un si beau jour & un si bel ordre, qui donnoit un tour si particulier, si noble, & si relevé à tout ce qu'il vouloit dire, qui avoit dessein de travailler cet ouvrage plus que tous ceux qu'il avoit jamais faits, qui y vouloit employer toute la force d'esprit & tous les talens que Dieu luy avoit donnez, & duquel il a dit souvent qu'il luy falloit dix ans de santé pour l'achever.
Comme l'on sçavoit le dessein qu'avoit Monsieur Pascal de travailler sur la religion, l'on eut un tres grand soin aprés sa mort de recüeillir tous les écrits qu'il avoit faits sur cette matiere. On les trouva tous ensemble enfilez en diverses liasses, mais sans aucun ordre & sans aucune suite, parce que, comme je l'ay déja remarqué, ce n'estoit que les premieres expressions de ses pensées qu'il écrivoit sur de petits morceaux de papier à mesure qu'elles luy venoient dans l'esprit. Et tout cela estoit si imparfait & si mal écrit qu'on a eu toutes les peines du monde à le déchiffrer.
La premiere chose que l'on fit fut de les faire copier tels qu'ils estoient & dans ma mesme confusion qu'on les avoit trouvez. Mais lors qu'on les vit en cet estat, & qu'on eut plus de facilité de les lire & de les examiner que dans les originaux, ils parurent d'abord si informes, si peu suivis, & la pluspart si peu expliquez, qu'on fut fort long temps sans penser du tout à les faire imprimer, quoyque plusieurs personnes de tres grande consideration le demandassent souvent aves des instances & des sollicitations fort pressantes : parce que l'on jugeoit bien que l'on ne pouvoit pas remplir l'attente & l'idée que tout le monde avoit de cet ouvrage dont l'on avoit déja entendu parler, en donnant ces écrits en l'estat qu'ils estoient.
Mais enfin on fut obligé de ceder à l'impatience & au grand desir que tout le monde témoignoit de les voir imprimez. Et l'on s'y porta d'autant plus aisément que l'on crût que ceux qui les liroient seroient assez équitables pour faire le discernement d'un dessein ébauché d'avec une piece achevée, & pour juger de l'ouvrage par l'échantillon quelque imparfait qu'il fust. Et ainsy l'on se resolut de les donner au public. Mais comme il y avoit plusieurs manieres de l'executer, l'on a esté quelque temps à se déterminer sur celle que l'on devoit prendre.
La premiere qui vint dans l'esprit & celle qui estoit sans doute la plus facile, estoit de les faire imprimer tout de suite dans le mesme estat qu'on les avoit trouvez. Mais l'on jugea bientost que de le faire de cette sorte, ç'eust esté perdre presque tout le fruit qu'on en pouvoit esperer ; parceque les pensées plus parfaites, plus suivies, plus claires, & plus étenduës estant meslées, & comme absorbées parmy tant d'autres imparfaites, obscures, à demy digerées, & quelques unes mesme presques inintelligibles à tout autre qu'à celuy qui les avoit écrites, il y avoit tout sujet de croire que les unes feroient rebuter les autres, & que l'on ne considereroit ce volume grossy inutilement de tant de pensées imparfaites que comme un amas confus, sans ordre, sans suitte, & qui ne pouvoit servir à rien.
Il y avoit une autre maniere de donner ces écrits au public, qui estoit d'y travailler auparavant, d'éclaircir les pensées obscures, d'achever celles qui estoient imparfaites, &, en prenant dans tous ces fragmens le dessein de Monsieur Pascal, de suppléer en quelque sorte l'ouvrage qu'il vouloit faire. Cette voye eust esté assurément la plus parfaite ; mais il estoit aussy trés difficile de la bien executer. L'on s'y est neanmoins arresté assez long-temps, & l'on avoit en effet commencé à y travailler. Mais enfin l'on s'est résolu de la rejetter aussy bien que la premiere ; parceque l'on a consideré qu'il estoit presque impossible de bien entrer dans la pensée & dans le dessein d'un autheur, & sur tout d'un autheur mort, & que ce n'eust pas esté donner l'ouvrage de Monsieur Pascal, mais un ouvrage tout different.
