« Bien piètre vraiment est celui pour qui il y a de nombreux motifs raisonnables de sortir de la vie. » <38 p.214>
ARISTOTE / Éthique de Nicomaque / GF 43 Flammarion 1992
« [...] quiconque fait tort à autrui volontairement et contre la loi - sans répondre à un tort à lui causé - commet une injustice ; or quand nous disons "volontairement", nous entendons qu'on agit en connaissant la personne atteinte et les moyens employés. Or celui qui, dans un transport de colère, s'égorge de sa propre main, agit volontairement et contre la droite raison, ce que n'autorise pas la loi. Il commet donc une injustice. Mais à l'égard de qui ? Est-ce à l'égard de la cité et non à l'égard de lui-même ? Car, si l'on convient que c'est volontairement qu'il souffre, nul ne subit l'injustice volontairement. Aussi la cité elle-même le punit-elle et un certain déshonneur s'attache à quiconque se donne la mort, puisqu'on dit qu'il a commis une injustice contre la cité. » <V xi p.164>
SÉNÈQUE / Lettres à Lucilius / Robert Laffont - Bouquins 1993
« Je ne me sauverai point par la mort de la maladie, dans la mesure où elle est curable et ne nuit pas à l'âme. Je n'armerai point mes mains contre moi en raison de souffrances ; mourir de la sorte est une déroute. Cependant, si je me sais condamné à pâtir sans relâche, j'opérerai ma sortie, non en raison de la souffrance même, mais parce que j'aurai en elle un obstacle à tout ce qui est raison de vivre. Faible et lâche, qui a pour raison de mourir la souffrance ; insensé, qui vit pour souffrir. » <VI Lettre 58-36 p.743>
« Tu trouveras jusqu'à des profès de la sagesse qui dénient le droit d'attenter à sa propre vie, tiennent pour une impiété de se faire le meurtrier de soi-même et veulent qu'on attende pour sortir de la vie l'ouverture fixée par la nature. Parler ainsi c'est ne pas comprendre que l'on ferme la route de la liberté. Un des plus grands bienfaits de l'éternelle loi, c'est que, bornant à un seul moyen l'entrée dans la vie, elle en a multiplié les issues. Attendrai-je la brutalité de la maladie ou celle de l'homme, alors que je suis en mesure de me faire jour à travers les tourments et de balayer les obstacles ? Le grand motif de ne pas nous plaindre de la vie, c'est qu'elle ne retient personne. Tout est bien dans les choses humaines dès que nul ne reste malheureux que par sa faute. Vivre t'agrée : vis donc. Il ne t'agrée pas : libre à toi de t'en retourner d'où tu es venu. » <VIII Lettre 70-14 p.782>
Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962
« Tous les inconvenients ne valent pas qu'on veuille mourir pour les eviter. » <t.1 p.389 livre II chap.III>
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Remarquez que la science des poisons était commune chez les anciens parce que le danger de la captivité était continuel. Démosthènes portait la mort dans son anneau pour en user aussitôt que la république serait perdue. » <t.2 p.618>
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l'âme / Domaine romantique José Corti 1997
« En août de l'an 1769, et durant les mois qui suivirent, j'ai plus songé au suicide que jamais auparavant ; j'ai toujours trouvé au fond de moi qu'un homme chez qui l'instinct de survie était si affaibli qu'il pouvait le subjuguer sans effort, pourrait se donner la mort sans que cela soit un péché. » <A 126 p.115>
« Ce serait certes une bonne chose qu'il n'y ait point de suicide. Mais ne jugeons pas à la hâte. Comment pourrait-on aux yeux du monde se débarrasser des personnes inutiles, comme par exemple dans les tragédies ? Les faire assassiner par d'autres est une dangereuse pratique. Tout est ordonné pour le mieux. » <K 227 p.511>
NAPOLÉON Ier/ Maximes de guerre et pensées / J. Dumaine Ed., Paris 1863
« Le suicide est le plus grand des crimes. Quel courage peut avoir celui qui tremble devant un revers de fortune ? Le véritable héroïsme consiste à être supérieur aux maux de la vie. » <385 p.297>
« Le coeur est bientôt las de la vie ; il n'en est pas de même de l'intelligence, car elle trouve l'infini dans le savoir qui cherche la vie. Plus tard l'estomac prend la place du coeur, et on désire vivre longuement. » <p.59>
Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / OEuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Le suicide n'est pas une lâcheté comme le disent les prêcheurs qui exagèrent. Ce n'est pas non plus un acte de courage. C'est une lutte entre deux craintes. Il y a suicide quand la crainte de la vie l'emporte sur la crainte de la mort. » <1846-47 p.80>