Ainsy pour éviter les inconveniens qui se trouvoient dans l'une & l'autre de ces manieres de faire paroistre ces écrits, l'on en a choisy une entre deux qui est celle que l'on a suivie dans ce receüil. L'on a pris seulement parmy ce grand nombre de pensées celles qui ont paru les plus claires & les plus achevées, & on les donne telles qu'on les a trouvées sans y rien adjouter ny changer, si ce n'est qu'au lieu qu'elles estoient sans suitte, sans liaison, & dispersées confusément de costé & d'autre, on les a mises dans quelque sorte d'ordre, & réduit sous les mesmes titres celles qui estoient sur les mesmes sujets : & l'on a supprimé toutes les autres qui étoient ou trop obscures, ou trop imparfaites.
Ce n'est pas qu'elles ne continssent aussy de tres belles choses, & qu'elles ne fussent capables de donner de grandes veuës à ceux qui les entendroient bien. Mais comme l'on ne vouloit pas travailler à les éclaircir & à les achever, elles eussent esté entierement inutiles en l'estat qu'elles sont. Et afin que l'on en ait quelque idée j'en rapporteray icy seulement une pour servir d'exemple, & par laquelle on pourra juger de toutes les autres que l'on a retranchées. Voicy donc quelle est cette pensée, & en quel estat on l'a trouvée parmy ces fragmens : Un artisan qui parle des richesses, un Procureur qui parle de la guerre, de la Royauté, &c. Mais le riche parle bien des richesses, le Roy parle froidement d'un grand don qu'il vient de faire, & Dieu parle bien de Dieu.
Il y a dans ce fragment une fort belle pensée ; mais il y a peu de personnes qui la puissent voir, parce qu'elle y est expliquée tres imparfaitement & d'une maniere fort obscure, fort courte, & fort abregée : en sorte que si on ne luy avoit souvent oüy dire de bouche la mesme pensée, il seroit difficile de la reconnoistre dans une expression si confuse & si embroüillée. Voicy à peu prés en quoy elle consiste.
Il avoit fait plusieurs remarques tres particulieres sur le stile de l'Escriture & principalement de l'Evangile, & il y trouvoit des beautez que peut-estre personne n'avoit remarquées avant luy. Il admiroit entr'autres choses la naïveté, la simplicité, & pour le dire ainsy la froideur avec laquelle il semble que JESUS-CHRIST y parle des choses les plus grandes & les plus relevées, comme sont, par exemple, le Royaume de Dieu, la gloire que possederont les Saints dans le ciel, les peines de l'enfer, sans s'y étendre, comme ont fait les Peres, & tous ceux qui ont escrit sur ces matieres. Et il disoit que la veritable cause de cela estoit que ces choses qui à la verité sont infiniment grandes & relevées à notre égard, ne le sont pas de mesme à l'égard de JESUS-CHRIST, & qu'ainsi il ne faut pas trouver étrange qu'il en parle de cette sorte sans étonnements & sans admiration : comme l'on voit sans comparaison qu'un General d'armée parle tout simplement & sans s'émouvoir du siege d'une place importante, & du gain d'une grande bataille ; & qu'un Roy parle froidement d'une somme de quinze ou vingt millions, dont un particulier & un artisan ne parleroient qu'avec de grandes exaggerations.
Voilà quelle est la pensée qui est contenuë & renfermée sous le peu de paroles qui composent ce fragment ; & cette considération jointe à quantité d'autres semblables pouvoit servir assurément dans l'esprit des personnes raisonnables, & qui agissent de bonne foy, de quelque preuve de la divinité de JESUS-CHRIST.
Je crois que ce seul exemple peut suffire non seulement pour faire juger quels sont à peu prés les autres fragmens qu'on a retranchez, mais aussy pour faire voir le peu d'application, & la negligence pour ainsy dire, avec laquelle ils ont presque tous esté escrits ; ce qui doit bien convaincre de ce que j'ay dit ; que Monsieur Pascal ne les avoit escrits en effet que pour luy seul, & sans aucune pensée qu'ils dussent jamais paroistre en cet estat. Et c'est aussy ce qui fait esperer que l'on sera assez porté à excuser les défauts qui s'y pourront rencontrer.
Que s'il se trouve encore dans ce receüil quelques pensées un peu obscures, je pense que pour peu qu'on s'y veüille appliquer on les comprendra neanmoins trés facilement, & qu'on demeurera d'accord que ce ne sont pas les moins belles, & qu'on a mieux fait de les donner telles qu'elles sont, que de les esclaircir par un grand nombre de paroles qui n'auroient servy qu'à les rendre traînantes & languissantes, & qui en auroient osté une des principales beautez qui consiste à dire beaucoup de choses en peu de mots.
L'on en peut voir un exemple dans un des fragmens du Chapitre des Preuves de JESUS-CHRIST par les propheties, qui est conçu en ces termes : Les Prophetes sont meslez de propheties particulieres, & de celles du Messie ; afin que les propheties du Messie ne fussent pas sans preuves, & que les propheties particulieres ne fussent pas sans fruit. Il rapporte dans ce fragment la raison pour laquelle les Prophetes qui n'avoient en veuë que le Messie, & qui sembloient ne devoir prophetiser que de luy & de ce qui le regardoit, ont neanmoins souvent prédit des choses particulieres qui paroissoient assez indifferentes & inutiles à leur dessein. Il dit que c'estoit afin que ces évenemens particuliers s'accomplissant de jour en jour aux yeux de tout le monde en la maniere qu'ils les avoient prédits, ils fussent incontestablement reconnus pour Prophetes, & qu'ainsy l'on ne pust douter de la verité & de la certitude de toutes les choses qu'ils prophetisoient du Messie. De sorte que par ce moyen les propheties du Messie tiroient en quelque façon leurs preuves & leur authorité de ces propheties particulieres verifiées & accomplies : & ces propheties particulieres servant ainsy à prouver & à authoriser celles du Messie, elles n'estoient pas inutiles & infructueuses. Voylà le sens de ce fragment étendu & développé. Mais il n'y a sans doute personne qui ne prist bien plus de plaisir de le découvrir soy-mesme dans ces paroles obscures, que de le voir ainsy esclaircy & expliqué.
Il est encore ce me semble assez à propos pour détromper quelques personnes qui pourroient peut-estre s'attendre de trouver icy des preuves & des démonstrations geometriques de l'existence de Dieu, de l'immortalité de l'ame, & de plusieurs autres articles de la foy Chrestienne ; de les avertir que ce n'estoit pas là le dessein de Monsieur Pascal. Il ne prétendoit point prouver toutes ces veritez de la Religion par de telles démonstrations fondées sur des principes évidens capables de convaincre l'obstination des plus endurcis, ny par des raisonnements métaphysiques qui souvent égarent plus l'esprit qu'ils ne le persuadent, ny par des lieux communs tirez de divers effets de la nature : mais par des preuves morales qui vont plus au coeur qu'à l'esprit. C'est à dire qu'il vouloit plus travailler à toucher & à disposer le coeur, qu'à convaincre & à persuader l'esprit ; parce qu'il sçavoit que les passions & les attachemens vicieux qui corrompent le coeur & la volonté sont les plus grands obstacles & les principaux empeschemens que nous ayons à la foy, & que pourveu qu'on pust lever ces obstacles il n'estoit pas difficile de faire recevoir à l'esprit les lumieres & les raisons qui pouvoient le convaincre.
L'on sera facilement persuadé de tout cela en lisant ces écrits. Mais Monsieur Pascal s'en est encore expliqué luy-mesme dans un de ses fragmens qui a esté trouvé parmy les autres, & que l'on n'a point mis dans ce recoeüil. Voicy ce qu'il dit dans ce fragment. Je n'entreprendray pas icy de prouver par des raisons naturelles ou l'existence de Dieu, ou la Trinité, ou l'immortalité de l'ame, ny aucune des choses de cette nature ; non seulement parceque je ne me sentirois pas assez fort pour trouver dans la nature de quoy convaincre des athées endurcis ; mais encore parceque cette connoissance sans JESUS-CHRIST est inutile & sterile. Quand un homme seroit persuadé que les proportions des nombres sont des veritez immaterielles, eternelles, & dépendantes d'une premiere verité en qui elles subsistent & qu'on appelle Dieu, je ne le trouverois pas beaucoup avancé pour son salut.
L'on s'étonnera peut-estre aussy de trouver dans ce recoeüil une si grande diversité de pensées, dont il y en a mesme plusieurs qui semblent assez éloignées du sujet que Monsieur Pascal avoit entrepris de traitter. Mais il faut considerer que son dessein estoit bien plus ample & plus estendu que l'on ne se l'imagine, & qu'il ne se bornoit pas seulement à réfuter les raisonnements des athées, & de ceux qui combattent quelques-unes des veritez de la foy Chrestienne. Le grand amour & l'estime singuliere qu'il avoit pour la Religion faisoit que non seulement il ne pouvoit souffrir qu'on la voulust détruire & anneantir tout à fait, mais mesme qu'on la blessast & qu'on la corrompist en la moindre chose. De sorte qu'il vouloit declarer la guerre à tous ceux qui en attaquent ou la verité ou la sainteté ; c'est à dire non seulement aux athées, aux infidelles, & aux heretiques qui refusent de soûmettre les fausses lumieres de leur raison à la foy, & de reconnoistre les veritez qu'elle nous enseigne ; mais mesme aux Chrétiens & aux Catholiques, qui estans dans le corps de la veritable Eglise ne vivent pas neanmoins selon la pureté des maximes de l'Evangile qui nous y sont proposées comme le modele sur lequel nous devons regler & conformer toutes nos actions.