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / OEuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Absorption et non-absorption de poisons. - Le seul argument définitif qui, de tout temps, ait empêché les hommes d'absorber un poison, ce n'est pas la crainte de la mort qu'il pourrait occasionner, mais son mauvais goût. » <41 p.721>
Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / OEuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La pensée du suicide est une puissante consolation ; elle aide à passer plus d'une mauvaise nuit. » <157 p.626>
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Que de gens ont voulu se suicider, et se sont contentés de déchirer leur photographie ! » <29 décembre 1889 p.15>
Jules CLARETIE / La vie à Paris, 1896 / G. Charpentier et E. Fasquelle 1897 [BnF]
« Maxime du Camp avait voulu se tuer. Chagrin d'amour, dégoût de la vie qu'on n'a pas vécue. Le père Enfantin, le saint-simonien, lui dit : - Ah ! vous voulez mourir ! Quelle idée ! Écrivez ! confiez vos peines à un cahier de papier et revenez dans deux mois... En attendant, embrassez-moi ! Deux mois après, Maxime du Camp revenait chez Enfantin ! - Eh bien ? - Eh bien ! j'ai fini un livre*, et je ne me tue plus ! - Parbleu ! dit gaiement le Père. Tu as vomi le poison ! » <15 juin 1896, p.61>
* Maxime Du Camp - Mémoires d'un suicidé - 1855.
Lorédan LARCHEY / L'Esprit de tout le monde - Riposteurs (1893) / Berger-Levrault 1893
« On sait que vis-à-vis des maisons de jeux, l'ébruitement des suicides est toujours le grand moyen de chantage. Cela se pratiquait à Bade déjà sous le règne de Bénazet. D'où cette réponse entendue par Couailhac : - On dit qu'on se pend beaucoup chez vous. - Sans doute, et c'est même un gros revenu pour le Casino. - Comment cela ? - On coupe les cordes, et on les revend aux joueurs qui restent. Ça leur porte bonheur, et puis, ça peut encore servir. » <p.135>
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Un jour, à Londres, j'avais envie de me pendre. Le jour était jaune et sulfureux. Les fumées descendaient des toits bas dans la rue où elles roulaient. Un dimanche... J'ai trouvé en cherchant un cordon dans une armoire un volume d'Aurélien Scholl. J'ai ri et fus sauvé. » <Ego p.100>
Henry de MONTHERLANT / Carnets 1930-1944 / Essais / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1963
« On ne réfléchit pas assez au fait que, pendant dix-huit siècles, le christianisme empêchant les Européens de se suicider, il leur a fallu beaucoup plus de courage pour supporter l'adversité qu'il n'en a fallu aux Anciens. Le Moyen Âge, la Renaissance, tant d'atrocités et pas un suicide ! Tout supporté jusqu'au bout, sans fuir ! C'est à peser quand on juge les civilisations. Le jour où, en France, on commence de se suicider - après la Révolution, - on renoue avec le monde qui s'éteignait vers le IIIe siècle. » <Carnet XX p.1008>
Albert CAMUS / Le mythe de Sisyphe (1942) / Essais / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1965
« Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l'esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d'abord répondre. » <p.99>
Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« On ne peut apporter à l'encontre du suicide que ce type d'argument : il n'est pas naturel de mettre fin à ses jours avant d'avoir montré jusqu'où l'on peut aller, jusqu'où l'on peut s'accomplir. Bien que les suicidés croient en leur précocité, ils consument un acte avant d'avoir atteint la maturité, avant d'être mûrs pour une destruction voulue. On comprend aisément qu'un homme souhaite en finir avec la vie. Mais que ne choisit-il le sommet, le moment le plus faste de sa croissance ? Les suicides sont horribles pour ce qu'ils ne sont pas faits à temps ; ils interrompent un destin au lieu de le couronner. L'on doit cultiver sa fin. Pour les Anciens, le suicide était une pédagogie ; la fin germait et fleurissait en eux. Et lorsqu'ils s'éteignaient de bon gré, la mort était une fin sans crépuscule. » <p.392>
Emil CIORAN / Syllogismes de l'amertume (1952) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne peuvent plus l'être. Les autres, n'ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ? » <p.783>
Louis-Ferdinand CÉLINE / D'un château l'autre (1957) / Romans (2) / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996