Voila quel estoit son dessein ; & ce dessein estoit assez vaste & assez grand pour pouvoir comprendre la pluspart des choses qui sont répanduës dans ce recoeüil. Il s'y en pourra neanmoins trouver quelques-unes qui n'y ont nul rapport, & qui en effet n'y estoit pas destinées, comme par exemple la pluspart de celles qui sont dans le Chapitre des Pensées diverses, lesquelles on a aussy trouvées parmy les papiers de Monsieur Pascal, & que l'on a jugé à propos de joindre aux autres ; parce que l'on ne donne pas ce livre-cy simplement comme un ouvrage fait contre les athées ou sur la Religion, mais comme un recoeüil de Pensées de Monsieur Pascal sur la religion, & sur quelques autres sujets.
Je pense qu'il ne reste plus pour achever cette Preface que de dire quelque chose de l'autheur aprés avoir parlé de son ouvrage. Je crois que non seulement cela sera assez à propos, mais que ce que j'ai dessein d'en écrire pourra mesme estre tres utile pour faire connoistre comment Monsieur Pascal est entré dans l'estime & dans les sentimens qu'il avoit pour la Religion, qui luy firent concevoir le dessein d'entreprendre cet ouvrage.
L'on a déja rapporté en abregé dans la Préface des Traittez de l'équilibre des liqueurs, & de la pesanteur de l'air, de quelle maniere il a passé sa jeunesse, & le grand progrés qu'il fit en peu de temps dans toutes les sciences humaines & prophanes ausquelles il voulut s'appliquer, & particulierement en la Geometrie & aux Mathématiques ; la maniere étrange & surprenante dont il les apprit à l'âge d'onze ou douze ans ; les petits ouvrages qu'il faisoit quelquefois & qui surpassoient toujours beaucoup la force & la portée d'une personne de son âge ; l'effort étonnant & prodigieux de son imagination & de son esprit qui parut dans sa machine d'Arithmetique qu'il inventa âgé seulement de dix-neuf à vingt ans ; & enfin les belles experiences du vuide qu'il fit en presence des personnes les plus considerables de la ville de Roüen où il demeura quelque temps, pendant que Monsieur le President Pascal son pere y estoit employé pour le service du Roy dans la fonction d'Intendant de Justice. Ainsy je ne repeteray rien icy de tout cela ; & je me contenteray seulement de representer en peu de mots comment il a méprisé toutes ces choses, & dans quel esprit il a passé les dernieres années de sa vie ; en quoy il n'a pas moins fait paroistre la grandeur, & la solidité de sa vertu, & de sa pieté, qu'il avoit montré auparavant la force, l'étenduë, & la pénétration admirable de son esprit.
Il avoit esté préservé pendant sa jeunesse par une protection particuliere de Dieu des vices où tombent la pluspart des jeunes gens ; & ce qui est assez extraordinaire à un esprit aussy curieux que le sien, il ne s'estoit jamais porté au libertinage pour ce qui regarde la religion, ayant toûjours borné sa curiosité aux choses naturelles. Et il a dit plusieurs fois qu'il joignoit cette obligation à toutes les autres qu'il avoit à Monsieur son pere, qui ayant luy-mesme un tres-grand respect pour la religion, le luy avoit inspiré dés l'enfance, luy donnant pour maxime que tout ce qui est l'objet de la foy ne sçauroit l'estre de la raison, & beaucoup moins y estre soûmis.
Ces instructions qui luy estoient souvent reïterées par un pere pour qui il avoit une tres grande estime, & en qui il voyoit une grande science accompagnée d'un raisonnement fort & puissant, faisoient tant d'impression sur son esprit, que quelques discours qu'il entendist faire aux libertins, il n'en estoit nullement ému ; & quoy qu'il fust fort jeune, il les regardoit comme des gens qui estoient dans ce faux principe, que la raison humaine est au dessus de toutes choses, & qui ne connoissoient pas la nature de la foy.