« Oh que vous me direz... le gaz voyons ! vous vous plaignez du gaz ?... mais passez vous vous-même au gaz !... hardi ! lisez votre "journal habituel"... les gens qui peuvent plus se passent au gaz !... la belle affaire ! pensez que j'en connais un petit bout, trente-cinq ans de pratique !... ils réussissent pas tous les coups, de loin ! de loin ! on les ranime !... plus grave : meurent pas mais souffrent énormément !... et pour partir et pour revenir !... mille morts, mille re-vies ! et l'odeur !... les voisins accourent !... ils foutent le bordel dans votre case ! s'ils ont trop volé... hop ! le feu !... le feu aux rideaux !... vous voilà encore à souffrir en plus d'asphyxie des brûlures !... un comble !... non ! le gaz est pas une bonne affaire !... le plus sûr moyen croyez-moi, j'ai été consulté cent fois : le fusil de chasse dans la bouche ! enfoncé, profond !... et pfang !... vous vous éclatez le cinéma !... un inconvénient : ces éclaboussures !... les meubles, le plafond ! cervelle et caillots... j'ai, je peux le dire, une belle expérience des suicides... suicides réussis et ratés... la prison peut vous aider ! vous biffer aussi l'existence !... certes ! forteresse à supprimer le Temps !... suicide petit à petit... mais tout le monde peut pas prisonner dans l'existence ordinaire... » <p.29>
Alexandre VIALATTE / Chroniques de La Montagne (2) / Robert Laffont - Bouquins 2000
« On se suicide par pudeur, par orgueil, par modestie, par discrétion, par peur de la mort (ce qui est un comble) ou des gendarmes ; par lassitude, par vengeance, par plaisir, parfois même par curiosité. Le chinois se suicide pour embêter son créancier, l'homme-torpille par patriotisme ; le Britannique par spleen ; un Écossais se pendit parce que les gilets ont trop de boutons. "Aujourd'hui, tout le monde vit !" me disait une jeune fille avec un air scandalisé. Il y a évidemment trop peu de gens qui se suicident ; ce ne sont jamais ceux qu'il faudrait. » <627 - 13 avril 1965 p.358>
Emil CIORAN / De l'inconvénient d'être né (1973) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« On ne redoute l'avenir que lorsqu'on n'est pas sûr de pouvoir se tuer au moment voulu. » <p.1317>
Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« Je passe mon temps à conseiller le suicide par écrit et à le déconseiller par la parole. C'est que dans le premier cas il s'agit d'une issue philosophique ; dans le second, d'un être, d'une voix, d'une plainte... » <p.1470>
Emil CIORAN / Aveux et anathèmes (1987) / OEuvres / Quarto Gallimard 1995
« Se débarrasser de la vie, c'est se priver du bonheur de s'en moquer. Unique réponse possible à quelqu'un qui vous annonce son intention d'en finir. » <p.1670>
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« L'idée du suicide est l'idée la plus tonique qui soit. » <juillet 1960 p.61>
Pierre DAC / Arrière-pensées - Maximes inédites / Le cherche midi éditeur 1998
« Il faut se suicider jeune quand on veut profiter de la mort. » <p.46>
Pierre DESPROGES / Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des bien nantis / Ed. du Seuil 1985
« En temps de paix, le kamikaze s'étiole. N'ayant nul porte-avions sur lequel s'abattre, il se sent inutile à la société. L'envie de se suicider l'étreint et, croyez-moi, pour quelqu'un dont la raison de vivre est de mourir, l'idée de mort est invivable. Je ne sais pas si je suis clair, mais ça m'est égal. » <p.28-29>
COLUCHE / Pensées et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1995
« Le suicide, c'est une vengeance personnelle, et moi, personnellement, je ne m'en veux pas. » <p.217>
André COMTE-SPONVILLE / Impromptus / PUF 1996
« Le suicide permet d'éviter ce qu'on n'est pas capable de supporter (c'est un antalgique souverain, et sans risque d'accoutumance) ; c'est en quoi l'idée du suicide, pensée sereinement, fait partie de celles qui rassurent ou qui aident à vivre (elle constitue un anxiolytique commode et, chez l'homme sain, sans effets secondaires). » <p.102>
Michel POLAC / Journal (1980-1998) / PUF 2000
« L'autre jour au restaurant, le garçon me racontait un suicide, drôle d'oraison funèbre : "Un type qui s'était jeté sous le métro. Il n'y avait pas de taxi. J'ai mis trois quart d'heure à pied... et avec ce froid ! Ah s'il voulait embêter le monde une dernière fois, il a réussi !" » <27 décembre 1983, p.94>