Mais enfin aprés avoir ainsy passé sa jeunesse dans des occupations & des divertissemens qui paroissoient assez innocens aux yeux du monde, Dieu le toucha de telle sorte, qu'il luy fit comprendre parfaitement que la Religion Chrétienne nous oblige à ne vivre que pour luy, & à n'avoir point d'autre objet que luy. Et cette verité luy parut si évidente, si utile, & si necessaire, qu'elle le fit resoudre de se retirer, & de se dégager peu à peu de tous les attachemens qu'il avoit au monde pour pouvoir s'y appliquer uniquement.
Ce desir de la retraite & de mener une vie plus Chrestienne & plus reglée luy vint lors qu'il estoit encore fort jeune ; & il le porta dés lors à quitter entierement l'étude des sciences prophanes, pour ne s'appliquer plus qu'à celles qui pouvoient contribuer à son salut & à celuy des autres. Mais de continuelles maladies qui luy survinrent le détournerent quelque temps de son dessein, & l'empescherent de le pouvoir executer plûtost qu'à l'âge de trente ans.
Ce fut alors qu'il commença à y travailler tout de bon ; & pour y parvenir plus facilement, & rompre tout d'un coup toutes ses habitudes, il changea de quartier, & ensuite se retira à la campagne, où il demeura quelque temps ; d'où estant de retour il témoigna si bien qu'il vouloit quitter le monde, qu'enfin le monde le quitta. Il établit le reglement de sa vie dans sa retraite sur deux maximes principales, qui sont de renoncer à tout plaisir, & à toute superfluité. Il les avoit sans cesse devant les yeux, & il taschoit de s'y avancer & de s'y perfectionner toujours de plus en plus.
C'est l'application continuelle qu'il avoit à ces deux grandes maximes qui luy faisoit témoigner une si grande patience dans ses maux & dans ses maladies qui ne l'ont presque jamais laissé sans douleur pendant toute sa vie : qui luy faisoit pratiquer des mortifications tres rudes & tres severes envers luy mesme : qui faisoit que non seulement il refusoit à ses sens tout ce qui pouvoit leur estre agreable, mais encore qu'il prenoit sans peine, sans dégoust, & mesme avec joye, lorsqu'il le falloit, tout ce qui leur pouvoit déplaire, soit pour la nourriture, soit pour les remedes : qui le portoit a se retrancher tous les jours de plus en plus tout ce qu'il ne jugeoit pas luy estre absolument necessaire, soit pour le vestement, soit pour la nourriture, pour les meubles, & pour toutes les autres choses : qui luy donnoit un amour si grand & si ardent pour la pauvreté, qu'elle luy estoit toûjours presente, & que lorsqu'il vouloit entreprendre quelque chose la premiere pensée qui luy venoit en l'esprit estoit de voir si la pauvreté y pouvoit estre pratiquée ; & qui luy faisoit avoir en mesme temps tant de tendresse & tant d'affection pour les pauvres qu'il ne leur a jamais pû refuser l'aumosne, & qu'il en a fait mesme fort souvent d'assez considerables, quoy qu'il n'en fist que de son necessaire : qui faisoit qu'il ne pouvoit souffrir qu'on cherchast avec soin toutes ses commoditez ; & qu'il blasmoit tant cette recherche curieuse & cette fantaisie de vouloir exceller en tout, comme de se servir en toutes choses des meilleurs ouvriers, d'avoir toûjours du meilleur & du mieux fait, & mille autres choses semblables qu'on fait sans scrupule parce qu'on ne croit pas qu'il y ait de mal, mais dont il ne jugeoit pas de mesme : & enfin qui luy a fait faire plusieurs actions tres remarquables & tres Chrestiennes, que je ne rapporte pas icy de peur d'estre trop long, & parce que mon dessein n'est pas de faire une vie, mais seulement de donner quelque idée de la pieté & de la vertu de Monsieur Pascal à ceux qui ne l'ont pas connu ; car pour ceux qui l'ont vû, & qui l'ont un peu fréquenté pendant les dernieres années de sa vie je ne prétens pas leur rien apprendre par là ; & je crois qu'ils jugeront bien au contraire, que j'aurois pû dire encore beaucoup d'autres choses que je passe sous silence.
Approbations de Nosseigneurs les Prelats.
Approbation de monseigneur de Comenge.
Ces pensées de Monsieur Pascal font voir la beauté
de son génie, sa solide pieté, & sa profonde
erudition. Elles donnent une si excellente idée de la Religion,
que l'on acquiesce sans peine à ce qu'elle contient de
plus impenetrable. Elles touchent si bien les principaux points
de la Morale, qu'elles découvrent d'abord la source &
le progrez de nos desordres, & les moyens de nous en delivrer ;
& elles effleurent les autres sciences avec tant de suffisance,
que l'on s'apperçoit aisément, que M. Pascal ignoroit
peu de choses de ce que les hommes sçavent. Quoy que ces
pensées ne soient que les commencemens des raisonnemens
qu'il méditoit, elles ne laissent pas d'instruire profondement.
Ce ne sont que des semences ; mais elles produisent leurs
fruits en mesme temps qu'elles sont répanduës. L'on
acheve naturellement ce que ce sçavant homme avoit eu dessein
de composer ; & les lecteurs deviennent eux mesmes autheurs
en un moment pour peu d'application qu'ils ayent. Rien n'est donc
plus capable de nourrir utilement & agreablement l'esprit
que la lecture de ces essais quelques informes qu'ils paroissent,
& il n'y a gueres eu de production parfaite depuis long-temps
qui ait mieux merité selon mon jugement d'estre imprimée
que ce livre imparfait. A Paris, le 4. Septembre 1669.
GILBERT, E. de Comenge.
De Monseigneur l'Evesque d'Aulonne, Suffragant de Clermont.
APRES avoir lû fort exactement & avec beaucoup de consolation
les Pensées de M. Pascal touchant la religion Chrestienne,
il me semble que les veritez qu'elles contiennent peuvent estre
fort bien comparées aux essences dont on n'a point accoustumé
de donner beaucoup à la fois, pour les rendre plus utiles
aux corps malades : parce qu'estant toutes remplies d'esprits,
on n'en sçauroit prendre si peu que toutes les parties
du corps ne s'en ressentent. Ce sont les images des pensées
de ce recueil. Une seule peut suffire à un homme pour en
nourrir son ame tout un jour, s'il les lit à cette intention ;
tant elles sont remplies de lumieres & de chaleur. Et bien
loin qu'il y ait rien dans ce recueil qui soit contraire à
la foy de l'Eglise Catholique, Apostolique & Romaine, qu'au
contraire, tout y est entierement conforme à sa doctrine
& à ses maximes dans les moeurs. Car l'autheur estoit
trop bien informé de la doctrine des Peres & des Conciles
pour penser ou parler un autre langage que le leur ; ainsi
que tous les lecteurs le pourront facilement reconnoîre
par la lecture de tout cet ouvrage, & particulierement par
cette excellente pensée de la page 2 ;8. dont voicy
les propres termes : Le corps n'est non plus vivant sans
le chef que le chef sans le corps. Quiconque se separe de l'un
ou de l'autre n'est plus du corps & n'appartient plus
à JESUS-CHRIST. Toutes les vertus, le martyre, les
austeritez, & toutes les bonnes oeuvres sont inutiles hors
de l'Eglise & de la communion du Chef de l'Eglise qui est
le Pape. Fait en l'Abbaye de Saint André lez Clermont
le 24. Novembre 1669.
JEAN, E. d'Aulone, Suffragant de Clermont.
De Monseigneur l'Evesque d'Amiens.
NOUS avons lû le livre posthume de M. Pascal, qui auroit
eu besoin des derniers soins de son autheur. Quoy qu'il ne contienne
que des fragmens & des semences de discours, on ne laisse
pas d'y remarquer des lumieres tres sublimes & des delicatesses
tres agreables. La force & la hardiesse des pensées
surprennent quelquefois l'esprit : Mais plus on y fait d'attention,
plus on les trouve saines & tirées de la Philosophie
& de la Theologie des Peres. Un ouvrage si peu achevé
nous remplit d'admiration & de douleur de ce qu'il n'y a point
d'autre main qui puisse donner la perfection à ces premiers
traits, que celle qui en a sceu graver une idée si vive
& si remarquable, ny nous consoler de la grande perte que
nous avons faite par sa mort. Le public est obligé aux
personnes qui luy ont conservé des pieces si precieuses,
quoy qu'elles ne soient point limées : & telles
qu'elles sont, nous ne doutons pas qu'elles ne soient tres utiles
à ceux qui aimeront la verité & leur salut.
Donné à Paris, où nous nous sommes trouvez
pour les affaires de nostre Eglise, le premier jour de Novembre
1669.
FRANÇOIS, E. d'Amiens.
Approbation des Docteurs.
NOUS sous-signez Docteurs en Theologie de la Faculté de
Paris, certifions avoir lû le Recueil des Pensées
de M. Pascal, trouvées dans son Cabinet apres sa mort,
que nous avons jugées Catholiques & pleines de pieté.
Le public a beaucoup perdu de ce que l'auteur n'a pas eu le temps
de donner à cet ouvrage toute sa perfection. Les Athées
en eussent encore esté plus pleinement convaincus :
la Religion Catholique plus puissamment confirmée, et la
pieté des fidelles plus vivement excitée :
C'est ce que nous croyons & attestons. A Paris le 5. Septembre
1669.
DE BREDA, Curé de Saint André des Arts.
LE VAILLANT, Curé de S. Christophe.
GRENET, Curé de S. Benoist.
MARLIN, Curé de S. Eustache.
J. L'ABBÉ. PETITPIED.
L. MARAIS. T.ROULLAND.
PH. LE FERON.
Approbation particuliere de Monsieur LeVaillant,
Docteur de la Faculté de Paris,
ancien Predicateur, Curé de Saint Christophe,
& cy-devant Theologal de l'Eglise de Reims.
QUELLE apparence de prendre tant de plaisir à lire les
pensées de M. Pascal, & de n'en dire pas & témoigner
les siennes en particulier. Je sçavois assez avec tous
les honnestes gens, ce que pouvoit ce rare esprit en tant d'autres
matieres, & sur tout dans ses Lettres qui ont surpris &
estonné tout le monde ; mais qu'il deust nous donner
& laisser une methode si naturelle, & neanmoins si extraordinaire
pour montrer, deffendre & appuyer l'excellence & la grandeur
de nostre Religion ; c'est ce que je n'eusse pas pensé,
si je n'en eusse veu les preuves tres évidentes dans cet
ouvrage. Il est vray qu'il n'est pas achevé, & que
les raisonnemens n'ont pas toûjours leur étenduë
& leur perfection : ce ne sont souvent que des commencemens,
des essais, & comme des restes de Pensées d'une haute
& merveilleuse élevation : mais telles que puissent
estre ces Pensées, elles meritent bien justement l'éloge
du Prophete ; Reliquia cogitationis diem festum agent
tibi. Restes precieus, certainement ! Disons hardiment
reliques honorables d'un illustre mort, qui du jour auquel elles
paroistront en public en feront un jour de feste & de joye
pour tous les fidelles, mais de honte aussi & de confusion
pour tous les Impies, les Libertins, & les Athées,
pour tous ceux qui se piquans de fort esprit n'ont dans leurs
forces imaginaires que de la foiblesse & de l'infirmité,
Infirmus dicet ego fortis sum. Ces malheureux infirmes
verront dans ce livre leur misere & leur vanité ;
ils trouveront leur deffaite & leur déroute dans la
victoire & le triomphe de l'autheur de ces Pensées
que j'ay leuës avec tant d'admiration, que j'approuve avec
tant de reconnoissance, & que je certifie dans la derniere
sincerité estre tres conformes à la foy & tres
avantageuses aux bonnes moeurs. Fait à Paris le sixiéme
Septembre 1669.
A. LE VAILLANT.
De M. Fortin, Docteur en Theologie de la Faculté de
Paris,
Proviseur du College d'Harcourt.
L'ESTROITE liaison que j'ay eu avec M. Pascal durant sa vie m'a
fait prendre un singulier plaisir à lire ces Pensées,
que j'avois autrefois entenduës de sa propre bouche. Ce sont
les entretiens qu'il avoit d'ordinaire avec ses amis. Il leur
parloit des choses de Dieu & de la Religion avec tant de science
& de soumission qu'il est difficile de trouver un esprit plus
élevé & plus humble tout ensemble. Ceux qui
liront ce recueil, qui contient des discours tout divins, jugerons
aisément de la grandeur de son ame & de la force de
la grace qui l'animoit. Ils ne trouveront rien qui ne soit dans
les regles de la Religion, & qui n'inspire des sentimens d'une
veritable & sincere pieté. C'est le témoignage
que je me sens obligé d'en rendre au public. A Paris ce
9. Aoust 1669.
T. FORTIN.
De M. le Camus, Docteur en Theologie de la Faculté de
Paris,
Conseiller & Aumônier ordinaire du Roy.
IL m'est arrivé en examinant cet ouvrage en l'estat qu'il
est, ce qui arrivera presque à tous ceux qui le liront,
qui est de regretter plus que jamais la perte de l'Autheur, qui
estoit seul capable d'achever ce qu'il avoit si heureusement commencé.
En effet, si ce livre tout imparfait qu'il est, ne laisse pas
d'émouvoir puissamment les personnes raisonnables, &
de faire connoistre la verité de la Religion Chrestienne
à ceux qui la chercheront sincerement, que n'eut-il pas
fait si l'autheur y eût mis la derniere main ! Et si
ces Diamans brutes épars çà & là
jettent tant d'éclat & de lumiere, quel esprit n'auroit
il pas ébloüy, si ce sçavant ouvrier avoit
eu le loisir de les polir & de les mettre en oeuvre ?
Au reste, s'il eût vécu plus long-temps, ses secondes
pensées auroient esté sans doute dans un meilleur
ordre que ne sont les premieres qu'on donne au public dans cet
écrit, mais elles ne pouvoient estre plus sages, elles
auroient esté plus polies & plus liées, mais
elles ne pouvoient estre ny plus solides ny plus lumineuses. C'est
le témoignage que nous en rendons, & que nous n'y avons
rien remarqué qui ne soit conforme à la créance
& a la doctrine de l'Eglise. A Paris le 21. de Septembre 1669.
E. LE CAMUS, Docteur de la Faculté de Theologie de Paris,
Conseiller & Aumosnier du Roy.
De Monsieur de Ribeyran, Archidiacre de Comenge.
J'AY lû avec admiration ce livre posthume de M. Pascal.
Il semble que cet homme incomparable non seulement voit, comme
les Anges, les consequences dans leurs principes ; mais qu'il
nous parle comme ces purs Esprits par la seule direction de ces
pensées. Souvent un seul mot est un discours tout entier.
Il fait comprendre tout d'un coup à ses lecteurs ce qu'un
autre auroit bien de la peine d'expliquer par un raisonnement
fort étendu. Et tant s'en faut que nous devions regretter
qu'il n'ait pas achevé son ouvrage, que nous devons remercier
au contraire la Providence divine de ce qu'elle l'a permis ainsi.
Comme tout y est pressé, il en sort tant de lumieres de
toutes parts, qu'elles font voir à fond les plus hautes
veritez en elles mesmes, qui peut-estre auroient esté obscurcies
par un plus long embarras de paroles. Mais si ces pensées
sont des éclairs qui découvrent les veritez cachées
aux esprits dociles & équitables, ce sont des foudres
qui accablent les Libertins & les Athées ; &
puis que nous devons desirer pour la gloire de Dieu l'instruction
des uns & la confusion des autres, il n'y a rien qui ne doive
porter les amis de M. Pascal à publier ces excellentes
productions de ce rare esprit, qui ne contiennent rien selon mon
jugement, qui ne soit tres Catholique & tres édifiant.
Fait à Paris le 7. Septembre 1669.
DE RIBEYRAN, Archidiacre de Comenge.
De Monsieur de Drubec, Docteur de Sorbonne,
Abbé de Boulancourt.
UN ancien a dit assez élegamment que l'on doit considerer,
eu égard à la posterité, tout ce que les
autheurs n'achevent pas, comme s'il n'avoit jamais esté
commencé ; mais je ne puis faire ce jugement des Pensées
de M. Pascal, il me semble que l'on feroit grand tort à
la posterité aussi bien qu'à nostre siecle, de supprimer
ces admirables productions, encore qu'elles ne puissent non plus
recevoir leur perfection, que ces anciennes figures que l'on aime
mieux laisser imparfaites que de les faire retoucher. Et comme
les plus excellens ouvriers se servent plus utilement de ces morceaux
pour former les idées des ouvrages qu'ils meditent, qu'ils
ne feroient de beaucoup d'autres pieces plus finies ; ces
fragmens de M. Pascal donnent des ouvertures sur toutes les matieres
dont il traitent, qu'on ne trouveroit point dans des volumes achevez.
Ainsi, selon mon jugement, on ne doit pas envier au public le
present que luy font les amis de ce Philosophe Chrétien,
des precieuses reliques de son esprit ; & non seulement,
je ne trouve rien qui en puisse empescher l'impression, mais je
croy que nous leur devons beaucoup de reconnoissance du soin qu'ils
ont pris de les ramasser. Donné à Paris le 5. Septembre
1669.
FRANÇOIS MALET DE GRAVILLE Drubec.